29 sept. 2014

Un grand écrivain ( devient un grand écrivain ) (de Jean-Marc Flahaut)

un grand écrivain
( devient
un grand écrivain )
dès lors qu’il sait recycler
les idées des autres
sans se faire piquer
voilà le secret
lui
sait ça
mieux que personne
alors
il reprend le livre

comme ça
dans sa main
c’est bien
puis
l’ouvre
comme une pomme
en son milieu
respire profondément
et fait semblant
de lire ce qu’il lit
car en réalité
chaque mot
chaque phrase est imprimée
dans son cerveau
comme l’adresse d’une maison
en flammes
il insiste
un peu
et finit par reposer le livre
qui se consume
sur le sol
en se déglinguant de partout

et il se lève de sa chaise
et il regarde la bibliothèque
et il s’avoue vaincu
une fois de plus

( 2009 )





26 sept. 2014

c'est un effort au dessus de mes capacités

trois
en face de moi
trois faces de rats
souriants
&
bien habillés
deux hommes et une femme
plutôt mignonne
tous
responsables
d'une entité bien précise
au sein de l'entreprise
mais je n'ai pas le temps de retenir toutes ces informations
je n'ai pas le temps de comparer leur vacuité à la mienne
on est ici pour une raison bien précise alors
on m'écoute poliment
parler
on me fixe du regard
en faisant des hochements des gloussements
des moues
difficiles à interpréter
on me demande
de me présenter
de parler de moi de mon parcours
de mes motivations
on me demande de préciser
certains points
de détailler
ce que j'ai fait jusqu'à présent
sur chaque poste
et
on cherche à me déstabiliser
peut-être
en pointant les nombreux trous temporels
dans mon CV
on me demande
si je connais l'entreprise
si j'en ai déjà entendu parler
on me demande
si j'ai de l'ambition
si j'ai vraiment envie de m'investir
si j'ai confiance en moi
on me demande
un tas de choses auxquelles je n'ai
nulle envie de répondre
d'une voix asséchée
par une mise en scène bâclée
par certains mensonges nécessaires
par la peur de mal faire de mal dire
et
mes yeux passent de
l'un à l'autre
trois
ils sont trois
en face de moi
dans cette salle exiguë
aux larges vitres transparentes
n'importe qui pourrait nous voir
n'importe qui pourrait nous entendre
n'importe qui dans mon dos
je tente
de cacher les réactions de mon corps
de conserver la tête hors de l'eau
bouillonnante
et
mes yeux cherchent de
nouveaux repères
plus solides
plus intimes
j'aimerais pouvoir me détendre
raconter une bonne blague
respirer sans confondre l'inspiration avec l'expiration
j'aimerais leur lire un poème que j'aime
ouvrir une bière bien fraîche et trinquer
à la santé de l'entreprise
à n'importe quel boulot alimentaire
au monde tout simplement
et
mes yeux se perdent
se faufilent déjà
jusqu'à ma voiture
jusqu'à la clé de contact
jusqu'à ce bruit de moteur
et d'accélération
jusqu'à ce chez moi
où je pourrais enfin
retrouver mes ombrageuses mélancolies
en concluant
à une certaine inaptitude sociale
en toute connaissance de cause

25 sept. 2014

on pourrait voir ça
comme une succession de croix
plaquées au sol
où sommeilleraient d'invisibles martyrs
d'un rue l'autre
que les hommes les femmes
les chiens les véhicules
d'ici
piétineraient
à tout instant
sans rien sentir d'autre qu'un goudron
dur
et
protecteur

on pourrait voir ça
comme une suite de perspectives
à la Bernard Buffet
rachitiques dans l'éloignement
gigantesques à l'approche de
tel ou tel bâtiment
et nos yeux nos corps
nos émotions
se déformeraient
continuellement sous
l'empreinte d'un crayon

on pourrait voir ça
comme un jeu de constructions
à monter soi-même
et
à la fenêtre
je déplace d'ailleurs cette femme
en case D4
pour la faire avancer de plusieurs cases
jusqu'à la Boulangerie
en F7.



24 sept. 2014

boite de conserve

en tête
quelques
intonations de l'inquiétude
une
échelle de valeurs
où manquent quelques barreaux
un
sentiment
de déclin
des
signaux envoyés
à l'autre
et puis
ouvrir une boîte de conserves
histoire de combler
notre appétit
de vie

23 sept. 2014

dans quel film

dans
quel genre de film
on se trouve
je me demande

comédie romantique
satire sociale
série B série Z
western spaghetti
sans bolognaise
road-movie sanglant
ou film d'auteur
statique
& chiant

on peut repasser le film
dans sa tête
et trouver à redire sur la distribution
des rôles
c'est certain parce que

le héros solitaire
qui traverse la Place
jusqu'à la boîte aux lettres
n'impressionne personne

la garce qui roule du cul
s'attire vite les foudres
des moralistes fanatiques
qui demandent à leur queue
un peu plus de discrétion

cet élégant costard-cravate
qui marche d'un pas sûr
vers les dividendes
attaché-case en main
n'a rien à dire pour le moment
sur la tristesse sur le silence

pourtant
aucune scène n'est coupée au montage
et
chacun y va de son interprétation

j'aimerais parfois
avoir le premier
rôle
je me dis
et je me contredis
tout de suite après
parce que ça ne me plairait
pas tant que ça

je préfère me contenter
d'être une silhouette
parmi des milliers de figurants
ignorer le nom
du réalisateur
des producteurs
ignorer l'histoire

et me réjouir
d'un échec commercial
sans précédent
parce que
c'est dans ma ligne de mire
c'est écrit moi j'y crois



Anéantir un quartier

Ils sont déjà là
matinaux
les coudes sur le comptoir du zinc
l'un ne parle pas
regarde autour de lui
machinalement
l'autre sourit à son verre
comme si la tendresse se trouvait
au fond du godet
exactement là
et pas ailleurs

le patron - un kabyle au physique
de boxeur poids-lourd -
m'a un jour raconté
que le plus taiseux des deux
a eu un accident sur un chantier
qui lui a coûté sa place
et
sa joie de vivre
que c'est un fidèle client
à présent

puis on cause du soleil
frisquet
des vacances qu'il n'a pas pris cet été
pour faire tourner la boutique
puis il me rend ma monnaie
et mes grilles de loto sportif

je ne sais pas pourquoi
mais chaque fois
que je les vois
ces deux-là
je pense immanquablement
à un poète
qui n'attendrait plus
rien
de ses propres poèmes
c'est une
déformation de l'esprit
sans doute
une
sorte d'empathie passagère
je sais pas

une fois rentré chez moi
je m'empresse
de refermer la porte
de penser
à des choses positives
d'écrire deux-trois bricoles
qui me passent par la tête

je te regarde dormir
parfois

et dans le placard
près du frigo
il y a
une tonne de médicaments
qui pourraient
anéantir
un quartier entier


22 sept. 2014

J'ai pas l'argent pour
m'acheter
une nouvelle bagnole
par l'argent pour
rembourser
ces putains de
crédits
&
ces saloperies de
dettes
en plus
étalées sur plusieurs mois
J'ai pas l'argent pour
investir
dans quoi que ce soit
&
puis j'ai pas
de boulot
de toute façon
non plus
alors
alors

y'a plein de solutions
qu'on me dit
pour s'en sortir
à moindre mal
alors
alors
je me détache des
réalités matérielles
&
je dis en moi-même
des tonnes
de mensonges
pour me résoudre
à rester dans
la droite ligne d'une honnêteté
héritée de mon éducation
blablabla
c'est tout
ce qui 
m'engage
blablabla


On a tendu un piège
à la nuit
l'enfermer
avec la mort qui rôde
sous nos fenêtres
on a regardé passer
tous ces gens
qui nous ressemblent
de moins en moins
mais je sais pas c'est
peut-être une illusion
d'optique
à un moment tu as dit que la folie
était un signe
du destin
et qu'il faudrait s'y faire
et puis on a mangé un truc rapide
j'ai bu quelques bières
à la fenêtre
on n'a rien dit pendant
de longues minutes
j'ai pensé
qu'il était temps
de moins subir les choses
on n'a pas dansé
pas baisé
on a éteint les lumières
et nos rêves se sont trouvés
coincés
dans des vertiges
sans fond





Retour en arrière sans onde de choc

rester là
entre quatre murs
entouré d'un soleil froid
d'objets de visages
de bruits familiers de poussières
de mots lus entendus
des échos
quelque part

se concentrer
sur un tracé
intérieur mais
impossible à suivre
serpenter comme
au hasard
d'une vie

qui nierait les réalités
du monde
qui n'en ferait pas
une priorité
qui viendrait
d'un passé lointain
longtemps neutralisé mais
resurgi
jusqu'à l'aujourd'hui

ne pas chercher à partir
ne pas se foutre de tout
ne pas se fixer de réponse précise
rien de précis
ne pas s'endormir dans l'alcool
rien de foutu

tricher encore un peu
quelques fois
avec les fausses évidences
qui tiennent le fil
ténu

&

se demander où cela va mener

et si la fraternité
des uns
peut compenser
(en partie)
le vide
en soi




10 sept. 2014

tout cela est très mortifiant (de Stéphane Bernard)

on ne veut pas décevoir

ce qui même compte pour rien.
tout cela est très mortifiant.
et cette liberté dont tu parles
est un fantasme mais pas sûr.
je ne suis pas tout comme toi.
je suis cérébral, peu viscéral,
j’ai l'introspection.
ma racine y croît,
arbre d’en bas d’où je pends.
je peux dire que mon infidélité est là.
je délaisse la chair. je pense je l’ôte.
c'est pas nouveau.
je suis comme ça. la passion ? trois années.
chaque seconde brûlait.
avant je n'avais rien d’ouvert.
et j’y suis entré, et j'ai refermé.

Au passage, merci à Murièle (L'Oeil Bande) de m'avoir fait découvrir ce superbe poème, via facebook ;-)

Crétineries avec glucose

Je ne m'interroge plus
depuis longtemps
sur le sens de la vie
je ne veux même pas savoir
si je suis assis dans le bon wagon
je regarde le paysage
changer au rythme des saisons
et il est possible que tout soit
mélangé

***
Les ours polaires
ont quitté la banquise
à cause du réchauffement climatique
mais ils n'ont pas disparu
ils prennent le bus 191
pour aller au boulot
ils compostent leurs tickets
arrivent à l'heure
traitent des dossiers
et c'est comme ça que la
civilisation tient encore le coup

***
Certains matins
n'ont pas de grandes exigences
un rayon de soleil
un café noir sans sucre
une clope
un regard tendre sur ton sommeil agité
un poème de bric et de broc
une vessie qui fonctionne
&
l'instant file
aussi léger
qu'une étoffe de soie sur un corps invisible

***
Je n'aime pas l'autorité
les poings sur la table
les conflits ouverts
les regards sévères
les pesants silences
je n'aime pas
cette vie précaire
ce peu de pouvoir
ce peu de vouloir
les bruits des scooters
je n'aime pas
les folles colères
les livres trop chiants
les jours qui se traînent
mes nuits sans repos






Crétineries sans glucose

l'instant d'avant a
un comme un goût
d'instant d'après
à se foutre du pendant
qui se prendrait pour le centre
du monde

***
c'est un jour ensoleillé et agréable
comme on les aime
la lumière du dehors
relègue en nos placards
bordéliques
les pluies anciennes
comme
angoisses, pensées noires & sales humeurs
sous une pile de vêtements
qu'on aimerait refourguer
aux Puces de Vanves ou de St-Ouen
avant que l'illusion
ne nous fasse retomber sur terre

***
on peut jouer avec les mots
mais pas avec n'importe qui
par exemple
la fraise
j'aime ce fruit
qui sied très bien
à la confiture
ou
à une tarte
saupoudrée de chantilly mais
si un journaliste écrit qu'untel
est parti faire le Djihad
avec une fraise
bien mûre
il n'est plus crédible

***
je compte dans ma tête
les gens qui passent
les chiens qui pissent
les voitures stationnées
les fenêtres aux immeubles
les pas que fait un homme
qui me ressemblerait
pour aller
d'un point à un autre
je note tout ça dans un carnet
intime
au final
je ne sais toujours pas
si le monde
bouge
réellement tant que ça





Où vont les mots
ceux qui ne sortent pas
ceux qui encombrent

puisqu'on dit
puisqu'on écoute
presque toujours les mêmes

Crois-tu qu'ils fondent sous la langue
dans l'estomac
dans un nuage de poussières
d'étoiles mortes
se sachant condamnés

qu'ils se détachent
les uns des autres
lentement
lettre par lettre
liaison par liaison
pour vider la mémoire

déjà saturée d'images
plus ou moins floues
plus ou moins réelles
plus ou moins désincarnées

jusqu'à ce "je me souviens!"
venu d'on ne sait où
servi sur un plateau

Crois-tu qu'ils écoutent
encore
la parole qui se répète
inlassablement
sans eux
le dialogue qui se noue
en artifice auquel ils
se refusent

Crois-tu qu'ils soient triés
sélectionnés
écartés
nés sous X
admis sous camisole
prescrit à dose homéopathique

jusqu'à ce "j'ai tout oublié!"
qui semble dire "je veux tout oublier!"

Moi je crois
que les mots
servent nos labyrinthes
sombres desseins
à l'intérieur desquels nous nous perdons
bien sûr
jusqu'à éviter
la lumière
la plus crue
la plus féroce
la plus humaine



9 sept. 2014

Pirouettes

Ouvre le col de ta chemise
si tu étouffes sous le poids du quotidien
ce serait tellement facile

Je ne fuis pas le quotidien
la banalité, l'extrême banalité
je m'y sens bien même
comme serti d'un collier
qui m'empêcherait de croupir dans les eaux sales

On parle un peu philosophie
mais je ne suis pas très renseigné sur le sujet
les contingences, heu oui, les contingences
elle n'a pas tout saisi
Kant, Husserl, Heggel je n'ai pas lu désolé
on parle un peu cinéma
musique
les films avec Patrick Dewaere, les westerns spaghettis
les films d'horreur, les vieux films en noir et blanc
qu'elle trouve trop vieux justement
les belles chansons de Leonard Cohen et les bouses
qu'on entend à la radio
mais moi j'aime bien Rihanna quand même
on parle un peu de l'avenir
de ma recherche d'emploi
Tu cherches vraiment ?
Rebsamen ne me fait pas peur !
de la cigarette électronique
par souci d'économies et qu'elle ne soit plus
une fumeuse passive
Mes vêtements sentent la clope au Lycée

L'autre soir on parlait
de réussir ou de rater sa vie
Je ne sais pas ce que je dois lire
entre les lignes, dans son regard
dans ses mots parfois durs
défi, provocation, sincérité ? 

Prolonger l'écriture me paraît encore la réponse
la plus adéquate
si tant est que l'écriture soit une réponse
une justification 
une façon de s'en tirer à moindres frais

Je n'écris pas toujours
loin s'en faut et le quotidien
revient inlassablement à la charge
avec ses mêmes étroitesses
ses mêmes gestes répétés cent fois mille fois
ce même ennui de soi mais
je ne fuis pas le quotidien
je m'y vautre
avec une certaine nonchalance
une certaine complicité
jusqu'à ce que la mort nous sépare
sans avoir rien résolu