30 avr. 2010

sursis

ça se clipse avec un petit bruit
ça ne fait pas mal
il a l'habitude
il s'assied replace sa main droite
sur le poignet droit
sa main gauche sur le poignet
gauche
son oeil droit dans son orbite droite
son oeil gauche dans
l'orbite gauche
son pied droit
juste au dessous de la cheville droite
son pied gauche sous
la cheville gauche
il se lève va jusqu'à la glace
tire sur ses lèvres
de sorte de voir un sourire apparaître
il manque encore quelques pièces
irrémédiablement perdues
il a mis un pansement pour cacher le trou
béant au niveau du sexe
et des poumons
et du nez
il ne se souvient plus comment
il s'appelle les mots reviennent pourtant
par moments
des mots gutturaux des blebleblebe
des rhrhrhr
il sort se promener dans la rue
le soleil ne tape plus aussi fort
sur le système sur sa
peau fragile
il marche péniblement
claudique
s'arrête
reprend sa route
il est juste soulagé d'appartenir encore
à ce monde-là
en poussant
un profond soupir
l'association organise chaque vendredi
soir une collecte
de sentiments
qu'on place
dans une corbeille duveteuse
à l'attention des plus démunis

malgré la pénurie de tendresse
et
d'empathie
depuis la crise économique
et bien avant
dit-on
l'association se refuse à mettre
la clé sous la porte

par crainte
des voleurs
et des
opportunistes
disposés à justifier n'importe quoi
pour se faire
aimer
il est entré dans une colère folle
parce qu'on lui avait tous
marché
sur les pieds
sans le faire exprès
et que le chien lui avait
pissé dessus trois
fois
comment pouvait-on deviner
que ses pieds s'étaient
pris dans les racines
d'un arbre et qu'ils
poussaient ainsi depuis des années
au rythme des
saisons ?

sous l'évier

on a retrouvé le
bouchon muqueux
sur une vieille bouteille
de Corbières
déjà entamée
et
l'accouchement a
pu se faire
dans un placard
de la cuisine
(après plusieurs
gorgées)
c'est souvent que des gens
disparaissent en
plein jour
sans qu'on retrouve
quoi que ce soit
avant des années
dans la boîte aux lettres
à mon attention
un mot griffonné dans une
enveloppe "cherche-moi"
derrière la porte
un oeil
sans visage
observe
les allées
et
venues
de deux
jambes
l'une cherchant
ses collants
l'autre
lui courant
derrière

à la charge

c'était l'année dernière
et l'année d'avant
et plus loin
je voulais qu'on fasse un enfant
j'ai insisté pour qu'on s'y mette
j'ai voulu la convaincre qu'on était fin prêts
qu'elle n'avait pas à s'en faire
que je trouverais bien un boulot mieux payé
que je m'occuperais des couches et
des biberons
que je commençais à vieillir quand même et
elle aussi et elle m'a répondu
qu'elle avait vu justement quelques cheveux
blancs
sur son crâne qu'elle en avait horreur qu'elle les arrachait
chaque fois sans attendre
et surtout qu'elle ne sentait en elle aucun
instinct maternel sans compter toutes ces prescriptions
médicales en me montrant sa boîte à pharmacie
qu'il fallait mieux DONC
y renoncer tout de suite
j'ai dit OK mais je savais déjà que
je reviendrai à la charge cette année
l'année prochaine
et celle d'après

Tout un programme

je me coupe les ongles des pieds
dans la salle de bain
elle se pointe derrière moi
de sa démarche traînante et
trouve que j'ai les pieds sales
mais ça n'empêche qu'elle m'aime quand
même dit-elle et quand elle se met à rire
on entend un bruit sec venu de dehors
elle me demande c'était quoi
j'en sais rien peut-être un coup de feu
je me coupe le dernier ongle du pied gauche
je me lave les mains
je nous regarde dans la glace
j'ai pas souvent réponse à ses questions
mais j'ai bien envie qu'on fasse l'amour
avant qu'elle ne prenne ses médocs
et puis il n'y a rien d'autre à faire
ici
à cette heure-là du soir alors je pose une
main sur son cul et je l'embrasse
goulûment

précède le sommeil tranquille

Notre lit près de la fenêtre
le miaulement d'un chat
les regards se tournent vers l'extérieur
nuit
nous ne voyons pas grand-chose
nos corps sans parole se réchauffent
les pieds
&
les lèvres
Tu as mis un pull avant de t'allonger
peut-être pensons-nous à la même
chose
peut-être
pas
tu m'as soufflé à l'oreille
que nous étions bien là tous
les deux
au troisième étage
il n'y aura pas de glissement
de terrain il n'y aura rien
de mauvais
&
le glaçon lunaire a déjà fondu
dans la chaleur de
ces derniers instants
nuit noire

29 avr. 2010

d'abord un voile

la nuit pose sa pénombre

sur le jour

les révèrbères s'allument
les phares s'allument
les lampes s'allument

pour ne pas qu'il

perde pied & qu'on sache où
le dénicher

qu'on ne le retrouve pas
pendu au petit matin

que ferions-nous de son cadavre ?

et chacun s'est séparé ensuite

il s'est mis à pleuvoir
quand il est sorti du métro
à pleuvoir à verse et une chaleur
moite et un vent violent
et des éclairs dans le ciel et le bruit
du tonnerre qui approchait il entendait
les gens répéter qu'il pleuvait vraiment fort et
que c'était un temps de chien

il est entré dans le Relai H en
attendant et il a feuilleté des revues les unes
après les autres et il a vu une grosse caméra
qui le suivait il a regardé en direction du caissier
à lunettes un bonhomme d'une cinquantaine d'années
qui le scrutait méchamment et il est
retourné près des gens qui répétaient
encore que le temps était carrément pourri
qu'on était mieux sous le porche que ça n'allait
quand même pas durer toute la soirée
il a allumé une clope il s'y est pris à plusieurs reprises
à cause du vent et il a aperçu un clochard
qui venait vers lui et il a hésité avant de lui
filer son avant-dernière clope le clochard a dit
merci de sa voix rauque avant de retourner
s'asseoir près du mur poisseux et sale et
la pluie semblait vouloir diminuer d'intensité

Ces mains (de Guillaume Siaudeau)

On ne peut pas oublier ces mains. Ses mains. Qui se sont frottées à l'osier, qui ont construit des paniers comme on bâtit des empires. Simplement. Qui ont plongé dans la gueule des brochets pour en extraire hameçons poisseux et vifs à l'agonie. Ces mains qui ont taillé du bois, enlevé des épines, passé le motoculteur sur les champs de mine des jardins. Des mains ridées. Les plus ridées qu'on connaisse aussi bien. Des mains de grand-père quoi. Qui ont dépecé des lapins et caressé les œufs du poulailler, quand les poules étaient encore rentables. Ces mains comme des vieilles branches crochues qui ne sortiraient jamais de l'automne. Qui n'ont pas changé d'un iota. Qu'on touche parfois des yeux quand les paupières sont closes. Ces mains qui ont cueilli plus de fleurs que nos pieds n'en ont écrasé. Ces mains qui n'existent plus. Mais qu'on n'oublie pas. Car tant qu'il y a des brochets et de l'osier dans les souvenirs, il y a encore ces mains sacrées, juste à côté, qui tiennent un verre de vin rouge et qui tremblent.


*
Pour aller visiter son blog la meduse et le renard

Quelques sorties très attendues







-Shopping ! Bang Bang ! (Jean-Marc Flahaut & Daniel Labedan) (Editions A plus d'un Titre - 130 pages / 13 euros)
*
-Le Seigneur des Anes (Eric Dejaeger) (Editions MaelstrÖm reEvolution - 112 pages / 12 euros)
*
-Boucle d'oeil (Guillaume Siaudeau) (Editions Nuit Myrtide - 54 pages / 10 euros) (Illustrations de Magali Planès)
*
Plus d'infos sur ces 3 bouquins ici, encore ici et

disséminées là-haut

les voitures sont lancées à
vive allure

sur l'autoroute

en pleine nuit elles suivent
la voix lactée sans se soucier
des villes

des sorties
des péages

d'ailleurs il n'y a personne
en sens inverse il y a du monde
un peu partout

en pleine nuit elles ne suivent
que leur intuition sans se soucier
des inscriptions

des stations service
des pointillés sur la droite sur la gauche

les voitures sont lancées à
vive allure

sur l'autoroute

et les phares rouge ou jaune qu'on voit
sont le filant de leur étoile

il n'est pas sûr qu'on les retrouve
un jour
les instants d'avant essayer
de rester calme
ce n'est pas facile malgré le gobelet
de café et le sourire de l'hôtesse
d'accueil
entrer dans son bureau, c'est assez
intimidant il me fait signe
de m'asseoir je pose ma veste froissée
je m'assieds
il consulte ses fiches il me regarde
d'un air dur d'un air grave il tente parfois
de sourire
je ne sais pas ce qui
va sortir de ce silence pesant je
ne sais pas à quoi m'attendre
exactement
alors j'attends qu'il veuille bien
commencer j'essaie de me tenir
convenablement sans faire de bruit sans déranger
la fausse quiétude entre nous je
pense au pire mais j'y avais déjà songé
d'une certaine manière
il se racle la gorge
il revient sur des évènements vieux de
plusieurs années puis sur de plus récents
sa voix est hésitante
son débit monocorde
son regard m'évite à présent et j'ai
l'impression que quelque chose d'indéfinissable
et de retors s'est incliné vers moi
quand il m'a tendu un stylo pour signer
ce papier que j'ai signé quand même
ne pas rester plus longtemps assis
en face de lui.

28 avr. 2010

il se plaint d'avoir une couille enflammée
tellement douloureuse qu'elle pourrait
grossir à vue d'oeil puis se détacher subitement
comme une exoplanète perdue quelque part
il lui demande de faire gaffe la prochaine fois
qu'elle le suce à gorge déployée ce n'est
pas qu'elle s'y prenne mal mais on ne sait
pas grand chose du big bang et des fins fonds
de l'univers
elle se rend chez lui pour
la première fois elle monte les étages
en se tenant à la rampe car
les escaliers sont étroits quand
elle frappe à la porte plusieurs coups
c'est la porte
d'à-côté qui s'ouvre et une vieille
femme la dévisage sèchement
elle finit par lui dire
que ce n'est pas la peine de frapper
plus longtemps
il n'y a plus personne ici plus personne
à part moi
et elle referme la porte à double tour:
la mort est déjà venue petite et
elle avait tes yeux

fouiller dans les poubelles

pour y trouver de quoi manger
de quoi trinquer de quoi dormir
de quoi sentir de quoi baiser
de quoi parler de quoi partir
de quoi pour soi de quoi se changer
de quoi rêver
de quoi la merde
de quoi la vie
de quoi se cacher
jusqu'à l'aube
avant le camion
des éboueurs
les gens ne font pas attention à lui
mais il a l'impression du contraire
ils ne sont pas moins sales que lui
ils ne sont pas forcément plus mal
ins il se torchent le cul il n'est pas l
e seul dans ce cas il est dans les ch
iottes à s'essuyer le cul tandis qu'u
ne voiture passe avec un haut-parl
eur il ne comprend rien à ce qu'elle
dit il n'est pas le seul dans ce cas il
se répète ce qu'il faut faire les gens
ne font pas attention à lui pourquoi
l'impression du contraire ici ou là
assis sur le banc il regarde les toits
devenir des incisives et les oiseaux
des interrupteurs et le bitume une sorte
de livre illisible et quand une femme
lui demande si la place à coté
de lui est libre il fait un geste de la
main comme pour s'envoler
vers les pays moins chauds sur son banc
migrateur et seul

Elliott in a white suit (Marlène Tissot)

Le type au costume blanc
avec les cheveux sales
avait quelque chose
d’un ange mal déguisé
quelque chose d’un
papillon aux ailes froissées
perdu dans le ciel
un jour de grosse pluie

bleu ciel

le ciel bleu
s'est allongé dans un transat
au bord de la piscine

sous le parasol
le ciel bleu
s'endort paisiblement

tandis que volent
joyeusement

des insectes à califourchon
sur deux nuages
de fleurs

le ciel bleu
rêve qu'il est plus qu'un ciel
plus qu'un ciel bleu

pas si volatile

ils se parlent de choses
et d'autres

d'humeur légère

ils se taquinent ils
plaisantent

ils se forment un abri
solide entre leurs bras
entre leurs baisers

ça devrait ne jamais
cesser d'être

aussi volatile qu'une montée
vers l'orgasme

27 avr. 2010

ainsi la perception

les corps grondent
comme des cascades

dans le lointain

et le lointain s'approche
le bruit ne s'arrête pas

ce bruit

attire les voyageurs
et leurs pensées

dérivent

au fil de l'eau
dans le frémissement

des os

leurs propres os
laissés à la poussière du temps

les mots dans les bouteilles

quand la nuit tombe sur
mes épaules

que mes épaules tombent
sur le lit

que le lit tombe jusqu'
à la cave

je sens le corps humide des
araignées

tisser des mots dans les
bouteilles

une miette, une aile

des miettes sous la table
des miettes de pain
dur

mais les oiseaux n'entreront
pas sans me filer

leurs ailes
ça vaut bien une
miette

8 fois sonné

le radio réveil sonnera
huit fois d'affilée

la loupiote

me dit qu'il faut aller
me coucher
mantenant

et c'est lové contre
ton cul

chaud bien avant que tu n'éteignes
à la huitième sonnerie et

que tu me pousses de là

Microbes #59 - Un beau générique


Le 59ème numéro du Microbe est bouclé !


Au sommaire : Nicolas Brulebois, Théophile de Giraud, co errante, Christophe Esnault, Jason Heroux, Diana Magallón, Carmelo Marchetta, Louis Mathoux, Jean-Baptiste Pedini, Thierry Roquet, Guillaume Siaudeau, André Stas, Marlène Tissot, Philippe Vidal, Thomas Vinau.

Illustrations : Piet Linken


Les abonnés le recevront début mai.

Les autres ne recevront rien.

Pour tous renseignements, contactez Eric Dejaeger

au fond d'un verre coincé

la porte de la supérette porte coulissante s'ouvre et se ferme
au gré de leurs allées et venues ombres mouvantes
qui précèdent les pas se croisent sans rien dire
des façades ravalées d'autres abîmées des visages des couleurs
des silhouettes vues de haut une femme qui se tient droit
devant une devanture un homme promène
son petit chien roux comme sucre de canne lève la patte
sur un revèrbère un scooter vient faire une livraison en face
un cycliste se faufile dangereusement entre les voitures
une petite bande bruyante traverse le trottoir et ça se sait
klaxons en tous sens des voitures stationnées feux de détresse
sans au-delà le soleil penché sur un azur stagnant
comme au fond d'un verre le moucheron coincé
il a pris sa voiture pour aller au boulot
en plein dans les embouteillages du matin
il a écouté la radio il voulait de la musique
joyeuse qui lui donne envie de continuer à
rouler -même lentement- puisqu'il n'avait aucune
raison apparente de se sentir aussi pressé
d'en finir sauf qu'en plein dans les embouteillages
du matin il a écouté une émission sur
le malaise au travail et il avait beau vouloir
changer de station de radio et fumer une
clope en baissant la vitre et respirer un peu
l'air du dehors c'était un air qui lui rappelait
sans cesse combien sa tranquillité avait
un quelque chose de fracassé combien sa présence
là-bas émettait des signaux de detresse
plus ou moins perceptibles
quand le téléphone a sonné j'ai
décroché et une voix de vieille femme
a demandé à parler à Albert j'ai dit y'a
pas d'Albert ici elle a insisté pour parler
à Albert j'ai répété que c'était une erreur
mais elle a répondu que je mentais et qu'Albert
devait se cacher quelque part et la
voix de la vieille femme est devenue un sanglot
puis un second sanglot alors je lui ai dit qu'Albert
était parti de bonne heure dieu sait où
et qu'il finirait bien par rentrer un jour ou l'autre
et qu'il ne fallait pas s'en faire et que je devais
raccrocher à présent

se donner un air

la jeune fille avait l'air heureuse
en sortant de la boutique de fringues
nos regards se sont croisés
à ce moment-là
puis elle a disparu quelque part
avec une autre amie
et ça me fait penser que moi aussi
je disparais souvent
à mon propre regard devenu
un réseau inextricable d'images
floues
il suffirait de pas grand-chose
pour se donner un air heureux

avant qu'on vienne me chercher

du 35è étage les pas calfeutrés
des employés de bureau sur la
moquette les nombreux ordinateurs allumés
dans l'open space à la fenêtre
le soleil à portée de main
saisir les passants minuscules
eux
sans vertige
sans me voir
trouvent la force d'avancer cette nuit
et les autres nuits
j'ai mal dormi mal rêvé j'ai mal au dos
ça fait comme
le bruit sourd des marteaux-piqueurs
sur le trottoir
quelques paroles échangées un
café au goût de chaussette je suis là
pour un rendez-vous mais je préfère
les échaffaudages et voir
ce laveur de carreaux perché
au dessus du vide
il me sourit
et si la sangle qui
le retient devait péter d'un coup...

nous ne sommes attachés qu'à ce
qui veut bien nous retenir
dans le meilleur des cas...

26 avr. 2010

mante religieuse

elle regarde des émissions
sur les serial killers
elle lit des livres
sur les serial killers
elle lui assure qu'il n'a rien à craindre
que ce n'est pas de la fascination
elle rit de sa bouche sensuelle
et quand ils font l'amour
il garde toujours en arrière-fond
quand même
la possibilité qu'elle lui plante
une lame
dans le bide
et qu'elle se débarrasse de son cadavre
découpé avec une scie
dans une décharge publique
en conservant une couille en
guise de trophée
il enlève sa chemise
son tee-shirt
puis ses chaussettes
son pantalon
et son slip
Il s'allonge à poil
dans le lit défait
à côté de lui
une femme
est au téléphone
depuis longtemps
discute par monosyllabes
au dessus le plafond
se craquelle
imperceptiblement
tout autour les
borborygmes de la vie
bouffée par l'ennui

23 avr. 2010

prolongement

en ce moment des tas de gens
sont debout sur des quais à attendre
et ils savent ce qu'ils attendent
ils savent que leur attente est
soumise à un objectif précis l'arrivée
d'un train d'un métro
et aussi
peut-être les mêmes
peut-être pas
en ce moment des tas de gens sont assis
allongés
chez eux
devant la télé devant un livre
devant un mur et ils savent comme
moi qu'ils n'en finiront pas d'attendre
avant longtemps

le couple à la tâche

lui quand il mange peut pas s'empêcher
de s'en mettre un peu partout
là c'est son pull blanc tâché
d'un coulis de fraise
avalé ce midi la tâche en plein
milieu de son pull blanc n'importe
qui peut la voir
elle l'a vue sans tarder et s'est
mise à rire
un rire sans moquerie juste avec
regard de tendresse d'empathie presque
car elle aussi quand
elle mange elle peut pas
s'en empêcher mais pas cette fois
dis donc pas cette fois
alors lui
il lui demande de se faire une tâche en plein
milieu de son pantalon blanc
pour qu'ils soient sur un même pied
d'égalité

j'essaie

Je suis assis devant l'ordinateur et
j'essaie d'écrire un poème un
texte qui fasse référence à ma vie
et puis non qui soit fiction mais
qui fasse vrai
et puis non qui soit mélange de
ma vie et de fiction et que je
m'approprie le texte le poème
entièrement
sans qu'
aligner des mots devant l'ordinateur
tourne au grand n'importe quoi
et/ou que je me fasse violence pour ne
pas que ça devienne n'importe quoi
remarque je suis assis déjà
je vais pas tomber plus bas hein
combien même j'échouerais une fois
de plus.

Mouais

il se lève de table
péniblement
en rotant plusieurs fois et la regardant
derrière son comptoir
à essuyer quelques verres de bière
elle semble sourire
il a laissé un petit pourboire
de quoi lui prouver sa générosité
sous les apparences hein
oui oui j'aurais pu m'casser sans rien donner
il reste un instant sur le pas
de la porte d'entrée
de la brasserie Chez Martine
les rayons du soleil lui
brûlent les yeux tandis que
le marché finit de battre son plein
pour quelques minutes encore
ça vend ça achète ça hurle
ça se bouscule ça fait mal de voir
tout ce monde
il traverse la route
marche sur les trottoirs
avec la lenteur de ceux
qui vivent à côté de leurs pompes
sans penser qu'il puisse y avoir
une flamme quelque part
à part celle du briquet
quand il allume la dernière
clope du paquet

22 avr. 2010

en espérant qu'elle tienne le coup

La plupart d'entre eux
allait à dos d'âne
(quand ils en avaient un)
sous un soleil de plomb
dans les sentes crevassées après
les multiples explosions
Ils se suivaient d'abord longtemps
avant de se séparer pour
une raison ou pour
une autre
-J'ai soif, j'en peux plus lui dit-elle.
Il se sont arrêtés pour boire un coup
dans une gourde
à l'ombre rare puis il
est remonté vite fait
sur le dos de sa femme
qui tenait déjà leurs deux enfants
endormis
dans ses bras
Il lui a demandé d'avancer plus vite
avant que la route ne disparaisse
tout-à-fait
de l'horizon
-Ca fait combien de temps qu'on s'enfonce ?
-J'en sais rien.
-J'ai le dos en compote.
-Tiens bon, chérie, avance.
Il n'avait de cesse de scruter
l'apparition d'une ville ou
de champs fleuris ou d'un
heureux messager venu en
sens inverse
la main en vissière
ainsi
assis
sur le dos de sa femme.
un doux parfum, gluant, jeudi, un café chaud, le soleil sur les vitres, Avril, des promeneurs exilés, quelques oiseaux sagement posés en rang, on va faire quoi après tu me demandes, il ne fait pas si chaud que ça je pense, et pour répondre à ta question, des précautions d'usage, on va s'en sortir, quelqu'un sonne chez nous, le facteur apporte un colis, tu descends, je t'attends, le soleil sans lassitude, je ne sais pas comment on va faire je pense, c'est pour toi tu me dis, deux livres commandés, j'ouvre le colis, je sens que tu n'es pas contente, à cause de l'argent que ça coûte, à cause de l'argent qu'on n'a pas pour le reste, on vendra cet appartement s'il le faut je pense, tu te blottis sous les draps, tu descends, je ne sais pas où, je t'attends, Avril, les heures passent, les jours passent, suspendus par la tête à un sombre invisible
il se demande ce qu'il va bien pouvoir faire aujourd'hui; alors, il écrit sur une feuille de papier: lui faire l'amour, remettre les draps en place, ranger du linge, passer l'aspirateur, cuire deux steacks sans les griller, ouvrir les stores, nettoyer la poussière sur les bibelots, envoyer un long mail à un pote, préparer un CV, un chèque de 117 euros, tenir l'état des comptes, lire un peu, retenir, sourire pour rien, juste histoire de décompresser, regarder le dehors, sortir peut-être avec elle, prendre quelques photos de leur vie et il ajoute: non, le vide n'est-il pas le socle à l'endroit exact de ce qui le recouvre légèrement ?
Il relit la feuille de papier. La chiffonne avant de la jeter à la poubelle. Et comme toujours, il agira selon ce qui est noté pour le rassurer et ce qu'il pensera improviser au dernier moment pour ne pas étouffer. Et comme toujours, il y aura de longs moments sans rien faire.

21 avr. 2010

Annie Ernaux (1940)


comme un coffre à jouets

il avait trouvé le moyen
de donner un sens à sa vie
un sens tout relatif peut-être
en y ajoutant des évènements qui ne
s'étaient pas produits
mais auxquels il avait fini par croire
à force de les raconter
à force de les écrire
à force de les rêver avant chaque sieste
avant chaque sommeil
devant chaque immobilité des sens
il ne savait pas si les autres y croyaient
avec la même
conviction que lui s'ils se posaient
encore des questions
ou pas
mais cela était de peu d'importance
à présent que sa mémoire était
complètement saturée
d'images
collées
les unes sur les autres
comme un coffre à jouets
qu'on retrouverait des années
pus tard
avec une (fausse) joie d'enfant.
C'est une sorte d'idée fixe
qui ne passe pas
un envoûtement de chaque
pensée
sur un magnétisme noir
depuis
qu'il se doute de quelque
chose.

Il les suit
il a besoin de savoir ce qu'elle fait avec

lui avec

l'autre dans

cet appartement
du troisième étage
il leur téléphone chaque
soir plusieurs
fois de suite
et raccroche aussitôt.

S'il lui offre un verre de scotch
avant de la sauter s'il la
fait jouir
plus de trois-quatre minutes s'ils
s'enquierrent de la
vie des autres
une fois repus
de la sienne par exemple.

Il n'est là ni pour
rectifier le tir
ni pour peser le
pour et le contre ni pour les
emmerder vraiment
il n'est là
que pour s'assouvir
d'une certaine manière.

14 avr. 2010

Trouvent

Trouvent des messages
écrits
des noms de rues
de gares des tarifs
des visages de profil
trouvent des indices
de leur passage
ici
des impressions
des boutiques ouvertes / fermées
des corps démonstratifs
ou
solitaires
ou
cachés
trouvent à graver
n'importe où
n'importe comment
la mémoire
d'avoir été un jour

Une forêt au fond de l'eau (de Marlène Tissot)

Assises sur la berge
à écouter le printemps
à regarder le reflet des grands arbres
sur la rivière
on n’était pas venues ici
depuis si longtemps
tu te souviens, elle me demande
quand tu étais petite et que
tu croyais qu’une forêt poussait là
au fond de l’eau
oui, je réponds, je me souviens
et je me dis
c’est sans doute qu’elle doit
- qu’elle devait –
m’aimer quand même un peu
pour se rappeler
d’un truc pareil
La froide statue représente un ancien chef d'état
un peu oublié
un pigeon gras est posé sur son chapeau
rigide
les voitures klaxonnent dans les embouteillages
du quartier
quelques touristes en famille lisent l'inscription
et prennent des photos
le vent soulève le soleil
de quelques centimètres au dessus des
toits la ville en cette fin d'après-midi
se bat contre la poussière

13 avr. 2010

Il va devant à droite
à gauche derrière
il cogne la tête ses poings partout ne sait pas
s'il a mal ne sait pas s'il
va devant à droite à gauche
derrière et pourquoi
la pièce est sombre
il cherche la lumière il cherche mais
il n'y a pas de lumière oui c'est
bien lui pourtant comme chair comme
parcelles comme pensées
disséminées il va devant à droite à gauche
derrière il cogne la tête ses
poings partout
c'est bien lui comme fissures
de plus en plus
sécables
d'un tout
Trente
trente-et-une
trente-deux minutes à patienter
trente-trois minutes à attendre
trente-quatre minutes à poireauter
trante-cinq minutes à se faire chier dehors
trente-sept minutes à en avoir marre
trente-huit minutes à prendre une décision
trente-neuf minutes à hurler
appuyer sur la sonnette
à quarante
ou quarante-et une

Ressort

ils se sont retrouvés près du
et
à quelques pas de là
sur le côté
dans un angle
peut-être cachée par l'ombre
la pluie les portes dérobées
il se sont retrouvés près de la
et
elle n"était pas maquillée
comme d'habitude lui ne portait
plus la barbe de
trois jours
ils se sont retrouvés près d'un
et
ils se sont embrassés mais
ça n'avait plus
ça n'aura plus jamais
malgré la nudité
malgré ce qu'ils se disent
ce parfum qu'on n'oublie pas
de sitôt

cherchent

cherchent consolation
la rémission douleur
l'atome crochu du verbe
tu
la tête sur un axe
le doigt dans l'engrenage
cherchent consolation
le repos d'en tous sens

découpé par le temps

elle arrive sur la place avec quelques minutes d'avance
s'assied sur un tronc
d'homme
découpé par le temps
sort de son sac
un rouge à lèvres
une cigarette
une capote
&
une mini feuille de salade
qu'elle lance aux tortues naines de la place
aux pigeons aux clodos
regarde l'heure
qui la regarde à son tour
de douter
avant de sentir enfin la présence
dans son dos
d'un banc de poissons d'où surgissent
la tête
&
les pieds
d'un homme découpé
par le
temps

9 avr. 2010

pollen d'un jour

Les valises chantent sur les branches
c'est un jour d'envol
un jour de vie
le soleil brille de milliers d'oiseaux
les nuages s'étalent
indolents
sur le sofa du ciel
les psychiâtres ont la douceur des roses
parfumées
les mots se cueillent au léger vent
c'est un jour si
particulier
d'une lenteur magistrale en arrivant

dans le hall d'entrée

Lui, elle

Lui, c'est un type
avec des pognes de boxeur
ou de déménageur
elle, c'est une meuf
avec des seins gonflés à l'hélium
un cul qui tombe
lui, c'est un type
qui veut un truc
tout de suite
elle, c'est une meuf
qui ne veut rien
de spécial
lui, dans un bar pas
loin d'elle a envie
de se la faire après
quelques bières
elle, je sais pas.

8 avr. 2010

Charogne #1





L'ami Guillaume, alias la Méduse et le Renard, a concocté un très beau premier numéro de sa toute nouvelle revue , à lire ici: Charogne

Au programme: Océane Le Tarnec, Pascal Pratz, Julien Blaine, Eric Poindron, Thomas Vinau, Eric Dejaeger, Stéphane Prat, Perrine Le Querrec, Thierry Roquet, Antoine Bréa, Dimitri Vazemski, et Guillaume Siaudeau himself. Graphisme: Magali Planès.
Pour proposer vos textes: charogne.magazine@gmail.com

A l'assaut, mal assaut

Partout où il va
il a peur de paraître fade
de n'intéresser personne
alors il apporte avec lui
du sel du piment qu'il disperse
sur ses paroles
sur son visage
en cachette
être vu être entendu
parfois sur son sexe
en érection
avant de tenter l'assaut
bien mâle.

De gentils zombies

Les morts se sont levés de leurs
tombes, poussiéreux, sales et puants
surtout incomplets ils se sont regroupés
sur la place du village et ils ont
hurlé n'ayez pas peur nous
ne voulons pas de votre sang
puis reprenant leurs souffles rauques
nous voulons juste voir comment
vous vivez à présent, par curiosité
Les vivants se sont réunis dans la
grande salle municipale barricadée
et certains ont tiré dans le tas comme dans
un film de Romero
Il cherche un logement
un petit logement
de 2 mètres carrés
un mètre de large sur
deux mètres de haut
ça suffira
pour dormir debout
après tant d'histoires.
Je suis au volant. Quelque part sur l'autoroute. La nuit va tomber. Il y a des signes. Je ne sais pas si c'est la dernière fois. Qu'elle tombe. A force, elle doit en avoir marre. Mais elle se relève, toujours, elle se relève des coups, de l'absence. Elle se relève, c'est à ça que je pense, au volant. Il n'y a pas grand-monde sur l'autoroute. Elle est à côté. Sur le siège passager. Elle ne dit rien, elle semble dormir, somnoler, elle ferme les yeux en tout cas. Elle ne dit rien depuis des heures. Je ne dis rien non plus. Je suis au volant, je conduis depuis des heures. Il va faire nuit, il fait un peu sombre, c'est peut-être juste de mauvais nuages, des nuages passagers. Quelque part, une pancarte. Le prochain Motel, dans vingt kilomètres. Je ne sais pas si c'est une bonne idée. La nuit peut engloutir, elle peut nous engloutir. Et ne jamais nous relever. Je vais la réveiller et lui demander ce qu'elle en pense. Elle n'entend pas, elle rêve. Il n'y a pas grand-monde. Je peux conduire encore des heures sur l'autoroute. Elle rêve que nous sommes arrivés. Je ne sais pas. Dans un endroit très différent, sans reconnaître personne. Sans me reconnaître. C'est à ça que je pense.
Il marche le long de la route. Une bible avec lui. De couleur bleue. C'est la couleur du ciel le long de la route. C'est une vieille bible mais la couleur est restée intacte. Il ne la lit pas vraiment, il ne l'a jamais lue pleinement du reste, il la prend seulement au cas où. Geste machinal. Au cas où on lui poserait des questions. Il se dit que quelqu'un, le long de la route, venant en sens inverse, pourrait lui poser des questions. Des questions machinales. Lui demander son chemin, parler du temps, savoir s'il croit en dieu, en l'humain, en la bonté. Lui demander, alors. La tête baissée, près du fossé, il marche. Le soleil tape bigrement fort. En attendant qu'on lui pose des questions, il place la bible bleue sur le haut de son crâne. Il marche ainsi, il marche des kilomètres entiers, sans croiser personne, des kilomètres sous la chaleur. Ardente. Le long de la route, la bible comme casquette. Sans jamais regarder derrière. Ni tout-à-fait devant.
Elle est assise sur le canapé. Un canapé tout neuf, confortable. On ne sait pas si elle pense, si elle rêvasse, si elle fait le vide, si elle attend quelque chose. Elle est assise sur le canapé neuf, depuis de longues minutes. Une heure peut-être. Elle ne pourrait pas le dire. Elle fixe un objet. Elle fixe le mur. Elle fixe un autre objet. Elle regarde droit devant. Elle regarde mais elle ne voit rien précisément. Rien qui retienne son attention. Rien qu'elle pourrait décrire en détail. Parfois du côté droit, parfois du côté gauche. Le plus souvent, devant. Légèrement vers le haut. C'est l'impression. Elle croise les jambes. Elle croise les bras. Elle a des fourmis dans les jambes. Elle reste assise sur le canapé neuf et confortable. On ne sait pas quand elle va se lever. On ne sait pas. Elle ne le sait pas, apparemment.

7 avr. 2010

Le petite bestiole grimpe le long du mur. En biais. Elle hésite. S'arrête. Redescend. Promptement. Elle sait, maintenant. Elle sait où aller. Chercher à manger ou fuir le danger, l'inconnu. Elle le sait, elle. Elle redescend le plus vite possible. Elle se trouve sur le sol, sous le lit, puis sous la table basse. Elle se glisse sous la porte. Dans l'autre pièce. Elle hésite. S'arrête. Elle s'est perdue. Elle ne sait plus ce qu'elle savait il y a quelques instants. Ces instants de presqu'une vie. Il faut faire vite. Vite. Chercher à manger ou fuir le danger, l'inconnu. Elle a peur. Avec un microscope, on verrait sa peur. La sueur, les tremblements, les pleurs, les battements du coeur s'accélérer. La vieillesse, les rides aussi. La fin approcher. Le mieux, oui. C'est de l'écraser. Maintenant.

Derrière, peut-être

Contre un mur.
Une armoire.
Pleine.
De cintres.
De chemises, de pulls, de pantalons.
Deux battants.
Les ouvrir.
Entrer.
Dans l'armoire.
Pleine.
Refermer.
Les deux battants.
Pousser.
Le mur.
De toutes ses forces.
Entendre.
Un prénom, une parole, t'es où ?
Ne pas.
Surtout ne pas.
Répondre.
Pousser.
Le mur.

6 avr. 2010

A vos ordres

On les a placés là l’un en face de l’autre
On a cherché à les structurer
On a façonné leur comportement après des expériences
En laboratoire
Leur façon de marcher
De parler de se tenir de regarder
On a tenté de corriger ce qui ne collait pas
La hiérarchie a dit pressez-vous
La hiérarchie a dit on ne vous paye pas à rien faire
La hiérarchie a dit on veut du résultat
La hiérarchie a dit tout de suite
Alors on les a placés là l’un en face de l’autre
Et c’est peut-être toi

En face de moi
Vus du ciel leur présence leur amour
ont quelque chose de magique
de secret infime les sentiments
les rancoeurs ont la taille
d'un atome (crochu ou non) leurs paroles
sont des vibrations légères
en travers de la route des corps
mais à mesure qu'on approche
et qu'on touche le sensible le réel
il y a quelque chose du sacrifice
du rituel commun du risible
dans chacun
de leurs gestes

Vue à garde

Accusé d'un horrible crime qu'il niait avoir commis
les flics lui ont posé tout un tas de questions
sur son emploi du temps
et comme il n'avait pas d'alibi en béton
il a fini par admettre ce qu'il niait avoir commis
Ne restait plus à savoir de quel horrible crime
il s'agissait mais on lui a demandé de se taire
à présent qu'il avait avoué
il pourrait être accusé de n'mporte quel
horrible crime
c'est compris ?
Elle a fermé la porte
il a ouvert son coeur
elle a fermé les yeux
il s'est ouvert les veines

La fracture en costard

Ils ont manifesté dans les rues
derrière le président de la
république qui tenait la tête
du cortège
en criant des slogans
hostiles aux syndicalistes aux
salariés moyens aux Rm-istes
en revendiquant de plus hauts revenus
non imposables
et la fin de l'ascenseur social une bonne fois
pour toutes
Ils étaient tous là
-ministres chefs de cabinet députés
sénateurs de la majorité-
la presse a parlé d'un franc succès &
les sondages ont montré que le pays
n'était décidément plus à l'écoute
de leurs préoccupations réelles
Les plus pessimistes ont d'ailleurs craint
l 'embrasement violent des hémicycles
un jour prochain si rien ne changeait.
Elle s'est mise à pisser
debout contre un arbre
il s'est remaquillé discrètement
dans la glace de la voiture et
quand elle a bombé le torse
en refermant se braguette de jean
il a senti qu'elle pourrait lui faire mal
à tout moment
il a replié les jambes délicatement
il a allumé une cigarette
il lui a murmuré qu'elle était belle
et
qu'elle était une vraie force de la nature

Aie !

ils ont marché jusqu'au sommet
de la colline
qui surplombe la rivière
ils se sont allongés dans l'herbe
verte ils se sont embrassés
déshabillés
ils ont fait l'amour
et se sont endormis
sans savoir qu'il s'agissait d'une
nouvelle
zone militaire
truffée de mines anti-personnel
tôt ce matin le camion
vert &
bruyant
est venu récupérer les encombrants
jonchés sur les trottoirs
tôt ce matin j'ai bu une
tasse de café
brûlante &
légèrement sucrée
devant l'ordinateur
tôt ce matin quelques oiseaux
invisibles
ont sifflé leurs amours
naissantes sur les
toits penchés
tôt ce matin tout a repris
son cours les rues y pataugeant
les pieds dans l'eau d'avant
sans faire
de vagues

M.

se laisser pousser des ailes
disait-elle
encore cette douleur si elle
ne venait plus mais ce
n'est pas possible il lui
faut faire avec toute une histoire
de là à là tu vois ma vie
prise en étau
de la fraîche mémoire je ne peux oublier
ce serait trop facile
je vais me laisser pousser des ailes
quand même
disait-elle
et j'emmènerai loin
la douleur
si je peux
dans le temps

le temps d'être un autre regard

Les yeux marchent
sur la ville
étrange
d'un pas lourd
les yeux marchent
il est huit heures
il est neuf heures
il est nulle part où
d'un pas lourd le sol
le tienne à lui
comme rampe à l'escalier
les yeux descendent
sur les formes
étranges
qui
peuplent cette
ville
étrange
les yeux se ferment sur
le monde ses couleurs
ses rites
comme fatigue sur le
dénouement
il est huit heures
il est neuf heures
il est le temps
d'être
un autre regard

4 avr. 2010

sait-on jamais

Mitch
pense qu'il finira ses jours
avec elle
ça lui semble évident
de faire semblant d'y croire
en fait
rien n'est moins sûr
soit qu'il s'en aille avant elle
soit qu'elle s'en aille avant lui
soit qu'il s'en aillent ensemble
(d'un commun accord ?)
soit qu'ils n'aillent pas plus loin
que demain
l'amour la tranquillité
le temps
savent signer
des chèques en bois
le plus naturellement du monde
le chat vieux roulé en boule près
de la table ou ils ont dîné en tête à
tête ronronne sans rien entendre de ce qu'ils
disent de ce qu'ils font et c'est douce pérennité
l'une se penche pour arroser les deux pots
de fleurs par terre remettre en place quelques objets
l'autre cherche la télécommande pour
enregistrer une émission sur
la seconde guerre mondiale
on ne les voit pas forcément mais il y
a plein de choses en charpie dans cet
endroit plein de choses qui vivent
dans un désordre inexplicable on
pense que c'est peut-être nous
on pense que c'est autre chose qui
nous dépasse
le jour traîne les pieds dans de vieilles chaussettes
passant d'un pièce à l'autre de l'appartement le jour
ne sait pas quoi faire manger un bout de chocolat
de temps en temps lire quelques pages de ci
de là écouter de la musique un peu triste
comme d'habitude se poster à la fenêtre
pour guetter la construction d'un pont
entre le début & la fin
il a lu dans un magazine l'histoire
d'un homme au fond de sa cellule
qui s'écrivait des poèmes à haute voix
devant chaque trait vertical
qui représentait chaque jour passé
là & il s'est dit que ça ne devait pas
être si différent de ce qu'il essayait
lui-même de s'écrire
dans l'absolu
il a retrouvé des os et une carcasse
de crâne et un chiffon moisi à l'intérieur
de ce qui devait être une gorge
dans un vieux carton pourri de la cave
quand il les a observés il s'est
demandé à qui cela pouvait bien appartenir
et si chanter en les manipulant
était un signe de bonne santé.
tu t'es couchée de bonne heure
disais-tu parce que les rêves n'attendent
pas qu'on soit prêt
et que tu ne voulais pas rater
celui qui pourrait te sortir de là
j'ai peur parfois
que tu n'en reviennes jamais

1 avr. 2010

Alliés de circonstance

Comme j'ai peur de la
perdre je vis dans la rumination
permanente dans l'interprétation
du moindre détail
je passe des heures à me
demander ce qu'il faudrait faire
à ce qu'il aurait fallu faire
avant de conclure
impuissant
(et la boule au ventre)
que tout
ça était déjà écrit
d'avance
de toute façon
et que le mieux serait
de penser à autre chose
(une sortie avec les potes
par exemple)
puisque je l'ai déjà perdue
en somme (le doute subsiste, non?)
et qu'un verre puis un autre
et tout un tas d'autres verres
seraient d'utiles
alliés de circonstance.

sur le canal

tous les cent mètres il voyait
un cadavre flottant
à la surface de l'eau
sur le canal de l'Ourcq
à un endroit il en a même
vu quatre reliés les uns
aux autres par les fils de la
lune et qui tournoyaient lentement
dans le léger courant
tous les cent mètres il voyait
un promeneur qui lui disait
au revoir à demain des maisons
qui s'allumaient en même temps
des voitures qui fonçaient dans les murs
et les cadavres qui repassaient
en sens inverse
tous les cent mètres
environ

i don't understand french, sorry

Je ne sais pas dessiner
mais si je savais dessiner
je dessinerais tes seins
sur une toile blanche
avant de l'accrocher au mur
juste en face de mon lit
qu'il lui dit
elle le regarde en plissant les yeux
i don't understand french, sorry
c'est pas grave qu'il répond parce
que t'as quand même des nichons
qui pourraient abolir les frontières
tu sais
i don't understand french, really sorry

Mauvaise vue

Je suis monté dans le tramway
derrière un homme qui titubait
pas mal
et insultait
tout le monde
au premier freinage
il s'est affalé sur une femme
assez grosse
en lui disant mon amour ma baise
et il est parti dans un rire
fou
avant de lui roter
à la gueule qu'elle n'était pas
son style
en fin de compte