29 mars 2014

2 textes de Stéphane Bernard

Humus

jusqu'où porte le souffle ?
partagerons-nous cet air ?

te sentir -
mieux que d'y croire -
et tu es là.

la feuille est l'esprit du bourgeon
qui persiste après lui.
cette ombre éclose

par ce qui la nourrit

dans le temps brûle et tombe
en l'humus
où nue comme morte
tète sa branche.

les saisons se renvoient une sève.

point ici mais là,
l'absent en présence est si fort.

le père, le fils, eux aussi n'ont qu'un sang.

***


Dans le bain


le renoncement à l’hygiène est un des symptômes.

la crasse isole, met une distance de plus entre soi
et le reste du monde.
les mues s’agrègent, le futur pourrit sur pied.
c’est à ça que je pense, ici, dans mon bain.
l’eau ondule à peine déplacée
par la respiration légère d’un corps à la nervosité vaincue, presque cuit.
le hochement paresseux de mon sexe sous l’eau.
des nappes de peaux mortes à la surface, de poils
et de savon, vivante dentelle opaque, 
font disparaître mes jambes par endroits.
frotter. frotter cette peau, la bouillie, la rose.
quitter l’obsolète pénultième peau.
gratter, réduire l’étui qui me tient, la gaine.
dénuder, s’avancer un peu. contre l’air plus senti
déjà les brindilles des veines frissonnent.
frotter la peau. approcher. être de retour.


Stéphane a une écriture dense, exigeante...ce n'est pas de tout repos, surtout pour moi ;-)

Mais, on trouve des pépites sur son blog : http://unemainestaussiunpoing.blogspot.fr/



27 mars 2014

elle fixe un point par la fenêtre
et dit
-tu vois, là bas, c'est une autre vie
-laquelle ?
elle se tourne alors vers moi
et dit
-décidément tu comprends rien !
-je ne te comprends pas, toi, c'est différent !
-je sens d'épais brouillards en moi
elle baisse la tête
j'attends qu'elle dise autre chose
mais elle s'assied sur le lit
et dit
-excuse-moi, je suis fatiguée de tout ça
-moi aussi
elle s'allonge et ferme les yeux
-j'aimerais un rêve qui ne contienne absolument rien de la réalité
-comment savoir qu'il ne contiendrait rien ?
-ce serait comme oublier de sourire à quelqu'un qui ne sourit jamais
-et ?
-il n'y aurait aucun écho du monde
-sinon celui qui est en toi
-nan justement il n'y aurait qu'un flux face à un reflux parcourus de formes volatiles et inconnues
-une sorte de berceuse ?
-si tu veux, mais elle serait sans effet, ni cause ni conséquence
je me place face à la fenêtre
je cherche le point qu'elle fixait
tout-à-l'heure
en espérant accéder à sa proximité
je ne vois que des immeubles
un ciel nuageux
la buée sur la vitre


25 mars 2014

6 crottes de mammouth

donner le pire du meilleur de soi-même
et ne garder que
le meilleur du pire

***

commençons par
enfoncer le clown dans le mur
par le nez
puisque
la vie est un cirque
où la tristesse jongle avec l'échec

***

chaque jour qui passe
depuis ma fenêtre
me donne envie
d'acheter des rideaux

***

le silence
la solitude
et le pet

***

voir les choses en face
attendre qu'elles se retournent
et leur foutre un grand coup de pied au cul

***

un homme sur son vélo
pédale comme un fou
dans la grande avenue
il est suivi de près
par un fou
qui pédale sur un homme
en criant
à l'attaque !


j'ai pas de boulot
pas de fric
pas de quoi assurer les dépenses
du quotidien
le manger les études les factures
de gaz d'électricité les crédits
les vêtements les voyages le fromage
la purée la charge de la brigade légère
les bijoux de la castafiore
j'apporte rien de concret
le concret ça fait peur
j'ai encore des blagues des gestes tendres
je fais l'autruche la carpe
le zouave
le poteau d'exécution
l'ampoule dans la pénombre
le faux monnayeur
je fais le con
mais pas de quoi rassurer les angoisses
de plus en plus
pressantes
qui te font pencher
dangereusement
vers un sombre dimanche
qui n'aurait pas de lundi
te font pencher vers le cumul
de mes atermoiements
j'ai pas de boulot
pas de fric
pas de turbo diesel
pas de quoi prendre le temps
d'écrire mieux qu'avant au plus juste au plus près
de mes aspirations
de mes aspirateurs
ça ne se vend pas non
ça ne se vend pas
pas de quoi être fier de quoi que ce soit
venant de moi
du système qui nous broie
du noir
et pas de chien venant s'asseoir
près du lit
pour nous consoler
nan rien de tout ça

(to be continued)



d'où cette sale impression

je lave mes mains
mes aisselles
je lave mes dents
mes pieds
je lave mon visage
la vaisselle
je lave mon tee-shirt
ma chemise
mes chaussettes
je lave ma voiture
les vitres
je lave ma queue
après l'amour
je lave plein de choses
mais jamais rien de
tout ce qui se trouve
à l'intérieur
de moi

3 crétinoises + 1 bonus track d'Eric D.

L'appétit vient en mangeant
de la vache
enragée

***

Loin des yeux
        loin du coeur
proche des yeux
        proche de ma bite

***

dans l'encadrement
d'une fenêtre
un visage
que je ne peux pas
encadrer !

***

Bonus :

"J'aime quand elle a un haut et des bas" (Eric Dejaeger)

plus saisissante encore

dans la pluie fine du matin marche d'un pas résolu
à taire l'hier
il ne sait pas ce qu'il compte faire au juste pour parvenir à ses fins
ne sait pas si la marche d'un pas résolu efface l'hier
ni l'avant-hier ni tout ce qui le précède
ne sait pas s'il tourne en rond si les gens le reconnaissent le prennent pour un fou
il sent la chaleur dans son corps
une chaleur sportive une sueur d'efforts
ses pensées le suivent un peu en retrait mais elles referont surface
quand il s'arrêtera
en rentrant chez lui
qu'il n'aura plus d'objectif
il aura l'air fatigué des cernes sous les yeux une sorte de tristesse
aux contours indéterminés et c'est ce qui rendra cette tristesse
plus saisissante encore

14 mars 2014

Mon éditeur Fred Houdaer a récupéré les exemplaires chez l'imprimeur, hier !



"Un livre qui sent le cheval" (Le Monde, Mars 2014)
"Mieux que Bukowski et Brautigan réunis ! " (Playboy - Mars 2014)
"L'auteur au meilleur de sa forme !" (Fitness Magazine - Mars 2014)

5 mars 2014

Le roi (tribute to Heptanes Fraxion)

Le roi
se gratte la tête
il dit
sans réfléchir
les rues sont pleines de cul
les trottoirs sentent le rance la sueur
il dit
pas besoin de beauté
pas besoin de payer pour ça
la beauté c'est pour les riches
y'a qu'à attendre et se servir
et il se marre
j'suis un fameux philosophe hein ?
le roi
montre ses dents pourries
l'haleine à l'abordage
ses bras remuent dans l'air

il parle à personne
en particulier
il parle fort
pour qu'on l'entende à l'autre bout
il dit qu'il faut se faire entendre
pas besoin de se justifier
c'est comme ça
il dit
c'est comme ça la vie qu'elle est mon pote
il veut pas de réponse
pas de contradiction
le roi
il est seul maître à bord
je vous emmerde profond, messieurs-dames
il dit très poliment

Le roi
retourne en ses entrailles secrètes
déambule
il dit plus rien
il a déjà beaucoup parlé
le roi
est fatigué
il va falloir trouver de quoi
survivre
encore un peu ici
Le roi
n'a pas de remplaçant
pas d'héritier
le monde ne s'en remettrait pas
c'est sûr

Le texte de Hepta est ici : http://heptanesfraxion.blogspot.fr/2014/03/le-roi_4.html



4 mars 2014

8 petites bestioles

Fouiller sa mémoire
à la recherche d'un souvenir inédit
et s'il n'en vient aucun
fouiller la mémoire des autres

**

Parler pour ne rien dire
oblige l'interlocuteur
à entendre sans rien écouter
ce qui revient à placer
deux coques vides
l'une en face de l'autre

**

On vient du passé
mais avant cela : rien
on vit le présent
on va vers l'avenir
mais après cela : toujours rien

**

Vivre au jour le jour
c'est déjà faire preuve de patience
je vis seconde après seconde
et j'entends le tic-tac de l'horloge
qui me presse
de faire enfin quelque chose
de ce temps-là

**

Le marché du travail est tellement saturé
qu'un chômeur d'occasion
n'est même plus présenté en vitrine
il est directement remisé à la cave

**

Prendre le métro aux heures de pointe
mêler son odeur sa sueur à celles des autres
éviter d'écraser les pieds alentour
ne pas fixer quelqu'un en particulier
repousser d'un souffle les cheveux d'une femme trop parfumée
s'agripper fermement à la rampe glissante
espérer qu'aucune bombe n'explosera
trouver le temps excessivement long
sortir enfin du métro et vivre ça comme une putain de délivrance.

**

Il faut être fou
pour demander la main de quelqu'un
avant même de prendre son pied.

**

Demain est un autre jour
Je est un autre
Je vivra demain