27 nov. 2014

"Thierry Roquet & Friends" (Recueil collectif)

Recueil de 56 pages sorti début Novembre et paru chez Mauvaise Graine (de Walter Ruhlmann).

Au sommaire : Eric Dejaeger, Heptanes Fraxion, Jean-Marc Flahaut, Frédérick Houdaer, Jérôme Leroy & myself !
Que des poèmes inédits.

Illustration de couverture : Cathy Garcia.

Fred Houdaer en dit ceci : "Sans doute la meilleure anthologie à laquelle j'ai participé à ce jour (de par sa cohérence). Du beau linge (mais rien que des slips, pas de petite culotte)...".

Hepta en dit ceci : "Avec ma gueule au milieu de quelques ténors de la poésie narrative minimaliste...je dirai...minimaliste et non anecdotique...".

Jérôme Leroy en dit ceci : "On est dans cette horde sauvage-là, et on en est bien content".

Et ben moi, je suis d'accord avec eux !

Prix modique (5 euros).
Il faut toutefois ajouter des frais de port... heu... de 5 euros (pour la France) et 7 euros (pour la Belgique)...!!



On peut le commander ici : Sur Amazon
Ou ici : Sur Lulu
(format papier, version kindle...).



5 nov. 2014

Microbe #86

Le dernier numéro de l'excellente revue belge d'Eric Dejaeger & Paul Guiot vient de sortir.
J'ai pris grand plaisir à "piloter" ce numéro !
PS: pour les abonnés, il est accompagné du supplément Mi(ni)crobe de Jason Héroux.



4 nov. 2014

Cohues #15 (Revue numérique)

Le dernier numéro de la revue numérique "Cohues" est arrivé.
Des nouvelles, de la poésie.
Au sommaire, côté poésie : Stéphane Poirier, Brice Haziza, Perrin Langda, Antonella Fiori, Claire V.Corda, Wilfried Salomé et ma pomme.
Avec des dessins de Yasmine Blum.
A déguster ici


24 oct. 2014

Portrait de quartier (4)

On l'appelle comme ça depuis des années
le voisin du dessous
on le croise de moins en moins souvent
il a une maison en Touraine
où il semble vouloir finir ses jours et
il ne revient par ici
que pour des séjours à l'hôpital
il tente de soigner un cancer de la gorge
qui lui donne la voix rauque
cassée
qui lui donne une maigreur
à faire peur
des rougeurs sur le visage et dans le cou
sa femme est morte d'un cancer des poumons
avant il était dynamique
il faisait des travaux de peinture dans les escaliers
il réparait l'éclairage du hall et l'alarme incendie
il remettait d'aplomb la boîte aux lettres
il sortait les poubelles
il disait que ça l'occupait
que la retraite c'est souvent de l'ennui
à présent on ne compte plus que
notre bonne volonté pour le faire
ce qui n'est pas donné hein
je l'ai croisé récemment
le voisin du dessous
pour lui donner le chèque des charges de copropriété
il m'a remercié
il paraissait encore plus fatigué
encore plus maigre
mais il a tenu à discuter quelques minutes
et à conserver un semblant de sourire sur son visage
terriblement marqué

Portrait de quartier (3)

Y'a pas si longtemps
c'était encore mon coiffeur
c'est lui que je venais voir en tout cas
pas loin de la soixantaine
bedonnant
rougeaud
les cheveux bien blancs
dressés sur le crâne
il vous accueillait avec un grand sourire
un petit mot gentil
il savait discuter de tout et de n'importe quoi
vous demandait des nouvelles de la famille
de votre boulot de votre santé de vos hobbies
tout en glissant des plaisanteries
bon enfant
tout en restant concentré sur la coupe de cheveux
et il savait y faire
puis le salon qui l'employait a fermé ses portes
il me disait qu'un nouveau propriétaire
était pressenti pour bientôt
qu'il le connaissait un peu
et il espérait donc qu'on lui ferait à nouveau confiance
le salon a effectivement rouvert ses portes
s'est rénové
s'est rajeuni
s'est embelli
est devenu plus clinquant mais
celui qui était mon coiffeur n'y travaille pas
il habite un deux pièces
avec sa mère
une vieille dame qui peine à bouger
à quelques pâtés de maison de là
on se croise encore de temps à autre
il ne me reconnaît pas toujours
il passe le plus clair de son temps
désormais
à écluser les verres de vin au bistrot du
coin du petit matin à la tombée du soir
&
il n'en sort que pour s'occuper de sa mère
quand il en est encore capable


23 oct. 2014

Portrait de quartier (2)

depuis la mort de son mari
il y a déjà quelques années
elle vit seule mais elle
n'est pas malheureuse
elle voit plus souvent sa sœur jumelle et
toutes les deux retrouvent la complicité qu'elles avaient
quand elles étaient jeunes
elles s'habillaient pareil
elles se parfumaient pareil
elles reluquaient les mêmes garçons
leur mère avaient même du mal à les différencier l'une de l'autre
et cette situation les amusait beaucoup
elles ont encore toute leur tête
ne dépendent de personne
font leurs courses ensemble à la supérette du coin
elles ont bien sûr les stigmates de leur grand âge mais
elles n'ont pas peur d'avouer qu'elles ont
près de quatre-vingt dix ans au compteur
elles ont un sourire presqu'enfantin
refusent obstinément toute aide pour porter leurs sacs de provisions
elles ont toujours vécu dans le quartier
n'imaginent pas une autre fin qu'ici et
dans la légèreté et
dans un dernier grand éclat de rire
c'est ce qu'elles espèrent

Portrait de quartier (1)

ils gagnent bien leur vie
y'a pas à dire
ils ont un petit pavillon près de chez nous
ils ont deux belles voitures
sans être trop ostentatoires non plus
lui est expert-comptable
il est à son compte
il vérifie les comptes des entreprises
il effectue parfois des contrôles inopinés
son boulot lui prend énormément de temps
elle est avocate
au tribunal administratif de Versailles
elle s'occupe des litiges sur les permis de construire
elle invalide même parfois des élections municipales
son boulot lui prend énormément de temps
ils se croisent peu
mais ils ne font pas chambre à part
ils fonctionnent comme ça depuis des années
et ils ont trouvé un certain équilibre
ils ont deux enfants
qui poursuivent leurs études dans une école privée
l'aîné était dans la classe de ma fille avant
ils ne croient pas trop dans l'excellence de l'école publique
ils ont leurs raisons
ils disent qu'ils forment un couple moderne
où chacun suit sa route
et apporte sa pierre à l'édifice de la cellule familiale
ils font encore l'amour bien sûr
pas autant qu'ils le voudraient mais
ils espèrent que ça va durer longtemps comme ça




9 petites choses sans importance

deux de mes slips
pendent dans la salle de bain
il y a aussi quelques paires de chaussettes trouées
c'est ma première expo
d'art moche

***

une bière bien fraîche
m'attend dans le frigo
je crois que je vais avancer
d'un peu l'heure de la soif

***

je voulais écrire un poème sur les Bootleggers
puis sur un slogan de Mai 68
puis sur un groupe de cold wave de 1981
rien n'est sorti / de précis / sauf ce constat d'échec
en quelques lignes

***

je me regarde parfois dans la glace
je surveille l'avancée de deux ou trois tâches
dont la sombre couleur m'inquiète
ma femme ne trouve rien d'anormal / c'est possible
mais je regarderai quand même encore demain

***

à la télé ils montrent des morts
par dizaines
par centaines
par milliers
et juste après un but en pleine lucarne
et de la pub pour la nouvelle Audi
et j'exagère à peine hein

***

la nuit porte
le poids du jour
et c'est pour ça qu'on dort
si mal
tu penses

**

je me souviens de la mort de Patrick Dewaere et
de Romy Schneider
ou encore de celle de Bukowski et
de Léo Ferré et de tant d'autres
je me souviens d'un tas de choses
extérieures
mais je suis bien incapable de retracer ma
propre vie avec la même netteté

***

parfois tu ronfles fort
parfois tu parles dans ton sommeil
parfois tu cherches ta respiration
parfois tu te crispes de peur
dehors des papiers volent au vent
sous la pâle lumière d'un réverbère

***

je voudrais trouver le mot juste
celui qui ne se justifie pas
celui qui s'évidence
celui qui marche tout seul
celui qui vient ici
sans se soucier de moi

***



22 oct. 2014

Quelques photos du Cabaret Poétique (dimanche 19 octobre 2014)






D'autres photos sur le blog de Fred : http://houdaer.hautetfort.com/archive/2014/10/21/c-etait-le-cabaret-poetique-du-19-octobre-premiere-partie-5472958.html


Les fantasmes ont pas d'âge (Grégoire Damon)

le sage m'a dit     tu frimes tu te vautres dans la complaisance
tu es très occupé à t'engluer dans la réalité la plus quotidienne    et le reste du temps tu rêves à des clichés en croyant que ces rêves ont exactement
                                 ton âge
                                 ta taille
                                 tes artères
                                 tes bronches
mais les fantasmes n'ont pas d'âge
ni le tien ni celui de personne
la richesse
la gloire
les trucs humides et parfumés
ne sont pas ton histoire      c'est l'histoire tout court
tu ne feras pas de poésie avec ton inconscient
TOUT LE MONDE A À PEU PRÈS LE MÊME
tu ne feras pas de coup d'édition avec tes frustrations
TOUT LE MONDE SAIT À PEU PRÈS CE QU'IL FERA AVEC UN MILLION
quant à signer de ton nom
ce serait
              une violations des principes les plus élémentaires de l'honnêteté intellectuelle
et
              un abus de bien social

(bien qu'il faille reconnaître
que tu croises
beaucoup de philosophes déguisés
en clodo
pour un mec de ton âge et de ton milieu)

à ce tableau de Munch

quand la lumière du jour
révèle
une ombre d'épouvante

qui se refuse à disparaître

elle ne ressemble pas au passé
et ni toi ni moi
ne pouvons y
mettre de mots dessus

de ces mots qui pourraient rassurer
elle a ton visage entre
ses paumes
fermement serrées

quand tu dis qu'elle agit
de jour en jour
sur toi
en toi
à travers toi
que c'est inéluctable

qu'elle est le tranchant d'une lame
intime
qui te scinde
en deux parts inégales

je te regarde
intensément
dans ces moments-là et
je ne vois plus
que cette ombre d'épouvante

je pense à ce tableau de Munch
à un pont sur la Seine obscure
je pense au dernier pas juste avant la falaise
et
je n'ose imaginer la suite


18 oct. 2014

Cabaret Poétique ce dimanche 19 Octobre 2014

Voilà ; c'est demain à 17h, à Lyon.
J'en serai, en compagnie de 4 poètes slovènes.
J'ai réservé tout le TGV. Pour m'entraîner correctement.
Je lirai 17 de mes textes au Cabaret Poétique.
Accompagné à la guitare par Greg Damon.
Merci à Fred Houdaer pour son invitation.
Non, je ne suis pas stressé, absolument pas. Alors, là, hein !
Et Saida m'apprend à respirer correctement...


17 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 20)

Quand on fait les courses
maman choisit
ce qu'on mange
mais aussi
mon cartable
&
mes vêtements
maman choisit aussi
ma coupe de cheveux au bol
&
quand je donne mon avis
elle répond
ça ira très bien comme ça
elle dit aussi qu'elle n'a pas le temps de cuisiner
alors on dîne généralement
d’œufs brouillés
de pâtes
&
de boîtes de conserve
je déteste le goût des salsifis
des fois j'en ai marre de toujours manger la même chose
maman réplique
arrête de te plaindre c'est fatiguant à la fin je fais ce que je peux
de toute façon
elle n'a pas d'autorité sur moi
elle s'énerve mais je rigole
elle me donne une claque mais je rigole encore
alors elle me traite d'insolent
&
brandit la menace
tu verras quand ton père sera là !
des fois
je les entends s'engueuler
quand papa rentre trop tard du travail
je reste planqué dans le noir
à l'étage
j'entends maman pleurer
&
claquer une porte
je retourne alors vite fait
dans ma chambre
j'éteins la lumière
&
je fais semblant de dormir

16 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 19)

"J'ai bien reçu ta lettre
où tu racontes ton voyage en Afrique
&
les animaux que tu as vus dans la savane mais
ici c'est différent
il y a des punaises
qui puent très fort
quand on les écrase
elles se faufilent le long du rebord boisé
de ma fenêtre
il y a des grenouilles
près de la minuscule rivière
en bas du jardin
elles sautillent de joie quand on les approche
tu les aimerais bien j'en suis sûr
il y a des guêpes aussi
qui se posent sur la table
quand on déjeune dehors
certains dimanches d'été
j'ai horreur des guêpes depuis
que je me suis fait piquer
deux fois de suite à la même main
alors j'emporte mon assiette à l'intérieur
de la maison à l'abri des bourdonnements
&
je termine mon repas tout seul
papa et maman se moquent gentiment de moi
il y a des serpents
dans les champs d'en face
papa dit que ce sont des couleuvres
mais il n'en est pas sûr alors on détale à toute vitesse
quand on en croise une mon frère et moi
on aime bien jouer à se faire peur tu vois
il y a des cousins
qui se posent sur l'eau
je ne sais toujours pas s'ils piquent plus fort
que les moustiques
mais ils n'ont pas l'air très sympathiques
il y a aussi
d'énormes toiles d'araignées
près des piquets de thym
&
de laurier
qui poussent le long d'un mur
et maman m'a surpris plus d'une fois en train de pisser dessus
et j'ai reçu plus d'une fois des grosses claques
j'espère qu'on se reverra un jour
parce que j'ai encore plein de trucs
à te raconter..."

Dans la maison de mon enfance (Extrait 18)

Maman
est institutrice
dans mon école
mais elle ne veut pas que j'aille dans sa classe de CM1
&
papa
est ingénieur en informatique
j'ai pas trop compris ce qu'il faisait exactement chez IBM
Maman
conduit une deudeuche bleue
qui bouge beaucoup
de bas en haut
de haut en bas
&
papa
a une R16 bleue foncée
avec des sièges en skai
qui brûlent les fesses
quand il fait chaud
maman
vient de la campagne
plus exactement d'une ferme
avec quelques vaches quelques cochons
quelques lapins quelques poules
quelques champs de mais
avec aussi un tracteur Massey Ferguson
&
papa
ne parle pas trop de là
où il vient
c'est maman qui en parle à
sa place
juste un peu sans entrer dans les détails
sauf quand
il s'agit de conclure
qu'il ne veut pas faire de nous
des enfants pourris gâtés à qui tout serait dû
parce que c'est
à la force du poignet
&
d'énormément de travail
qu'on peut s'en sortir
dans la vie
et pas autrement
il faut que ce soit bien clair aussi pour vous insiste t'il
oui oui répondons-nous en chœur mon frère et moi


Dans la maison de mon enfance (Extrait 17)

Quand on m'a dit que pépé
était mort à l'hôpital
j'ai ressenti un peu de tristesse je crois
mais pas tellement
il était déjà très vieux
depuis longtemps
&
je l'avais finalement assez peu connu
mais c'était pépé quand même
puis on m'a dit que son corps
allait venir à la maison
qu'on allait le veiller pendant
quelques jours
j'ai demandé à maman si on pourrait faire la même chose
avec un hamster
mais elle m'a répondu de ne pas raconter n'importe quoi
&
il a fallu l'embrasser sur le front
c'est la coutume on m'a dit
pépé était allongé dans le lit
de la chambre d'ami
son corps imposant était tout raide
ça me faisait sacrément peur de l'approcher
encore bien plus de devoir l'embrasser sur le front
j'ai regardé maman et papa
j'ai regardé mamy et papy
j'ai regarde mémé et mon frère
j'ai regarde par terre et dans le vide
&
j'ai regardé pépé qui ne bougeait pas
c'était à mon tour de l'embrasser sur le front
à mesure que j'approchais de lui
des idées bizarres me traversaient l'esprit
comme quoi pépé allait subitement se réveiller
et me crier dessus de lui rendre son âme
comme quoi il allait me donner le virus de la mort
et que j'allais mourir moi aussi juste après
j'ai récité très fort une prière dans ma tête
une de ces prières que j'avais apprises au catéchisme
et dont je ne pensais pas devoir un jour me servir
&
j'ai embrassé le front glacé de pépé
du bout des lèvres
&
en fermant les yeux
je ne me sentais pas plus rassuré mais
il a pu être enterré en Bretagne
un peu plus tard

15 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 16)

Seul dans ma chambre
je m'ennuie
je n'arrive pas à me
concentrer sur quoi que ce soit
ni sur mes devoirs 
ni sur une histoire 
ni sur une pensée
j'ai demandé tout-à-l'heure à mon frère s'il voulait jouer au ballon avec moi
dans le jardin
mais ça ne l'a pas intéressé alors
je feuillette quelques revues quelques BD puis
je les range sous mon lit
je pose le front à la fenêtre vers
la piscine des voisins vers la minuscule rivière
en bas de chez nous vers les
champs à l'abandon vers l'horizon de la
grande ville mais rien ne
me fixe bien longtemps alors je décide de faire du rangement
pour la n-ième fois je change les livres de place
en m'imaginant que cela m'incitera à voir
la vie sous un angle neuf mais rien n'y fait alors
je m'allonge dans mon lit
je commence à croire
que la journée n'en finira jamais
absolument jamais et puis
je pense à K. que j'aime en secret
et qui m'a regardé plusieurs fois hier en classe
et qui est peut-être aussi amoureuse de moi
mais jamais je n'oserai le lui demander
&
quand j'ai suffisamment pensé à K.
je me relève du lit je recommence
à m'ennuyer à tourner en rond
dans mon bocal je toque contre le mur
de la chambre de mon frère je lui demande encore
s'il veut jouer au ballon avec moi dehors
mais il répond NON sèchement alors
j'ai l'impression d'avoir été maudit par je ne sais qui
&
d'être le plus malheureux sur terre
en ce moment ah ça oui
&
c'est comme une sensation d'étouffement
à l'évocation de cette phrase je sens d'ailleurs
quelques larmes couler
&
c'est dans ces moments-là
pourtant
ou juste après je ne sais pas trop
qu'un déclic se fait
c'est très curieux quand même


14 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 15)

Un jour
mon frère est rentré de l'école
en disant
d'un air tout-à-fait tranquille
qu'il pissait tout rouge
mais que ça ne lui faisait pas mal pour autant
maman affolée a demandé
à vérifier
&
ce rouge avait la consistance du sang
c'est ce qu'elle a affirmé à papa au téléphone
qui était encore à son travail
&
qui lui a répondu de l'emmener aux urgences
j'ai accompagné maman
&
mon frère à l'hôpital de Nantes
on a attendu longtemps
maman ne tenait pas en place
nous non plus
&
une fois que le médecin
est revenu nous voir
il arborait un étrange et grand sourire
maman a éclaté en sanglots
j'ai cru qu'il voulait lui faire du mal exprès
mais elle a ensuite chaleureusement remercié
le monsieur en blouse blanche
qui a questionné mon frère sur ce qu'il avait mangé à la cantine
maman a alors appelé papa
qui était encore à son travail
pour lui dire que ce n'était plus la peine
qu'il nous rejoigne aux urgences
oui ça va mieux il a simplement mangé beaucoup trop de betteraves ce midi
mon frère
était tout content
et plutôt surpris
de provoquer ainsi l'hilarité générale
j'en étais presque jaloux



13 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 14)

Le mercredi après-midi
il n'y a pas école mais
papa & maman nous ont
concocté un programme bien chargé
on commence d'abord
mon frère et moi
par une heure de
"Mini school" avec d'autres enfants
où une grosse femme
très antipathique nous enseigne
des rudiments d'Anglais
papa et maman insistent
sur l'importance de bien apprendre cette langue
pour plus tard
puis je vais à mon entraînement de foot
mon frère fait du judo
je m'amuse comme un fou
à dribbler tout ce qui bouge
&
je me fais assez vite engueuler par l'entraîneur
justement
parce que je dribble tout ce qui bouge
puis je vais au catéchisme
mon frère en est exempté c'est dégueulasse
le curé en soutane
nous raconte la vie de Jésus
nous demande de réciter les pêchés capitaux
&
deux ou trois prières apprises par cœur
sans rien comprendre
on termine l'heure religieuse par une chanson d'amour
"c'est un fier et beau navire qui s'appelle le monde-ami"
avant j'apprenais aussi le solfège
parce que j'avais l'oreille musicale
apparemment
mais je n'ai pas tenu plus de trois cours
ce qui n'a évidemment pas plu du tout à mes parents
&
puis je vais bientôt faire ma première communion
toute la famille viendra de Bretagne pour l'occasion
&
quand on rentre à la maison
il faut encore faire les devoirs d'école
sous étroite surveillance
&
on peut enfin regarder les dessins animés à la télé
j'entends souvent papa répéter à l'envi
quand vient le mercredi
"Mens sane in corpore sano"

Dans la maison de mon enfance (Extrait 13)

Maman dit qu'elle aurait aimé
avoir une fille
&
que si j'avais été une fille
ils m'auraient appelé Florence
ils avaient déjà choisi le prénom
papa dit qu'il s'en foutait
d'avoir une fille ou un garçon
c'est le hasard, tout ça, on n'choisit pas... mais c'est très bien un garçon, plaisante t'il 
j'aime bien leur poser des questions
j'aime quand ils répondent à mes questions
j'aime bien quand les repas du dimanche midi
se passent dans la bonne humeur
maman dit qu'elle aurait aimé
avoir un troisième enfant mais
que pour la naissance de mon frère
elle précise bien que ce n'est absolument pas de sa faute
sa césarienne s'était très mal passée
et les médecins lui avaient alors fortement déconseillé
d'envisager une nouvelle grossesse
ça aurait été trop dangereux
maman a la larme à l’œil quand elle raconte tout ça
&
papa nous raconte une blague
pour détendre un peu l'atmosphère
mais je pense encore à quelque chose qui ne passe pas
j'aime bien être un garçon
ça c'est sûr mais
je ne sais pas si je dois le leur dire
ou si je dois attendre
ou si je dois cacher ce que je fais
quand mes parents ne sont pas encore rentrés à la maison
je vais dans leur chambre
je fouille dans leur armoire
&
j'essaie les petites culottes de ma mère
et ses jupes



Dans la maison de mon enfance (Extrait 12)

On a des voisins
bien sûr
mais l'endroit paraît
quand même
à l'écart du monde
le chemin qui mène à la maison
n'est pas encore goudronné
il est étroit
bosselé
poussiéreux
&
puis les voisins
on les voit
à peine
ils vivent dans leur coin
ils sont là depuis longtemps
ils ont de vastes demeures
d'immenses jardins
&
de hautes haies bien taillées
je les aperçois depuis la fenêtre
de ma chambre
planqué derrière un bout de rideau
quand ils se baignent certains jours
dans leur piscine
qui me fait drôlement envie
à côté de notre maison
toute neuve
il y a une autre maison
comme la nôtre
en construction
pour l'instant c'est rien qu'un gros trou dans le sol
&
à quelques kilomètres de là
les premiers immeubles
maman dit que ce sont des HLM
poussent
comme des boutons d'acné
à la gueule
de l'ancienne campagne


12 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 11)

Papa
il me fout la trouille rien
qu'avec son regard
&
quand il s'énerve
qu'il entre dans une colère noire
parce qu'on ne va pas dans son sens ou
parce qu'on lui répond
mieux vaut rentrer dans le rang
&
arrondir les angles
c'est ce que sait très bien faire maman
qui nous sert de tampon
papa
il a des avis tranchés sur plein de choses
-Le rock, c'est une musique de sauvages
alors à la maison
on écoute Sheila Brassens Michel Sardou
Bach Vivaldi
mais aussi Malicorne
les Tri Yann Alan Stivell ou An Triskel
-Mai 68 c'est une vaste fumisterie
je sais pas trop ce qu'il veut dire par là
maman ne le contredit pas en tout cas
alors à la maison
on ne parle presque jamais
de rien qui m'intéresse
on n'a jamais entendu parler du punk
on parle uniquement des études
de réussite
&
de travail
alors à l'école
j'essaie d'avoir un autre son de cloche
de tirer sur ma première clope
de faire comme les autres
sans trop oser non plus
car
c'est pas facile de jongler
avec ce que j'entends d'un côté
&
ce que j'entends de l'autre

Dans la maison de mon enfance (Extrait 10)

Je rentre de l'école
dans la deudeuche bleue de
maman qui me demande
si j'ai eu des bonnes notes
aujourd'hui
je lui réponds toujours
oui
même quand c'est pas vrai
&
je croque à pleines dents
le pain d'épice
de mon goûter
&
je crois pouvoir convaincre
maman
de m'acheter des figurines Panini
pour compléter mon album
mais
maman dit
d'un air très concentré sur les virages
de la route 
qu'on verra ça plus tard
quand elle aura signé mon carnet de notes

Dans la maison de mon enfance (Extrait 9)

Mon frère
&
moi
on s'aimait bien
mais on se battait souvent
&
ça pouvait être assez violent
en y réfléchissant il pouvait s'agir d'une lutte de pouvoir
entre deux caractères très opposés ou
d'un entraînement encore inconscient pour le Struggle for Life
dont nous parlait papa d'une certaine façon
&
la plupart du temps
même si je le niais évidemment à l'époque
j'étais à l'origine de nos accrochages sauvages
car
mon frère avait
un caractère plutôt paisible
&
solitaire
il semblait n'avoir besoin de personne pour jouer
pour s'exprimer
tandis que moi
je reportais d'un coup
toutes mes frustrations
d'enfant gâté qui devait montrer l'exemple
par une agressivité
&
une sournoiserie verbales
qui me paraissaient normales alors
que je ne parvenais à évacuer ni autrement
ni ailleurs qu'à la maison
alors
mon frère
me courait après pour me cogner
il courait vite nom d'un chien
&
je riais
autant par peur que pour exciter sa colère
&
plus je riais
plus il s'énervait
plus il redoublait d'efforts pour me cogner
&

papa intervenait
avec la complicité de maman
il nous filait une putain de raclée
à tous les deux
&
quand la situation s'était enfin apaisée
papa prenait le parti de mon frère
&
maman prenait le mien
en général

11 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 8)

Cachée sous
les arbres
pleureurs
la minuscule
rivière
serpente
en contrebas du jardin
on y voit parfois
d'aussi
minuscules poissons
nager
près des bateaux
de papier
à un mât
qu'on essaie de faire
voguer
on s'assied sur la rive
boueuse
on écoute les chants mélodieux
des oiseaux
on observe les lents déplacements
des vers de terre
on entend des grenouilles
et des aboiements dans le lointain
on pense à de longs voyages
à des terres inconnues
à des romans de Jules Verne
à des enfants perdus sur une île déserte
comme dans Deux ans de vacances
puis mon frère
qui s'ennuie à présent
s'amuse à enjamber
la minuscule
rivière à
sauter d'un bord à
l'autre
à cloche-pieds
à prendre de plus en plus
d'élan
&
je fais comme lui
&
il n'est plus question que
de défi sportif
de jeu viril
de chutes sans gravité
&
de vêtements horriblement sales


10 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 7)

En fouillant dans un tiroir
du grenier
je tombe sur quelques vieux poèmes
ce sont des alexandrins rimés
je reconnais l'écriture soignée de mon père
&
je souris car
il ne m'en a jamais parlé
il ne parle jamais de ce qui l'a tracassé
de ce qui s'est passé dans sa tête à l'époque
de ce qu'il aurait aimé faire
un de ses poèmes parle de
spleen
&
dans la bibliothèque
du salon
on trouve d'ailleurs les oeuvres complètes
de Baudelaire
dans la collection La Pléiade
mais aussi quelques autres classiques français
Bossuet Chénier Hugo
près de l'intégrale Tout l'Univers
&
des 5 tomes de L'éducation sexuelle illustrée
dont le dernier
accompagne alors mes fréquentes
masturbations
dans ma chambre
Papa est maintenant abonné à l'Express
à l'Expansion
&
la poésie c'est de l'histoire ancienne


Dans la maison de mon enfance (Extrait 6)

Sur le mur de la pièce
plongée dans le noir
défile
le court-métrage
muet
de
nos dernières vacances
papa est fier de
de qu'il a filmé avec
sa caméra super 8
dernier cri comme il dit
maman se trouve trop
grosse
dans l'une des scènes
de plage
mais non, lui assure papa, et puis tu poses comme une star
mon frère s'exclame devant tout ce
qu'il reconnaît
nos cerfs-volants
l'auberge où nous avons dormi une nuit
le grand lit unique
les ânes de Gabrovo
la jolie guide le mini bus vers Veliko Tarnovo
j'entends souvent dire
que je suis le
plus sensible
parce que je reste longtemps
inconsolable
quand il s'agit d'évoquer les choses
qui sont à jamais terminées
-Y'en aura d'autres, des beaux moments, promet maman, tu verras mon chéri
-Il va falloir t'endurcir un peu, mon gaillard, sourit papa
qui rallume à l'instant la lumière
rembobine la pellicule
&
la range dans une boîte
hermétique
qu'il nous donnera peut-être un jour quand on sera plus grand
mais en attendant, il est l'heure d'aller au lit



un nuage sans bonheur

Vers où
vers qui tourner la lampe de chevet
du mort

car la lumière d'après
est-elle plus naturelle
que la divine - devine
ce qu'il y a

pour déjeuner

on essaie le non sens des aiguilles du temps
non sans humour
non sans appréhension
moules au vin blanc

y'a aura 'il du monde à l'enterrement
et le curé
a t'il écrit le bon sermon

on n'en sait rien
on verra ça plus tard
et pour l'instant
j'ai perdu de vue mes lunettes
moi c'est mon parapluie
et moi mon téléphone
la vie n'est pas rose tous les jours
déjà il ne pleut plus
ma foi

et le mort dans tout ça
il fait du bruit
la nuit
quand on le veille
qu'on le surveille
sans qu'il s'éveille
bah c'est normal

et tous ses livres dans la bibliothèque
tous ses habits
tous ses meubles
dans la conversation

et ses économies
on va les prendre
les partager
il ne peut plus rien dire

il était bien malade
mais
il faut l'embrasser puisqu'il est
froid
pour quelques heures encore
ça fait bizarre

c'était pépé
en mil neuf cent trente sept
sur la photo

oui oui
il aura bien vécu
longtemps vécu
on te racontera son histoire
une autre fois

et puis le ciel
se fout de toute cérémonie
de toute mémoire
de la tristesse aussi

il y aura toujours là
au dessus de nous
un nuage
sans bonheur

qu'on essaiera de
détourner



9 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 5)

tu sais qu'on t'appelle
par ton prénom
tu sais qu'on t'aime
aussi
puisqu'on te le dit parfois
tu n'écris pas encore scrupuleusement
dans un journal intime
en fait ce sont des cahiers d'écolier
avec des grands carreaux
les détails de ta journée
pour te sentir exister
pour te souvenir que tu as bel et bien existé
à telle ou telle date
tu ne te révoltes pas
tu n'en a pas le courage
tu ne supportes pas les conflits
tu crains le regard froid les cris de houle
le chantage affectif la culpabilité
tu fais ce qu'on te dit
et si tu rechignes par moments
tu reviens vite quand même
dans le droit chemin
tu as de bonnes notes à l'école
même si tu ne travailles pas beaucoup
tu essaies de faire plaisir à
tes parents
tu as très peu d'amis
tu restes longtemps seul dans ta chambre
enfermé
tu développes une timidité maladive
tu pratiques même la politique de l'effacement
jusqu'à ce qu'on ne remarque ni
ta présence ni
ton absence
(c'est l'impression que tu as)
&
que tes mots s'effilochent dans l'air
exténués par leur
propre vacuité
tu dis je à tout bout de champ
et tu ne comprends pas
qui est ce je ce rôle qui
parle en toi
alors
heureusement qu'il y a les
livres d'images heureusement
qu'il y a les livres qui racontent
des histoires

Dans la maison de mon enfance (Extrait 4)

J'ai souvent peur
la nuit
dans mon lit
j'ai étalé partout sur la moquette
des feuilles de papier
comme un signal sonore
je me suis fabriqué
une arme préhistorique
un bout de bois transpercé de grands clous
que je garde à portée de mains
les volets sont fermés
j'ai 6 ou 7 ans
je ne sais pas pourquoi
cette peur
elle est là presque chaque soir
comme les cris rauques d'un hibou
comme le souffle des vents dans les feuillus du jardin
&
dans l'obscurité
de ma chambre
à l'étage
mon cœur s'emballe
je ne bouge plus
je respire à peine
je suis complètement
paralysé
car
il y a cette ombre menaçante
cette ombre fixe
penchée
sur moi
&
il me faut du temps
pour admettre
qu'il s'agit cette fois de
ma lampe de chevet
ronde et chauve comme un crâne
alors
je sors de cette apnée
complètement épuisé
avec la sensation de l'avoir
échappé belle
mais
je garde ce secret pour moi
évidemment

Dans la maison de mon enfance (Extrait 3)

On pédale comme
des fous
mon frère et moi
sur le chemin
caillouteux
qui mène à la grand-route
&
un voisin de notre âge
(j'ai oublié son prénom)
nous rejoint bientôt
&
tout couverts
de sueur et de poussière
on fait la course
parce qu'il n'y a pas grand chose d'autre
à faire
ici
puis il nous invite à
goûter chez lui
il habite une haute maison en pierre
(on dirait un château miniature)
avec de larges fenêtres
&
moi
dans mon for intérieur
je trouve qu'il en a
de la chance
son père n'est presque jamais là
(il est tout le temps en voyage)
et sa mère
est encore plus belle que
la mienne
&
quand elle promet qu'un jour
(son sourire est radieux)
elle nous emmènera faire
un tour de barque sur
l'Erdre
juste à côté de chez eux
alors
je crois que je suis amoureux
(en tout cas, je repense à son visage avant de m'endormir)


8 oct. 2014

dans la maison de mon enfance (Extrait 2)

Un petit chat
gris
miaule devant la porte
du garage
on le caresse
on lui apporte un
bol de lait
qu'il lape avec gourmandise
on aimerait le garder
papa est d'accord
mais 
pas maman elle
n'aime pas les animaux
-et puis c'est trop de travail de s'en occuper, ajoute-t-elle
alors
maman referme
la porte
sur le petit chat
gris
qui miaule
encore un peu
avant de disparaître
quelque part
dans la vaste campagne environnante
(mais pas dans mes pensées)
j'ai même espéré longtemps qu'il nous
revienne un jour
ou l'autre
depuis mon poste d'observation
(à la fenêtre de ma chambre)

7 oct. 2014

Dans la maison de mon enfance (Extrait 1)

Le cerisier
dans le jardin
en pente
est si haut qu'un
escabeau géant est posé
contre son tronc
gluant
-les meilleures choses sont à ce prix, promet papa
jamais avare de phrases
impressionnantes
lorsqu'il grimpe
pour remplir le panier
accroché à son bras
maman lui demande de
faire bien attention
papa secoue quelques branches
je ramasse les cerises
tombées
-t'inquiète maman, je tiens l'escabeau, prévient mon frère
d'un an plus jeune que moi
papa redescend
le panier est plein de grosses cerises
rouge écarlate
et maman
soulagée
dit qu'elle va pouvoir nous
préparer un bon clafoutis pour ce soir

29 sept. 2014

Un grand écrivain ( devient un grand écrivain ) (de Jean-Marc Flahaut)

un grand écrivain
( devient
un grand écrivain )
dès lors qu’il sait recycler
les idées des autres
sans se faire piquer
voilà le secret
lui
sait ça
mieux que personne
alors
il reprend le livre

comme ça
dans sa main
c’est bien
puis
l’ouvre
comme une pomme
en son milieu
respire profondément
et fait semblant
de lire ce qu’il lit
car en réalité
chaque mot
chaque phrase est imprimée
dans son cerveau
comme l’adresse d’une maison
en flammes
il insiste
un peu
et finit par reposer le livre
qui se consume
sur le sol
en se déglinguant de partout

et il se lève de sa chaise
et il regarde la bibliothèque
et il s’avoue vaincu
une fois de plus

( 2009 )





26 sept. 2014

c'est un effort au dessus de mes capacités

trois
en face de moi
trois faces de rats
souriants
&
bien habillés
deux hommes et une femme
plutôt mignonne
tous
responsables
d'une entité bien précise
au sein de l'entreprise
mais je n'ai pas le temps de retenir toutes ces informations
je n'ai pas le temps de comparer leur vacuité à la mienne
on est ici pour une raison bien précise alors
on m'écoute poliment
parler
on me fixe du regard
en faisant des hochements des gloussements
des moues
difficiles à interpréter
on me demande
de me présenter
de parler de moi de mon parcours
de mes motivations
on me demande de préciser
certains points
de détailler
ce que j'ai fait jusqu'à présent
sur chaque poste
et
on cherche à me déstabiliser
peut-être
en pointant les nombreux trous temporels
dans mon CV
on me demande
si je connais l'entreprise
si j'en ai déjà entendu parler
on me demande
si j'ai de l'ambition
si j'ai vraiment envie de m'investir
si j'ai confiance en moi
on me demande
un tas de choses auxquelles je n'ai
nulle envie de répondre
d'une voix asséchée
par une mise en scène bâclée
par certains mensonges nécessaires
par la peur de mal faire de mal dire
et
mes yeux passent de
l'un à l'autre
trois
ils sont trois
en face de moi
dans cette salle exiguë
aux larges vitres transparentes
n'importe qui pourrait nous voir
n'importe qui pourrait nous entendre
n'importe qui dans mon dos
je tente
de cacher les réactions de mon corps
de conserver la tête hors de l'eau
bouillonnante
et
mes yeux cherchent de
nouveaux repères
plus solides
plus intimes
j'aimerais pouvoir me détendre
raconter une bonne blague
respirer sans confondre l'inspiration avec l'expiration
j'aimerais leur lire un poème que j'aime
ouvrir une bière bien fraîche et trinquer
à la santé de l'entreprise
à n'importe quel boulot alimentaire
au monde tout simplement
et
mes yeux se perdent
se faufilent déjà
jusqu'à ma voiture
jusqu'à la clé de contact
jusqu'à ce bruit de moteur
et d'accélération
jusqu'à ce chez moi
où je pourrais enfin
retrouver mes ombrageuses mélancolies
en concluant
à une certaine inaptitude sociale
en toute connaissance de cause

25 sept. 2014

on pourrait voir ça
comme une succession de croix
plaquées au sol
où sommeilleraient d'invisibles martyrs
d'un rue l'autre
que les hommes les femmes
les chiens les véhicules
d'ici
piétineraient
à tout instant
sans rien sentir d'autre qu'un goudron
dur
et
protecteur

on pourrait voir ça
comme une suite de perspectives
à la Bernard Buffet
rachitiques dans l'éloignement
gigantesques à l'approche de
tel ou tel bâtiment
et nos yeux nos corps
nos émotions
se déformeraient
continuellement sous
l'empreinte d'un crayon

on pourrait voir ça
comme un jeu de constructions
à monter soi-même
et
à la fenêtre
je déplace d'ailleurs cette femme
en case D4
pour la faire avancer de plusieurs cases
jusqu'à la Boulangerie
en F7.



24 sept. 2014

boite de conserve

en tête
quelques
intonations de l'inquiétude
une
échelle de valeurs
où manquent quelques barreaux
un
sentiment
de déclin
des
signaux envoyés
à l'autre
et puis
ouvrir une boîte de conserves
histoire de combler
notre appétit
de vie

23 sept. 2014

dans quel film

dans
quel genre de film
on se trouve
je me demande

comédie romantique
satire sociale
série B série Z
western spaghetti
sans bolognaise
road-movie sanglant
ou film d'auteur
statique
& chiant

on peut repasser le film
dans sa tête
et trouver à redire sur la distribution
des rôles
c'est certain parce que

le héros solitaire
qui traverse la Place
jusqu'à la boîte aux lettres
n'impressionne personne

la garce qui roule du cul
s'attire vite les foudres
des moralistes fanatiques
qui demandent à leur queue
un peu plus de discrétion

cet élégant costard-cravate
qui marche d'un pas sûr
vers les dividendes
attaché-case en main
n'a rien à dire pour le moment
sur la tristesse sur le silence

pourtant
aucune scène n'est coupée au montage
et
chacun y va de son interprétation

j'aimerais parfois
avoir le premier
rôle
je me dis
et je me contredis
tout de suite après
parce que ça ne me plairait
pas tant que ça

je préfère me contenter
d'être une silhouette
parmi des milliers de figurants
ignorer le nom
du réalisateur
des producteurs
ignorer l'histoire

et me réjouir
d'un échec commercial
sans précédent
parce que
c'est dans ma ligne de mire
c'est écrit moi j'y crois



Anéantir un quartier

Ils sont déjà là
matinaux
les coudes sur le comptoir du zinc
l'un ne parle pas
regarde autour de lui
machinalement
l'autre sourit à son verre
comme si la tendresse se trouvait
au fond du godet
exactement là
et pas ailleurs

le patron - un kabyle au physique
de boxeur poids-lourd -
m'a un jour raconté
que le plus taiseux des deux
a eu un accident sur un chantier
qui lui a coûté sa place
et
sa joie de vivre
que c'est un fidèle client
à présent

puis on cause du soleil
frisquet
des vacances qu'il n'a pas pris cet été
pour faire tourner la boutique
puis il me rend ma monnaie
et mes grilles de loto sportif

je ne sais pas pourquoi
mais chaque fois
que je les vois
ces deux-là
je pense immanquablement
à un poète
qui n'attendrait plus
rien
de ses propres poèmes
c'est une
déformation de l'esprit
sans doute
une
sorte d'empathie passagère
je sais pas

une fois rentré chez moi
je m'empresse
de refermer la porte
de penser
à des choses positives
d'écrire deux-trois bricoles
qui me passent par la tête

je te regarde dormir
parfois

et dans le placard
près du frigo
il y a
une tonne de médicaments
qui pourraient
anéantir
un quartier entier


22 sept. 2014

J'ai pas l'argent pour
m'acheter
une nouvelle bagnole
par l'argent pour
rembourser
ces putains de
crédits
&
ces saloperies de
dettes
en plus
étalées sur plusieurs mois
J'ai pas l'argent pour
investir
dans quoi que ce soit
&
puis j'ai pas
de boulot
de toute façon
non plus
alors
alors

y'a plein de solutions
qu'on me dit
pour s'en sortir
à moindre mal
alors
alors
je me détache des
réalités matérielles
&
je dis en moi-même
des tonnes
de mensonges
pour me résoudre
à rester dans
la droite ligne d'une honnêteté
héritée de mon éducation
blablabla
c'est tout
ce qui 
m'engage
blablabla


On a tendu un piège
à la nuit
l'enfermer
avec la mort qui rôde
sous nos fenêtres
on a regardé passer
tous ces gens
qui nous ressemblent
de moins en moins
mais je sais pas c'est
peut-être une illusion
d'optique
à un moment tu as dit que la folie
était un signe
du destin
et qu'il faudrait s'y faire
et puis on a mangé un truc rapide
j'ai bu quelques bières
à la fenêtre
on n'a rien dit pendant
de longues minutes
j'ai pensé
qu'il était temps
de moins subir les choses
on n'a pas dansé
pas baisé
on a éteint les lumières
et nos rêves se sont trouvés
coincés
dans des vertiges
sans fond





Retour en arrière sans onde de choc

rester là
entre quatre murs
entouré d'un soleil froid
d'objets de visages
de bruits familiers de poussières
de mots lus entendus
des échos
quelque part

se concentrer
sur un tracé
intérieur mais
impossible à suivre
serpenter comme
au hasard
d'une vie

qui nierait les réalités
du monde
qui n'en ferait pas
une priorité
qui viendrait
d'un passé lointain
longtemps neutralisé mais
resurgi
jusqu'à l'aujourd'hui

ne pas chercher à partir
ne pas se foutre de tout
ne pas se fixer de réponse précise
rien de précis
ne pas s'endormir dans l'alcool
rien de foutu

tricher encore un peu
quelques fois
avec les fausses évidences
qui tiennent le fil
ténu

&

se demander où cela va mener

et si la fraternité
des uns
peut compenser
(en partie)
le vide
en soi




10 sept. 2014

tout cela est très mortifiant (de Stéphane Bernard)

on ne veut pas décevoir

ce qui même compte pour rien.
tout cela est très mortifiant.
et cette liberté dont tu parles
est un fantasme mais pas sûr.
je ne suis pas tout comme toi.
je suis cérébral, peu viscéral,
j’ai l'introspection.
ma racine y croît,
arbre d’en bas d’où je pends.
je peux dire que mon infidélité est là.
je délaisse la chair. je pense je l’ôte.
c'est pas nouveau.
je suis comme ça. la passion ? trois années.
chaque seconde brûlait.
avant je n'avais rien d’ouvert.
et j’y suis entré, et j'ai refermé.

Au passage, merci à Murièle (L'Oeil Bande) de m'avoir fait découvrir ce superbe poème, via facebook ;-)

Crétineries avec glucose

Je ne m'interroge plus
depuis longtemps
sur le sens de la vie
je ne veux même pas savoir
si je suis assis dans le bon wagon
je regarde le paysage
changer au rythme des saisons
et il est possible que tout soit
mélangé

***
Les ours polaires
ont quitté la banquise
à cause du réchauffement climatique
mais ils n'ont pas disparu
ils prennent le bus 191
pour aller au boulot
ils compostent leurs tickets
arrivent à l'heure
traitent des dossiers
et c'est comme ça que la
civilisation tient encore le coup

***
Certains matins
n'ont pas de grandes exigences
un rayon de soleil
un café noir sans sucre
une clope
un regard tendre sur ton sommeil agité
un poème de bric et de broc
une vessie qui fonctionne
&
l'instant file
aussi léger
qu'une étoffe de soie sur un corps invisible

***
Je n'aime pas l'autorité
les poings sur la table
les conflits ouverts
les regards sévères
les pesants silences
je n'aime pas
cette vie précaire
ce peu de pouvoir
ce peu de vouloir
les bruits des scooters
je n'aime pas
les folles colères
les livres trop chiants
les jours qui se traînent
mes nuits sans repos






Crétineries sans glucose

l'instant d'avant a
un comme un goût
d'instant d'après
à se foutre du pendant
qui se prendrait pour le centre
du monde

***
c'est un jour ensoleillé et agréable
comme on les aime
la lumière du dehors
relègue en nos placards
bordéliques
les pluies anciennes
comme
angoisses, pensées noires & sales humeurs
sous une pile de vêtements
qu'on aimerait refourguer
aux Puces de Vanves ou de St-Ouen
avant que l'illusion
ne nous fasse retomber sur terre

***
on peut jouer avec les mots
mais pas avec n'importe qui
par exemple
la fraise
j'aime ce fruit
qui sied très bien
à la confiture
ou
à une tarte
saupoudrée de chantilly mais
si un journaliste écrit qu'untel
est parti faire le Djihad
avec une fraise
bien mûre
il n'est plus crédible

***
je compte dans ma tête
les gens qui passent
les chiens qui pissent
les voitures stationnées
les fenêtres aux immeubles
les pas que fait un homme
qui me ressemblerait
pour aller
d'un point à un autre
je note tout ça dans un carnet
intime
au final
je ne sais toujours pas
si le monde
bouge
réellement tant que ça





Où vont les mots
ceux qui ne sortent pas
ceux qui encombrent

puisqu'on dit
puisqu'on écoute
presque toujours les mêmes

Crois-tu qu'ils fondent sous la langue
dans l'estomac
dans un nuage de poussières
d'étoiles mortes
se sachant condamnés

qu'ils se détachent
les uns des autres
lentement
lettre par lettre
liaison par liaison
pour vider la mémoire

déjà saturée d'images
plus ou moins floues
plus ou moins réelles
plus ou moins désincarnées

jusqu'à ce "je me souviens!"
venu d'on ne sait où
servi sur un plateau

Crois-tu qu'ils écoutent
encore
la parole qui se répète
inlassablement
sans eux
le dialogue qui se noue
en artifice auquel ils
se refusent

Crois-tu qu'ils soient triés
sélectionnés
écartés
nés sous X
admis sous camisole
prescrit à dose homéopathique

jusqu'à ce "j'ai tout oublié!"
qui semble dire "je veux tout oublier!"

Moi je crois
que les mots
servent nos labyrinthes
sombres desseins
à l'intérieur desquels nous nous perdons
bien sûr
jusqu'à éviter
la lumière
la plus crue
la plus féroce
la plus humaine



9 sept. 2014

Pirouettes

Ouvre le col de ta chemise
si tu étouffes sous le poids du quotidien
ce serait tellement facile

Je ne fuis pas le quotidien
la banalité, l'extrême banalité
je m'y sens bien même
comme serti d'un collier
qui m'empêcherait de croupir dans les eaux sales

On parle un peu philosophie
mais je ne suis pas très renseigné sur le sujet
les contingences, heu oui, les contingences
elle n'a pas tout saisi
Kant, Husserl, Heggel je n'ai pas lu désolé
on parle un peu cinéma
musique
les films avec Patrick Dewaere, les westerns spaghettis
les films d'horreur, les vieux films en noir et blanc
qu'elle trouve trop vieux justement
les belles chansons de Leonard Cohen et les bouses
qu'on entend à la radio
mais moi j'aime bien Rihanna quand même
on parle un peu de l'avenir
de ma recherche d'emploi
Tu cherches vraiment ?
Rebsamen ne me fait pas peur !
de la cigarette électronique
par souci d'économies et qu'elle ne soit plus
une fumeuse passive
Mes vêtements sentent la clope au Lycée

L'autre soir on parlait
de réussir ou de rater sa vie
Je ne sais pas ce que je dois lire
entre les lignes, dans son regard
dans ses mots parfois durs
défi, provocation, sincérité ? 

Prolonger l'écriture me paraît encore la réponse
la plus adéquate
si tant est que l'écriture soit une réponse
une justification 
une façon de s'en tirer à moindres frais

Je n'écris pas toujours
loin s'en faut et le quotidien
revient inlassablement à la charge
avec ses mêmes étroitesses
ses mêmes gestes répétés cent fois mille fois
ce même ennui de soi mais
je ne fuis pas le quotidien
je m'y vautre
avec une certaine nonchalance
une certaine complicité
jusqu'à ce que la mort nous sépare
sans avoir rien résolu


3 juil. 2014

ce qui aurait pu ne jamais se faire

y'a un paquet d'années
au sortir de l'adolescence
j'étais pas comme ça
je veux dire pas aussi calme
qu'aujourd'hui
en apparence
pas aussi mesuré pas aussi amical
j'étais nerveux et agressif
j'étais égocentrique et susceptible
hypersensible aussi je crois
j'étais bien souvent seul dans mon coin
dans une chambre
porté sur les idées noires et l'insatisfaction permanente
j'avais des tocs des manies de vieux garçon
et puis j'étais capable de tout foutre
en l'air
sur un coup de tête
d'avaler un pack de bières en quelques minutes
de me branler plusieurs fois de suite
ou d'aller voir les putes faute de mieux
d'observer les gens sans aucune empathie
de vouloir la mort d'une foule entière
et puis ça ne m'a mené nulle part
et puis j'ai fait des exercices
pour essayer de changer un peu
de mieux m'adapter
à ce monde-là
de tracer ma route qu'elle soit
secondaire mal éclairée
jusqu'à en devenir normale
routinière exagérément routinière
et puis des voix anciennes se sont tues
elles ont laissé la place
à d'autres
qui ne me réclament plus
qu'un peu de poésie pour couvrir
les détritus
qu'un peu de tendresse et d'humour
pour arroser
ce qui aurait pu ne jamais
exister



30 juin 2014

entrer progressivement dans la lumière du jour

je vois une épaisse fumée
au loin
aux infos ils disent que c'est un entrepôt industriel
qui brûle
que l'incendie est à présent maîtrisé
j'appelle l'administration
pour savoir si je vais bientôt toucher
le rsa
je n'obtiens pas de réponse
claire et rassurante
tant pis
je lis un article sur l'équipe
de France de foot
qui croit en ses chances de qualification
ouais ce soir moi aussi j'y crois
dur comme fer
je consulte la rubrique nécrologie
de wikipédia
mais les personnes décédées me sont
totalement
inconnues
je jette régulièrement
un oeil à la fenêtre
vers cette grue qui tourne sur
elle-même
dans un ballet bien orchestré
où les danseurs empilent des blocs de
béton
sur le sol
j'envoie un texto à ma fille qui
passe le Bac de français
je fume des clopes toutes les heures
je bois des cafés sans dépasser la dose
dangereuse - d'après les médecins
ce sont des petites choses
comme ça
qui me permettent d'entrer
dans la lumière du jour
jusqu'à faire coïncider
mon existence
avec le
monde qui m'entoure


28 juin 2014

toujours en passant...

connaître ses limites
c'est tracer une frontière
au delà de laquelle
on entre en conflit avec soi-même

***

lors d'un entretien d'embauche
il s'agit de se montrer
sous son meilleur aspect
c'est-à-dire celui d'un faux-cul
sans faux-col
à la recherche d'un vrai boulot
de merde

***

mon esprit
s'ouvre au monde
dans la limite
de l'axe
qui se trouve entre mon siège
et la fenêtre

***

les révolutions
pourraient-elles
n'être le fruit
que de l'évolution
des rêves ?


Comme ça, en passant

Il doit bien exister
quelque part
un pont des sourires
qui
dès qu'on le franchit
provoque
l'hilarité
générale
et l’irrépressible
envie
de se lier
d'amitié avec
des inconnus

***

un homme qui
marche devant son ombre
prend le risque
de la perdre
en cours de route
sans même s'en apercevoir

***

un homme qui
se croit au dessus
des lois
finit par croire
que la gravité
n'existe que pour les
autres

***

un homme qui
pense avoir
toujours raison
est plus proche de
la folie
qu'il ne pense

***

un homme qui
a peur de tout
et de n'importe quoi
me ressemble à tel point
qu'il me fait
peur






au jour le jour

chaque matin, c'est la même
rengaine les seules atrocités sont
dans les images du sommeil dans les pensées
secrètes qu'on sait encore taire dans les journaux télévisés
qu'on peut éteindre à tout moment rien ne saurait
altérer les courbes les angles et les perspectives
des immeubles des arbres des silhouettes
au jour le jour n de cette grue ni de cette boutique
qui vend un peu de tout en vrac
s'il n'y avait l'imagination pour en
découdre parfois avec la réalité
dont on déplore l'extrême lenteur
tantôt l'extrême fuite en avant tantôt
l'étrangeté avec laquelle on se voit là
parce qu'au fond on ne sait pas trop
ce qu'on veut s'il s'agit de faire une pause
de quelques instants d'observer à l'écart
de la route de bifurquer vers une destination
inconnue radicalement différente
et puis il y a cette chose qu'on oublie trop souvent
dans le confort des bruits familiers
c'est de se mettre bien avec soi-même
en reprenant le fil de chaque matin
qu'il puisse recoudre l'envie d'ailleurs
sans faire saigner l'ego l'ancien et le nouveau

27 juin 2014

et de tout ça !

en bras de chemise
et
trempé de sueur
et
les cheveux gras
et
la langue pâteuse
et
perdu dans le vague
et
sans attache
et
la tête sur un verre vide
et
d'une voix rocailleuse
et
d'une salopette crasseuse
et
d'une pièce sur le comptoir
et
de tout ce qui ne se voit pas
il
quitte les lieux
pour quelques heures
seulement

mais aujourd'hui

on y venait par
les chemins bosselés
de campagne
je pédalais comme un
fou devant
mon frère
qui me hurlait de
l'attendre
en crachant la poussière

mais aujourd'hui
les champs les ronces et la minuscule rivière
ont disparu
mais aujourd'hui
sous le béton
armé
ce ne sont plus nos pierres
qui formaient un tas
pour nos jeux

mais aujourd'hui
sur une photo jaunie
je
te montre ce qu'il reste
de notre
maison
familiale
il y a bien longtemps

et tu as peine
à croire
que la force
du temps
est celle de l'écrasement de tout



26 juin 2014

6 postures en sortant du trou

Les jours sombres
s'empilent
&
forment un tas de plus en plus haut
&
seules quelques nuances
un peu plus
claires
restent visibles à
l'oeil
nu

***

les chiffres du chômage ne sont pas bons
celui de ma tension non plus
les lettres d'un poème
sont un combat permanent

***

il me jure que
dieu est amour
je lui réponds que
que ce n'est pas la peine
d'insister

***

sur le mur un insecte
grimpe
jusqu'au plafond
je l'observe
en attendant
qu'il chute

***

les traces
de l'enfance
sont un sillon
de boue séchée
avec beaucoup
de poussière
&
de dureté
sous les pieds

***

j'aimerais bien
que l'avenir
s'éclaircisse
que l'argent
coule à flots
par exemple
en attendant
je vais lire les présages
dans le marc de
mon huitième café
dans la fumée de
ma vingt-et-unième clope

***







24 juin 2014

Il faudrait pouvoir !

sur la table
s’amoncellent
des papiers

qui nous rappellent
chaque jour
de cette vie étriquée
qu'on ne veut plus voir

il faudrait pouvoir
respirer
claquer la porte
sentir
l'air frais
sur nos nuques crispées

Il faudrait pouvoir
bâtir
de nos propres mains
un endroit
secret
où personne ne viendrait
nous chercher

Il faudrait pouvoir
prendre la fuite
au hasard
partir en de longs
voyages
quelque part
ou ailleurs
&
revenir au point de
départ
en nous disant que tout a bien
changé
en notre absence

Il faudrait
pouvoir

20 juin 2014

entre le bleu et le blanc le ciel hésite

entre le bleu et le blanc
le ciel hésite
à ajouter du noir
à raccourcir d'un jour
la fin des haricots
à tomber sur les têtes
qui ne sont pas si solides
que ça

l'équilibre est fragile
par exemple
on se sait trop comment s'habiller
tee-shirt
gilet
capuche
ce sont des détails et pourtant
un papier vole au vent
avec toutes les incertitudes

scooter dans un bruit infernal
couvre les cris
des éboueurs
je compte
tant bien que mal
le vert des poubelles
le rouge des tuiles
la sève étouffée des arbres
les dix doigts de mes mains
les clopes dans mon paquet

au loin
la grue immobile
comme un mirador
semble faire face
à l'immeuble géant
les fenêtres sont toutes les mêmes
c'est pour
uniformiser le cadre de vie
les achats
les couleurs
les pensées
les repères
deux pigeons perchés sur une gouttière
attendent de s'envoler

d'autres n'attendent rien
de spécial
c'est juste qu'on n'y peut pas changer
grand-chose
par exemple
parfois elle pleure sans aucune raison
apparente
dans son coin
parfois j'aimerais comprendre

souvent les mots
se servent
de nos fragilités
pour les rendre
encore plus
étranges

tout n'est pas figé
ce petit rayon de soleil
qui vient à l'instant
m'a redonné l'envie
je crois
de rester terre à terre
un peu plus longtemps
en fin de compte





17 juin 2014

Le souvenir d'un autre

les cloches de l'église retentissent
je regarde l'heure
et le linge qui sèche sur les radiateurs
dehors le vent
influence à peine les marées
humaines
voitures scooters camionnettes
bruits de ferraille
caddies vieux jeans poussettes
dehors le vent
donne
aux voilures d'échafaudages
l'allure de vaisseaux-fantômes
les ouvriers ravalent
le mur d'en face
les commerçants
n'ont pas tous le sourire
les passantes
ont déjà un téléphone
à portée de main
le bus 191 arrive parfois
à l'heure
la vieille femme rom s'assied au même endroit
pour faire la manche
la guerre de Troie aura
bien lieu
mais on ne sait pas quand
je regarde l'heure
et le linge qui sèche sur les radiateurs
et le papier peint qui se décolle
et les ondulations de ton souffle quand tu dors
et un tas d'autres détails qui se perdent
je me demande si
j'existe vraiment
ou
si je suis le souvenir
de quelqu'un d'autre


on s'occupe comme on peut
et j'e pourrais m'occuper
à faire autre chose
mais

j'aime bien regarder
les émissions
qui parlent
des faits divers

les disséquant dans les moindres
détails
depuis les préparatifs
jusqu'au calvaire
des victimes

jetant un oeil à ma fenêtre
ensuite
alors que tout s'apparente à la normalité
je me dis qu'il y a forcément
parmi tous ceux
qui passent

tantôt un pédophile
en chasse
tantôt
un terroriste
cachant une bombe sous son imper
tantôt
un braqueur
de joailleries de luxe
en cavale
et même
une allumeuse
opérant
pour un gang de barbares


Un bon ratio

A la boulangerie
il y a trois clients avant moi
pour seulement un pain au chocolat et aux amandes
ça me fait donc
une chance sur quatre
&
j'ai beau prier pour avoir
ce dernier pain au chocolat et aux amandes
c'est un ratio finalement
très largement supérieur
à celui que j'ai
de trouver un bon salaire
de gagner le gros lot
ou
de rencontrer le meilleur poète américain
du siècle.

16 juin 2014

Partie d'un contingent

Moi
qui suis
si important pour moi
ne serait-ce que certains
jours
j'ai laissé les hypothèses
devant l'implacable réalité
des choses

je porte des lunettes
un survêtement
et tout un tas de phobies
de peurs
qu'on pourrait dire
irraisonnées
(et qui ne le sont sans doute pas)

je fais partie d'un contingent
qui a déposé les armes depuis
longtemps

miné par la culpabilité
à la moindre
embardée de travers

qui se bat encore
pour faire semblant
de chercher le miracle
derrière un horizon
d'oublis

je les côtoie
ces fous
ces lâches
ces gueules de bois
des salopards
en tous genres

parce que
je fais partie d'un
contingent de chômeurs
de branleurs
de baiseurs
d'acteurs d'une vie qui les dépasse
de plusieurs
autres vies

moi
j'ai posé mes valises
avec dedans
des affaires de rechange
pour une solitude
d'agrément

en attendant
qu'on vienne me
chercher


21 mai 2014

Malgré

malgré

l'impression d'être
à l'intérieur
d'une hydre
à plusieurs voix

malgré

la tentation
de me justifier
du présent
sans effort

malgré

le flou
autour de nous
qui ne nous permet
guère d'avancer

malgré
ce que nous sommes
devenus

je n'invoque plus
le passé
-pâte à modeler-
pour faire face

et
d'ailleurs

je ne suis pas certain
qu'il ait
jamais existé


Un poème de Patrick Roche

Patrick Roche est un jeune étudiant de 21 ans, à Pinceton.
Poème trouvé sur le blog de Murièle Modély :


21. Mon père est renversé par une voiture
Il s’est évanoui sur la route, avec un taux d’alcoolémie
De quatre fois la limite légale.

Je ne pleure pas.

Quatre mois plus tard,
Les infirmiers perdent son pouls
Et je me demande quelle vie
A défilé devant ses yeux.

Rembobinant des cassettes VHS
Des vieux films faits maison

20.

19. Je n’ai pas ramené un ami à la maison depuis quatre ans.

18. Ma mère a le mot « divorce » sur les lèvres
Sa bouche se crispe en l’avalant
Comme s’il brûlait en descendant.

17. Je commence à faire mes devoirs au Starbucks.
J’ai des conversations plus profondes avec les baristas
Qu’avec ma famille.

16. J’attends le soir de Noël.
Mon frère et moi avons l’habitude d’échanger nos cadeaux plus tôt,
Cette année,
Lui et mon père ont échangé des coups.

Ma mère ne va pas à la messe.

15. J’ai une théorie : mon père a recommencé à boire
Peut être parce qu’il a découvert que j’étais gay.
Que s’il réussissait à tout rendre flou,
Peut être que j’aurais l’air « normal » ( « straight »)

15. Ma mère nettoie son vomi au milieu de la nuit
Et cuisine le petit-déjeuner au matin, comme si elle n’avait pas perdu son appétit.

15. Je m’en veux.

15. Mon frère en veut au monde entier

15. Ma mère en veut au chien.

15. Dimanche de Super Bowl.
Mon père débarque comme une avalanche
Il emporte tout dans ses chutes,
Banderoles, tables basses, cadres photo
Trébuchant, tombant.

Je trouve son jeton des Alcooliques Anonymes sur le comptoir de la cuisine.

14. Mon père est sobre depuis dix ans,
Peut être onze ans ?
Je le sais
Nous n’y pensons même plus.

13.

12.

11. Maman me dit que les rendez-vous de Papa sont avec les AA.

Elle me demande si je sais ce que ça veut dire.

Je ne sais pas.

Je hoche la tête quand même.

10. Mes parents ne boivent jamais de vin aux repas de famille.

Tous mes oncles et mes tantes en boivent.

Je suis distrait par la télé et j’oublie de demander pourquoi.

9.

8.

7.

6. Je veux être Spider-Man.

Ou mon père.

Ils sont un peu pareil.

5.

4.

3. Je fais un cauchemar

Le même, à propos de la sorcière Ursula dans la Petite Sirène

Alors je me lève,

Je dandine vers la chambre de Maman et Papa,

Doudou dans la main,

Je m’arrête.

Papa est debout, en sous-vêtements,

Je vois sa silhouette devant la lumière du réfrigérateur

Il lève une bouteille

À ses lèvres.

2.

1.

Zero. Quand ma mère était enceinte de moi,

Je me demande si elle espérait,

Comme tant de mères espèrent,

Que son bébé grandirait pour devenir

Exactement comme

Son père.


La traduction a été faite ici : http://www.madmoizelle.com/poeme-21-alcoolisme-251182

pour ne pas perdre le fil (scène de la vie quotidienne)

pour ne pas perdre le contact
avec la réalité
se raser se laver
changer de slip de chaussettes
passer l'aspirateur
s'occuper du linge
ranger les papiers qui traînent
écouter les derniers tubes à la mode
se parler pendant les repas
&
poser un regard franc
&
critique
sur les choses
mais sans trop
s'attarder non plus
on n'est ni des sociologues
ni des
révolutionnaires

a la télé
ils disent que
la France est une grosse avaleuse
de psychotropes
&
d'alcool
&
de trucs en tout genre
pour retrouver le sommeil
la concentration
la santé
la vitalité
la jeunesse

stockage et cargaison
dans les placards
je sais que tu abuses parfois
même si tu prétends le contraire
ça fait longtemps que j'ai cessé
de jouer au gendarme

moi
je ne rends jamais visite aux
psys
je mesure le bien-être
sur une échelle de
valeurs subjectives
qu'on trouve dans
un bon bouquin
un poème
un sourire
une parole apaisante
un baiser
ton cul
une clope
&
un bon film

pour ne pas perdre le fil
je note tout ça
quand même

de peur d'oublier
les plus élémentaires
règles de vie
qui fonctionnent
cahin-caha
depuis des années