19 févr. 2008

Ombre maternelle (de Régis Joubert)



Un peu de pub pour un pote (et collègue) Régis Joubert qui en a vécu des vertes et des pas mûres.

Extrait « Il attendit de longues minutes, debout, au milieu de la salle de bain. L’effervescence d’un ras-le-bol se faisait sentir depuis les derniers mois, difficile à maîtriser, l’envie pressante d’un retournement de situation, le désir de tout chambouler de manière brutale. Sam pensait être en pleine dépression sans savoir ce que cela signifiait et quels en étaient les réels symptômes ; c’était tout simplement une crise passagère comme il en avait déjà vécu mais beaucoup plus prononcée, s’étirant dans le temps, quelque chose d’angoissant et d’insurmontable. Le plus inquiétant était cette sensation qu’il avait d’être allé au bout de lui-même. Tout a une limite, le temps aussi, mais pas elle… »

Roman (broché). Paru en Décembre 2006 / 12,83 euros (Fnac)

Le style de Régis: mélange d'envolées lyriques et d'un récit crû et direct.

Un jour, quitter les bordures

Ces mots qui taisent
l'essentiel
ces gestes qu'on fait
péniblement
sans grâce
et les fenêtres qu'on n'ouvre
plus souvent
mais impossible de savoir
ce qui cloche
vraiment
On l'a de toute façon
l'air qu'il nous manque
Il est bien quelque part, non?
en espérant qu'un jour
on s'en souvienne
Pour quitter les bordures
Pour la vie en plein coeur

Parmi

Marché dans les rues
pas au hasard
pas n'importe ou
pas sur les clous
Marché dans la lumière
du jour
sans dire un mot
léger dans ce bien-être
en plein milieu
en plein reflet
je suis parmi
je suis
ici et là
moins dispersé
en sachant ou aller
boulangerie
intermarché
tabac
poste
&
restante y
faire la queue
y faire semblant
y être
tout simplement
y figurer parmi
en sachant ou aller
avec du pain
des clopes des timbres
avec tout ce qu'il faut
ici ou là
trouvé que les gens
autour
sont comme les mémoires
blessées
de mon refus
presqu'irréel
qu'ils me sourient
je suis vivant
parmi
je suis
c'est déjà ça
et prolongé
dans les allées
bordées d'arbres
grandioses
si c'est possible de ressasser
les impressions
sans tout brusquer
sans toute faire disparaître
léger dans ce bien-être

18 févr. 2008

Là ou les gens se croisent

Tu vois cette impression

fausse d'une ville

en mouvement



d'une ville imprévisible

désordonnée

vivante


Là ou les gens se croisent:

en pleines parties

d'échecs

Imprécation foireuse

On ne s'en rend pas compte
de toute cette poussière
C'est ce qu'il me raconte
à la sortie du bar-tabac
On ne s'en rend pas compte
mais nous marchons
dessus
ouais nous marchons dessus
Je range ma monnaie
sur des tas de cimetières
sur de l'histoire ancienne
sur la putréfaction
Pas vrai?
Si si
Et les ombres armées
s'installent parmi nous
j'en suis certain
Elles rôdent miradors
On ne s'en rend pas compte
c'est tout
Là le feu passe au vert
du hurlement des hyènes
ni du vol des vautours
On ne s'en rend pas compte
Possible Allez je file

Je traverse la rue
J'ai dans ma poche
un paquet de camels
une grille d'euromillions
et je
rentre chez moi
le soleil au ponant
après toute la poussière
bouffée
C'est pas plus compliqué

Un peu de tout, relativement

Relativement

la liberté

l'enfermement

Relativement

l'envie

la restriction

Relativement

l'amour les mots ou

l'abandon

Relativement

de tout

Selon la perspective

Selon

ce qui nous fait changer

d'avis

Selon les boules

du loto

sans les bons numéros

Mais ça ne se voit pas

Ca fait longtemps
qu'une larme
n'a plus
coulé pleinement
sur ta joue, sur la mienne
qu'un sourire tendre
de consolation
ne l'accompagne ensuite
Ce n'est pas forcément
un mauvais présage
ni de l'indifférence:
il pleure entre nous deux
plus de violence contenue
qu'il
ne pleut sur nos villes
et c'est une incongruité
qu'il faut prendre au sérieux
- sans doute

Country for never

Jamais
Il ne se résoudra à
s'en aller
vivre à la campagne
dans un bled vide
et paumé
parce que ?
parce que chaque matin
comme chaque soir
il ouvre la vitre
de sa voiture
et ses poumons en grand
sur le périphérique sud
pour d'un coup sec
humer
les vapeurs
qui sont le sang
de son addiction.

Ca porte bonheur, paraît-il

Il a marché
dans une grosse
merde
une merde
de chien
du pied gauche qui plus est
La merde
était tellement liquide
qu'il a glissé dessus
à la renverse
il s'est vautré
le crâne
en plein
sur le tranchant
d'un sabre
Celui
d'un samourai
qui n'avait rien
à foutre ici
Tant pis.

Un combat perdu d'avance

A 7h15
il est sur le qui-vive
il a bu ses cafés
fumé ses clopes
Aperçu la lune
il a pissé deux fois
chié s'il le faut
fait sa toilette
quand le jour froid se lève
à peine
et que les réverbères
ont vidé les clochards
à l'heure
Il se prépare à affronter
son
1965è
pointage
ou à peu près
au même rendement
pour un combat
perdu d'avance

Nouveau chapitre !

Il a vu
un slip
vert moche
vraiment moche
et une paire de
chaussettes
blanches
plus très blanches
qui séchaient à côté
sur le radiateur
il a fixé le plafond
des formes étranges
en se demandant s'il pourrait
jamais écrire un
chapitre neuf
en lui
avant de refermer
les yeux
sur tout ce qui n'avait
de cesse de revenir en
fait

17 févr. 2008

La balle de ping-pong

On n'a jamais retrouvé la
balle de ping-pong
qui était tombée
dans l'eau
l'année dernière
Etait-elle blanche
ou jaune
je n'ose même pas te poser
la question
puisque tu t'en fous
complètement
et moi aussi
au fond.

C'est comme ça

Je ne sais pas
si le froid y est
pour quelque chose
mais quand la journée
a commencé
je n'ai pas su
comment m'y prendre
je me suis recouché
comme qui dirait
j'ai fait la sieste
une longue sieste
au bout du compte
il s'agissait d'un
dimanche comme tant d'autres.

Grand Nord

Peut-être
qu'un jour
je fumerai la pipe
au milieu
des loups
et traverserai
l'Alaska
sur un traîneau
en pleine tempête
de neige
sans choper la crève
et peut-être même qu'un jour
je tournerai le dos
aux galères.