Je crois bien que
j'étais jaloux de mon petit frère
il était le centre de l'attention des
autres
sans avoir besoin d'en faire des tonnes
il avait des amis
et Isabelle
une petite copine très mignonne
que j'aurais bien aimé séduire aussi
il était l'artiste de la famille
car un professeur de collège
avait décelé en lui
un potentiel
d'acteur comique
et toute la famille en était fière
et tous les amis de la famille en étaient fiers
et tous les voisins allaient bientôt le savoir
et ça ne ferait que
me rendre encore plus jaloux
sans savoir quoi faire
pour changer le cours des évidences
et ça ne ferait que me rendre
encore plus agressif envers lui
parce que c'était lui qui prenait
mes coups en douce
mes provocations
pour tout ce que j'étais pas capable de prouver
aux autres
et ça me paraissait une vengeance légitime
parce que j'étais là avant lui
un an avant exactement
parce que je savais pas bien maîtriser
mes colères
et mes frustrations
et pourtant
je l'aimais bien mon petit frère
oui je l'aimais vraiment beaucoup.
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20 févr. 2018
Dans la maison de mon Enfance (Extrait 42)
Maman
elle pique des crises de nerf
elle pleure souvent
ça fait bizarre de voir maman sécher ses larmes
ça donne envie de pleurer
de comprendre
de crier avec elle
ça donne surtout envie de s'isoler
dans sa chambre
Papa
il ne pleure jamais
il ne montre aucun signe de faiblesse
il a appris ça quand il était jeune
parce qu'il a été jeune on dirait
mais il en parle jamais
ça fait bizarre de le voir sourire
de sourire avec lui
quand il raconte des blagues
pendant les repas de famille
papa
son regard me fait peur
maman
je n'écoute pas ce qu'elle me demande de faire
je lui réponds
et elle aime pas ça
elle dit souvent : "qu'est-ce-que j'ai fait au bon dieu pour avoir un enfant pareil"
elle menace : "tu vas voir quand j'en parlerai à ton père"
et elle en parle effectivement à papa
qui sait punir
sans avoir besoin de frapper
en me montrant simplement sa grosse pogne
prête à l'emploi
je baisse les yeux
je m'excuse auprès de maman
je l'embrasse sur la joue
je promets de ne plus recommencer
de faire mes devoirs
d'avoir des bonnes notes
et tout un tas de mensonges bien huilés
qui permettent
de reprendre le cours normal
d'une vie normale
en grandissant de façon tout-à-fait normale.
elle pique des crises de nerf
elle pleure souvent
ça fait bizarre de voir maman sécher ses larmes
ça donne envie de pleurer
de comprendre
de crier avec elle
ça donne surtout envie de s'isoler
dans sa chambre
Papa
il ne pleure jamais
il ne montre aucun signe de faiblesse
il a appris ça quand il était jeune
parce qu'il a été jeune on dirait
mais il en parle jamais
ça fait bizarre de le voir sourire
de sourire avec lui
quand il raconte des blagues
pendant les repas de famille
papa
son regard me fait peur
maman
je n'écoute pas ce qu'elle me demande de faire
je lui réponds
et elle aime pas ça
elle dit souvent : "qu'est-ce-que j'ai fait au bon dieu pour avoir un enfant pareil"
elle menace : "tu vas voir quand j'en parlerai à ton père"
et elle en parle effectivement à papa
qui sait punir
sans avoir besoin de frapper
en me montrant simplement sa grosse pogne
prête à l'emploi
je baisse les yeux
je m'excuse auprès de maman
je l'embrasse sur la joue
je promets de ne plus recommencer
de faire mes devoirs
d'avoir des bonnes notes
et tout un tas de mensonges bien huilés
qui permettent
de reprendre le cours normal
d'une vie normale
en grandissant de façon tout-à-fait normale.
18 févr. 2016
Dans la maison de mon Enfance (Extrait 41)
-Il faisait quoi pendant la guerre, papy ?
maman répond qu’il était prisonnier
quelque part
dans un camp en Autriche
-Et mamy ?
maman répond qu’elle s’occupait toute seule
courageusement
de la ferme
&
des animaux
-Et pépé ?
papa répond qu’on lui a pris sa maison
de notaire
à Dinard
d’abord les boches
ensuite les communistes
-Pourquoi ?
-Parce que c’était comme ça, à l’époque
je ne saisis pas bien
qui sont ces gens dont il parle
mais je trouve ça dégueulasse
vraiment dégueulasse
de s’en prendre à mon pépé
-Et mémé elle a rien dit ?
maman répond que mémé a
un sale caractère de cochon
-C’est pour ça que tu pleures souvent quand on va la voir ?
papa dit qu’un jour
il écrira l’histoire de la famille
si son travail lui en laisse le temps bien sûr
-Et tu parleras de moi ?
Papa sourit
il croit savoir qu’on descend
du Comte de la Bourdonnais
&
du coup
moi aussi
j’y crois dur comme fer
-C’était qui ?
j’ai besoin de savoir
au cas où
mais
je ne sais pas si c’est si important que ça
car
quand j’en parle à mes camarades de classe
ils s’en foutent complètement
&
me répondent d’aller voir ailleurs
ce que je fais souvent finalement
maman répond qu’il était prisonnier
quelque part
dans un camp en Autriche
-Et mamy ?
maman répond qu’elle s’occupait toute seule
courageusement
de la ferme
&
des animaux
-Et pépé ?
papa répond qu’on lui a pris sa maison
de notaire
à Dinard
d’abord les boches
ensuite les communistes
-Pourquoi ?
-Parce que c’était comme ça, à l’époque
je ne saisis pas bien
qui sont ces gens dont il parle
mais je trouve ça dégueulasse
vraiment dégueulasse
de s’en prendre à mon pépé
-Et mémé elle a rien dit ?
maman répond que mémé a
un sale caractère de cochon
-C’est pour ça que tu pleures souvent quand on va la voir ?
papa dit qu’un jour
il écrira l’histoire de la famille
si son travail lui en laisse le temps bien sûr
-Et tu parleras de moi ?
Papa sourit
il croit savoir qu’on descend
du Comte de la Bourdonnais
&
du coup
moi aussi
j’y crois dur comme fer
-C’était qui ?
j’ai besoin de savoir
au cas où
mais
je ne sais pas si c’est si important que ça
car
quand j’en parle à mes camarades de classe
ils s’en foutent complètement
&
me répondent d’aller voir ailleurs
ce que je fais souvent finalement
Dans la maison de mon Enfance (Extrait 40)
Traverser l'Atlantique avec un long nez & Tabarly
Pinocchio a le nez qui s’allonge
pas moi
pourtant je tiens de papa
qui a le nez déjà long
il
a dû mentir bien des fois quand il avait mon âge
on est allés voir le film au cinéma
on a ensuite parlé du film en buvant un
chocolat chaud
Pauvre Pinocchio
papa et maman n’aiment pas qu’on
leur mente
mais
c’est trop tard
-T’as eu des notes ?
-Non
-C’est toi qui a frappé ton
frère ?
-Non
Je prends goût à la fabrication des
mensonges
ça tient de l’aventure imaginaire
évidemment
papa et maman ne sont pas dupes
Je
rougis je balbutie j’hésite un peu
alors
je prends une claque
une autre
si besoin
puis
une punition
ou
une menace de punition
-Tu le vois ce martinet-là ?
papa le sort du placard
J’avais
oublié qu’il était là ce martinet
il
n’a jamais servi
peu importe
le mensonge devient ma seconde
nature
ça tient de la résistance
de toute façon
c’est trop tard
pour faire marche arrière
-Qu’est-ce qu’ on va faire de
toi ?
-Le roi du mensonge peut-être
Ou un truc dans le genre
alors forcément
je prends une claque
parce que papa et maman n’aiment pas
mon insolence.
24 janv. 2016
Dans la maison de mon Enfance (Extrait 39)
Allez, en voiture !
-Mais arrêtez de vous battre, bon sang!
c'est maman qui nous le répète
pour la n-ième fois
ça doit être un grand nombre ça
Papa fait les gros yeux dans
le rétroviseur
-C'est lui qu'a commencé, balance mon frère
-C'est pas vrai! que je jure
-On arrive quand ?
-Moi j'ai faim
Alors papa et maman
ont inventé des jeux
pour nous occuper du mieux possible
quand ils s'aperçoivent qu'on ne roupille plus
à l'arrière de la R16
parfois on chante tous les quatre
des chansons bretonnes ou
des chansons à la mode
parfois on s'amuse
à reconnaître les marques et les modèles de voiture
on compte les points
à ce jeu-là je me débrouille vachement bien
-ça, c'est la Fiat 128... ça, c'est la GS de Citroën...ça, c'est la Simca de Chrysler
papa et maman me félicitent
je me sens fier
-ça, c'est une 4L, tente mon frère un peu jaloux
-Ouais, c'est facile, lui dis-je rigolard
puis on recommence à se battre
mon frère et moi
à l'arrière de la R16
jusqu'à ce mon frère finisse par se rendormir
c'est un gros dormeur on dit ça de lui
alors je continue le jeu tout seul
la joue posée contre la vitre froide
dans ma tête je cite la CX de Citroën
la 504 de Peugeot c'est ma préférée
la Méhari de Citroën
l'Alpine Renault c'est la plus rapide du monde
la Renault 14 que les gens surnomment "la poire" je sais pas pourquoi
La Renault 8 Gordini car un ami de papa en a une et il frime avec ça
parfois je m'ennuie
j'écoute vaguement papa et maman
qui parlent d'argent
qui se font des reproches
qui se disent des mots doux
parfois j'apprends des choses à la radio
la marée noire de l'Amocco Cadiz sur Europe 1
la mort de Jacques Mesrine en direct sur RTL
parfois on parle de l'école
Papa trouve que je ne lis pas assez
Maman n'aime pas l'appréciation sur mon dernier bulletin "peux mieux faire"
moi j'ai hâte qu'on arrive enfin
à destination
qu'ils changent de sujet
qu'ils s'en prennent à mon frère
qu'ils me laissent tranquille
parfois je fais semblant de dormir
c'est mieux comme ça.
-Mais arrêtez de vous battre, bon sang!
c'est maman qui nous le répète
pour la n-ième fois
ça doit être un grand nombre ça
Papa fait les gros yeux dans
le rétroviseur
-C'est lui qu'a commencé, balance mon frère
-C'est pas vrai! que je jure
-On arrive quand ?
-Moi j'ai faim
Alors papa et maman
ont inventé des jeux
pour nous occuper du mieux possible
quand ils s'aperçoivent qu'on ne roupille plus
à l'arrière de la R16
parfois on chante tous les quatre
des chansons bretonnes ou
des chansons à la mode
parfois on s'amuse
à reconnaître les marques et les modèles de voiture
on compte les points
à ce jeu-là je me débrouille vachement bien
-ça, c'est la Fiat 128... ça, c'est la GS de Citroën...ça, c'est la Simca de Chrysler
papa et maman me félicitent
je me sens fier
-ça, c'est une 4L, tente mon frère un peu jaloux
-Ouais, c'est facile, lui dis-je rigolard
puis on recommence à se battre
mon frère et moi
à l'arrière de la R16
jusqu'à ce mon frère finisse par se rendormir
c'est un gros dormeur on dit ça de lui
alors je continue le jeu tout seul
la joue posée contre la vitre froide
dans ma tête je cite la CX de Citroën
la 504 de Peugeot c'est ma préférée
la Méhari de Citroën
l'Alpine Renault c'est la plus rapide du monde
la Renault 14 que les gens surnomment "la poire" je sais pas pourquoi
La Renault 8 Gordini car un ami de papa en a une et il frime avec ça
parfois je m'ennuie
j'écoute vaguement papa et maman
qui parlent d'argent
qui se font des reproches
qui se disent des mots doux
parfois j'apprends des choses à la radio
la marée noire de l'Amocco Cadiz sur Europe 1
la mort de Jacques Mesrine en direct sur RTL
parfois on parle de l'école
Papa trouve que je ne lis pas assez
Maman n'aime pas l'appréciation sur mon dernier bulletin "peux mieux faire"
moi j'ai hâte qu'on arrive enfin
à destination
qu'ils changent de sujet
qu'ils s'en prennent à mon frère
qu'ils me laissent tranquille
parfois je fais semblant de dormir
c'est mieux comme ça.
7 janv. 2016
Dans la maison de mon Enfance (extrait 38)
Papa
sait rendre vivantes
les histoires
qu'il nous raconte
ce sont toujours des histoires
qui se terminent bien
y'a des cow-boys, des indiens, des guardians
&
il répond patiemment
à nos questions
avant de nous
embrasser
&
de nous souhaiter bonne nuit
Maman
n'est pas comme ça
elle raconte les histoires
à la va vite
&
nous presse de dormir ensuite
car elle a
dit-elle
encore beaucoup de copies
de ses élèves de CM1
à corriger
J'aime faire tourner mon imagination
Je n'ai pas compté
combien j'en ai
mais j'ai beaucoup de peurs
nocturnes
(et diurnes aussi bien sûr)
Dans ma chambre
il y a la collection
Encyclopédique de "Tout
l'univers"
à l'intérieur de laquelle
une photo m'effraie particulièrement
il s'agit d'un vampire
aux doigts crochus
sur le pont d'un navire
Un jour j'ai eu peur
de la mort et de la souffrance
sans savoir laquelle de ces deux peurs
était la plus forte
la plus naturelle
si l'une découlait de l'autre
la photo du vampire n'y est pas pour rien
comme un élément déclencheur peut-être
J'ai peur aussi
de perdre la mémoire
sans qu'elle soit fondée
sur des éléments concrets de
santé
si ce n'est un pressentiment
une intuition
C'est depuis lors je crois
que je note scrupuleusement
ce que je fais de chaque
journée
comme si je me fabriquais une
mémoire
de secours
qui puisse me réintégrer
le moment venu
dans toute ma complexité
(car j'ai du mal à faire avec)
23 déc. 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 37)
Un jour au collège
je fais l'école buissonnière
avec des copains de classe
c'est même pas de ma propre initiative non
je me contente simplement de suivre le mouvement
pour bien m'intégrer dans la bande quoi
ce jour-là
je fume ma première clope
et je trouve ça super cool
on joue au flipper
dans un bistrot du centre-ville
je m'éclate comme un fou
ce jour-là
on me demande ce que j'écoute comme musique
-heu ben un peu de tout, je réponds vaguement
je vais quand même pas leur parler de Guy Béart ou des Tri Yann
-tu connais AC/DC ?
-ouais, ouais
-t'as l'air d'être bon en classe, toi
-bah non pas vraiment et de toute façon j'm'en branle pas mal
on me demande si j'ai déjà embrassé une fille sur la bouche
parce que eux ils l'ont fait hein
ils sont même allés beaucoup plus loin
mec si tu vois ce qu'on veut dire
je me marre avec eux évidemment
ce jour-là
on me propose ensuite un truc roulé
avec de l'herbe
qui sent fort une fois allumé
mais j'ose pas leur demander ce que c'est
je veux pas passer pour un abruti complet auprès de mes nouveaux copains
je tire quelques taffes
et je commence à me sentir mal...
ce soir-là
je crois que je reçois
la plus grosse branlée
de mon père
&
de ma mère
réunis
dans une parfaite entente pour l'occasion
on me prive aussi de ce qui me tient le plus à coeur
à savoir :
deux mois d'entraînement
et
de matches de foot
ce soir-là
j'ai bien conscience que dieu n'existe pas
ou alors il ne m'aime pas...
putain de vie !
je fais l'école buissonnière
avec des copains de classe
c'est même pas de ma propre initiative non
je me contente simplement de suivre le mouvement
pour bien m'intégrer dans la bande quoi
ce jour-là
je fume ma première clope
et je trouve ça super cool
on joue au flipper
dans un bistrot du centre-ville
je m'éclate comme un fou
ce jour-là
on me demande ce que j'écoute comme musique
-heu ben un peu de tout, je réponds vaguement
je vais quand même pas leur parler de Guy Béart ou des Tri Yann
-tu connais AC/DC ?
-ouais, ouais
-t'as l'air d'être bon en classe, toi
-bah non pas vraiment et de toute façon j'm'en branle pas mal
on me demande si j'ai déjà embrassé une fille sur la bouche
parce que eux ils l'ont fait hein
ils sont même allés beaucoup plus loin
mec si tu vois ce qu'on veut dire
je me marre avec eux évidemment
ce jour-là
on me propose ensuite un truc roulé
avec de l'herbe
qui sent fort une fois allumé
mais j'ose pas leur demander ce que c'est
je veux pas passer pour un abruti complet auprès de mes nouveaux copains
je tire quelques taffes
et je commence à me sentir mal...
ce soir-là
je crois que je reçois
la plus grosse branlée
de mon père
&
de ma mère
réunis
dans une parfaite entente pour l'occasion
on me prive aussi de ce qui me tient le plus à coeur
à savoir :
deux mois d'entraînement
et
de matches de foot
ce soir-là
j'ai bien conscience que dieu n'existe pas
ou alors il ne m'aime pas...
putain de vie !
22 déc. 2015
Dans la maison de mon Enfance (Extrait 36)
La R16 bleu foncé
file sur les petites routes
quasiment désertes
interminables et sombres
la voiture presque neuve
souffre déjà du long voyage
et nous aussi
on ne chante plus
on ne joue plus à reconnaître
les panneaux de signalisation
avec des cartes
on ne parle plus de ces deux semaines de vacances
excitantes
en terre étrangère
mais au moins
on ne crève plus de chaud
sur nos sièges en skai
la nuit est fraîche par ici
lors de la traversée de la Manche
en hydroglisseur
j'ai vomi tout mon déjeuner et mes tripes
j'ai découvert le mal de mer
aussi fort que mon horreur des huîtres
nous voici quelque part
dans la campagne anglaise
sans doute un peu perdus
mais ça, papa ne l'avouera jamais
à chercher l'adresse
de notre location Bed & Breakfast "chez l'habitant".
mon frère roupille profondément
je tente d'en faire autant
mais je me sens encore vaseux
maman se retourne de temps à autre vers nous
elle me sourit
un sourire à la fois tendre, forcé et fatigué
-on est bientôt arrivés ?
maman me répond vaguement oui
jetant un oeil sur la carte routière
puis elle se met à hurler
tire brusquement sur le bras gauche de mon père
en apercevant le poids lourd qui fonce droit
sur nous
-Attention ! Attention !
papa se replace vite fait sur la bonne file
celle de gauche celle de l'Angleterre
sans répondre au klaxon énervé
ni au doigt d'honneur du conducteur d'en face
en toutes circonstances
papa cherche à garder la maîtrise et son calme
maman n'en peut plus
elle commence à craquer à pleurer
-Qu'est-ce qui se passe ?
demande mon frère qui vient de s'éveiller
-Les anglais sont des malpolis
lui répond papa
qui se met à chantonner We all live in a yellow submarine
posant sa main virile sur la cuisse de maman
moi je pense déjà avec angoisse au retour en hydroglisseur
file sur les petites routes
quasiment désertes
interminables et sombres
la voiture presque neuve
souffre déjà du long voyage
et nous aussi
on ne chante plus
on ne joue plus à reconnaître
les panneaux de signalisation
avec des cartes
on ne parle plus de ces deux semaines de vacances
excitantes
en terre étrangère
mais au moins
on ne crève plus de chaud
sur nos sièges en skai
la nuit est fraîche par ici
lors de la traversée de la Manche
en hydroglisseur
j'ai vomi tout mon déjeuner et mes tripes
j'ai découvert le mal de mer
aussi fort que mon horreur des huîtres
nous voici quelque part
dans la campagne anglaise
sans doute un peu perdus
mais ça, papa ne l'avouera jamais
à chercher l'adresse
de notre location Bed & Breakfast "chez l'habitant".
mon frère roupille profondément
je tente d'en faire autant
mais je me sens encore vaseux
maman se retourne de temps à autre vers nous
elle me sourit
un sourire à la fois tendre, forcé et fatigué
-on est bientôt arrivés ?
maman me répond vaguement oui
jetant un oeil sur la carte routière
puis elle se met à hurler
tire brusquement sur le bras gauche de mon père
en apercevant le poids lourd qui fonce droit
sur nous
-Attention ! Attention !
papa se replace vite fait sur la bonne file
celle de gauche celle de l'Angleterre
sans répondre au klaxon énervé
ni au doigt d'honneur du conducteur d'en face
en toutes circonstances
papa cherche à garder la maîtrise et son calme
maman n'en peut plus
elle commence à craquer à pleurer
-Qu'est-ce qui se passe ?
demande mon frère qui vient de s'éveiller
-Les anglais sont des malpolis
lui répond papa
qui se met à chantonner We all live in a yellow submarine
posant sa main virile sur la cuisse de maman
moi je pense déjà avec angoisse au retour en hydroglisseur
17 déc. 2015
Dans la maison de mon Enfance (Extrait 35)
Je me souviens rarement de mes rêves
mais celui-là revient
parfois
avec la même insistance
je tourne je tourne
toupie
aspirée par un vide
obscur
sans fin sans fond
je tourne je tourne
pris dans une chute
vertigineuse
la chute
n'en finit pas
m'engloutit quelque part
qui me réveille
chaque fois
en
sursaut
&
en
sueur
je me demande ce qui m'arrive
je me demande si quelque chose a changé autour de moi
je n'ose plus me rendormir
la chambre est désespérément silencieuse
je m'assieds sur mon lit
les yeux grands ouverts
jusqu'à ce qu'ils
s'habituent
jusqu'à ce qu'ils
devinent les formes
les contours
les objets
avec davantage de netteté
je me prends pour un chat
prêt à bondir sur une proie
imaginaire
c'est ma façon d'apprivoiser
la peur
&
de prendre ma revanche
sur la nuit.
mais celui-là revient
parfois
avec la même insistance
je tourne je tourne
toupie
aspirée par un vide
obscur
sans fin sans fond
je tourne je tourne
pris dans une chute
vertigineuse
la chute
n'en finit pas
m'engloutit quelque part
qui me réveille
chaque fois
en
sursaut
&
en
sueur
je me demande ce qui m'arrive
je me demande si quelque chose a changé autour de moi
je n'ose plus me rendormir
la chambre est désespérément silencieuse
je m'assieds sur mon lit
les yeux grands ouverts
jusqu'à ce qu'ils
s'habituent
jusqu'à ce qu'ils
devinent les formes
les contours
les objets
avec davantage de netteté
je me prends pour un chat
prêt à bondir sur une proie
imaginaire
c'est ma façon d'apprivoiser
la peur
&
de prendre ma revanche
sur la nuit.
Dans la maison de mon Enfance (Extrait 34)
Quand je vais pas bien
que je me sens trop seul
par exemple
je ne me l'explique pas
vraiment
je ne sais pas mettre des mots précis
sur ce que je ressens
&
ce que je ressens prend d'ailleurs différentes
directions
qui ne font qu'accentuer le chaos
intérieur
je ne sais pas à qui en parler
surtout pas à papa ni à maman
surtout pas à mon frère
j'en touche un mot à mon journal intime
qui regorge de questions métaphysiques
que je crois être le seul à me poser
puisque les autres n'en disent rien
ne m'en disent rien
alors c'est mon secret
alors je le cache bien à l'abri des regards
je fais comme si de rien n'était
je prends tout à la rigolade
mais
je sens bien que j'ai un sérieux problème de
concentration
&
de compréhension
le monde m'échappe
les études m'échappent
mon cerveau même m'échappe
avec toutes ces phobies
tous ces tics
toutes ces démonstrations d'impuissance
rien ne se résout tout s'aiguise et se transforme
parfois je n'ai d'autre solution
que de vider les placards
de la cuisine
sucré, salé, tout y passe
dans mon ventre
jusqu'à ce que mes obsessions
soient tournées vers autre chose
de plus concret
&
maman de hurler comme si c'était la fin du monde :
-qui a mangé tous les gâteaux ?
-qui d'entre vous a liquidé les cacahuètes ? C'est pas possible bon dieu, c'est pas possible cette gourmandise !
&
papa de gifler
celui qui finit par avouer son horrible forfait
c'est-à-dire
moi
(et ça, je vais le noter dans mon journal intime).
que je me sens trop seul
par exemple
je ne me l'explique pas
vraiment
je ne sais pas mettre des mots précis
sur ce que je ressens
&
ce que je ressens prend d'ailleurs différentes
directions
qui ne font qu'accentuer le chaos
intérieur
je ne sais pas à qui en parler
surtout pas à papa ni à maman
surtout pas à mon frère
j'en touche un mot à mon journal intime
qui regorge de questions métaphysiques
que je crois être le seul à me poser
puisque les autres n'en disent rien
ne m'en disent rien
alors c'est mon secret
alors je le cache bien à l'abri des regards
je fais comme si de rien n'était
je prends tout à la rigolade
mais
je sens bien que j'ai un sérieux problème de
concentration
&
de compréhension
le monde m'échappe
les études m'échappent
mon cerveau même m'échappe
avec toutes ces phobies
tous ces tics
toutes ces démonstrations d'impuissance
rien ne se résout tout s'aiguise et se transforme
parfois je n'ai d'autre solution
que de vider les placards
de la cuisine
sucré, salé, tout y passe
dans mon ventre
jusqu'à ce que mes obsessions
soient tournées vers autre chose
de plus concret
&
maman de hurler comme si c'était la fin du monde :
-qui a mangé tous les gâteaux ?
-qui d'entre vous a liquidé les cacahuètes ? C'est pas possible bon dieu, c'est pas possible cette gourmandise !
&
papa de gifler
celui qui finit par avouer son horrible forfait
c'est-à-dire
moi
(et ça, je vais le noter dans mon journal intime).
12 nov. 2015
Dans la maison de mon Enfance (Extrait 33, version remaniée)
Ce chemin de poussière
&
de pierres
je le connais par coeur
c'est beaucoup dire
je manque d'y chuter
plusieurs fois
de mon vélo
en rentrant de l'école
je m'en fous nom de dieu
je crâne un peu
en passant devant la maison
d'une belle fille de
ma classe
qui me regarde peut-être à sa fenêtre
y a des champs alentour
&
des terrains à l'abandon
y a aussi quelques maisons comme la nôtre
plus grandes que la nôtre
papa et maman n'en sont pas jaloux
à ce qu'il paraît
papa dit même que ces gens-là sont pas comme nous
moi j'en sais rien nom de dieu je m'en fous
c'est quelque chose que je répète souvent
et maman n'aime pas ça
quand on parle de dieu de cette façon
je salue les voisins
politesse bien apprise
ils prennent le thé
ils prennent le temps
à leur terrasse
un vieux couple avec un chien hargneux
qui m'aboie dessus
comme un fou
je pédale
je pédale
un peu plus loin j'arrive à
la barrière blanche c'est chez nous
une barrière en plastique
facile à enjamber
on le fait souvent mon frère
&
moi
quand on s'ennuie à l'intérieur
maman sourit
maman m'attend
maman demande si ça s'est bien passé
les notes
l'école
tout ça
toujours les mêmes questions
je la connais par coeur
mais je dis rien nom de dieu je m'en fous
c'est beaucoup dire ça peut mal se passer
&
de pierres
je le connais par coeur
c'est beaucoup dire
je manque d'y chuter
plusieurs fois
de mon vélo
en rentrant de l'école
je m'en fous nom de dieu
je crâne un peu
en passant devant la maison
d'une belle fille de
ma classe
qui me regarde peut-être à sa fenêtre
y a des champs alentour
&
des terrains à l'abandon
y a aussi quelques maisons comme la nôtre
plus grandes que la nôtre
papa et maman n'en sont pas jaloux
à ce qu'il paraît
papa dit même que ces gens-là sont pas comme nous
moi j'en sais rien nom de dieu je m'en fous
c'est quelque chose que je répète souvent
et maman n'aime pas ça
quand on parle de dieu de cette façon
je salue les voisins
politesse bien apprise
ils prennent le thé
ils prennent le temps
à leur terrasse
un vieux couple avec un chien hargneux
qui m'aboie dessus
comme un fou
je pédale
je pédale
un peu plus loin j'arrive à
la barrière blanche c'est chez nous
une barrière en plastique
facile à enjamber
on le fait souvent mon frère
&
moi
quand on s'ennuie à l'intérieur
maman sourit
maman m'attend
maman demande si ça s'est bien passé
les notes
l'école
tout ça
toujours les mêmes questions
je la connais par coeur
mais je dis rien nom de dieu je m'en fous
c'est beaucoup dire ça peut mal se passer
8 nov. 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 32)
Je
m'accroupis
dans
l'herbe
humide
du jardin en
pente
pour
voir de plus près
les escargots
les vers de terre
&
les limaces
maman me
demande de
ne pas y toucher
parce que c'est dégoûtant
mais quand
elle a le dos
tourné
je pose
mes doigts
&
le nez presque
dessus
car moi
voyez-vous
je n'ai pas
d'animal de
compagnie
m'accroupis
dans
l'herbe
humide
du jardin en
pente
pour
voir de plus près
les escargots
les vers de terre
&
les limaces
maman me
demande de
ne pas y toucher
parce que c'est dégoûtant
mais quand
elle a le dos
tourné
je pose
mes doigts
&
le nez presque
dessus
car moi
voyez-vous
je n'ai pas
d'animal de
compagnie
Dans la maison de mon enfance (Extrait 31)
Chaque fois qu'il pleuvait fort
le garage en pente était inondé
on enfilait des bottes
de pêcheur
qui ne servaient jamais le reste du temps
on se mettait tous ensemble
à évacuer l'eau
avec des balais des serpillières et des seaux
maman à bout de nerfs
répétait qu'elle en avait marre
de cette maison
moi j'aimais bien cet effort physique
qui donnait l'impression
d'être utile
à autre chose
Chaque fois qu'il pleuvait fort
les cartons mouillés dans le garage
sentaient le rance
et on recommençait
à éponger
parfois c'était en pleine nuit
-on fait comme les Shadoks souriait papa
qui nous expliquait à mon frère et moi
qui étaient les Shadoks
ensuite on buvait une boisson chaude
Je crois bien que
l'imminence des catastrophes
devenait un souhait que je n'osais
bien sûr pas exprimer clairement.
Une fois seul dans ma chambre
je retrouvais mes peurs
la nuit quand le vent
sifflait entre les volets
la mélopée des solitudes
le retour des vieux fantômes
vengeurs
&
mes prières n'y changeaient rien
parfois j'en voulais à ce dieu et ça n'y rien changeait rien non plus
le garage en pente était inondé
on enfilait des bottes
de pêcheur
qui ne servaient jamais le reste du temps
on se mettait tous ensemble
à évacuer l'eau
avec des balais des serpillières et des seaux
maman à bout de nerfs
répétait qu'elle en avait marre
de cette maison
moi j'aimais bien cet effort physique
qui donnait l'impression
d'être utile
à autre chose
Chaque fois qu'il pleuvait fort
les cartons mouillés dans le garage
sentaient le rance
et on recommençait
à éponger
parfois c'était en pleine nuit
-on fait comme les Shadoks souriait papa
qui nous expliquait à mon frère et moi
qui étaient les Shadoks
ensuite on buvait une boisson chaude
Je crois bien que
l'imminence des catastrophes
devenait un souhait que je n'osais
bien sûr pas exprimer clairement.
Une fois seul dans ma chambre
je retrouvais mes peurs
la nuit quand le vent
sifflait entre les volets
la mélopée des solitudes
le retour des vieux fantômes
vengeurs
&
mes prières n'y changeaient rien
parfois j'en voulais à ce dieu et ça n'y rien changeait rien non plus
7 nov. 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 30)
Les amis de papa et maman
quand ils viennent chez nous ils
me demandent ce que je veux faire plus tard
ils ne sont pas les seuls
papy et mamy me posent la même question
pépé et mémé pareil
et d'autres gens dans notre entourage
et d'autres gens que je connais à peine
mais qu'est-ce-qu'ils ont tous à vouloir savoir ?
et chaque fois je réponds la même chose
ça les fait bien sourire
moi je comprends pas qu'ils sourient comme ça
peut-être que j'ai dit une bêtise ?
parce qu'on dirait qu'ils ne me prennent pas au sérieux
parce qu'on dirait qu'ils se moquent de moi
je leur souris aussi quand même pour faire plaisir
surtout pour ne pas m'énerver
et là
papa et maman d'un commun accord
concluent d'un "ça va lui passer"
ferme et définitif
qui me fait presque froid dans le dos
et puis tous parlent des études, de réussite, d'un vrai métier
et puis tous parlent d'autre chose
et puis tout le monde oublie que j'existe
je n'écoute déjà plus
que cette phrase en boucle dans ma tête
et si ça ne me passait pas ?
et si ça ne me passait pas hein ?
quand ils viennent chez nous ils
me demandent ce que je veux faire plus tard
ils ne sont pas les seuls
papy et mamy me posent la même question
pépé et mémé pareil
et d'autres gens dans notre entourage
et d'autres gens que je connais à peine
mais qu'est-ce-qu'ils ont tous à vouloir savoir ?
et chaque fois je réponds la même chose
ça les fait bien sourire
moi je comprends pas qu'ils sourient comme ça
peut-être que j'ai dit une bêtise ?
parce qu'on dirait qu'ils ne me prennent pas au sérieux
parce qu'on dirait qu'ils se moquent de moi
je leur souris aussi quand même pour faire plaisir
surtout pour ne pas m'énerver
et là
papa et maman d'un commun accord
concluent d'un "ça va lui passer"
ferme et définitif
qui me fait presque froid dans le dos
et puis tous parlent des études, de réussite, d'un vrai métier
et puis tous parlent d'autre chose
et puis tout le monde oublie que j'existe
je n'écoute déjà plus
que cette phrase en boucle dans ma tête
et si ça ne me passait pas ?
et si ça ne me passait pas hein ?
15 juil. 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 29)
Lettre à mon papy
"Cher papy,
j'espère que tu vas mieux depuis
que tu as attrapé l'infractus
du coeur
c'est un mot bizarre infractus pour une maladie
je pense à toi souvent.
et à mamy aussi bien sûr
de mon côté ça va
puisque je ramène de bonnes notes à l'école
ce qui fait plaisir
à papa et à maman
et à moi aussi bien sûr
au fait maman m'a dit
que tu avais écrit un journal intime
pendant la guerre
j'aimerais bien le lire un jour quand
je serai plus grand
moi aussi j'écris un journal intime
je te le ferai lire si tu veux
au fait papa a acheté
plusieurs gros livres
sur la vie des français pendant l'occupation
je ne les ai pas encore lus
je ne lis pas beaucoup sauf les aventures de Michel le gardian
et Onze et Mondial et Gaston Lagaffe
mais j'ai regardé les photos en noir et blanc
donc j'ai pensé à toi
et à mamy aussi bien sûr
maman m'a dit que tu avais été prisonnier
pendant la guerre
mais elle n'a pas voulu m'en dire plus
alors j'espère que quand tu iras mieux
tu me raconteras tout ça
d'accord ?
je t'embrasse fort
et mamy aussi bien sûr
je vous dit à bientot".
"Cher papy,
j'espère que tu vas mieux depuis
que tu as attrapé l'infractus
du coeur
c'est un mot bizarre infractus pour une maladie
je pense à toi souvent.
et à mamy aussi bien sûr
de mon côté ça va
puisque je ramène de bonnes notes à l'école
ce qui fait plaisir
à papa et à maman
et à moi aussi bien sûr
au fait maman m'a dit
que tu avais écrit un journal intime
pendant la guerre
j'aimerais bien le lire un jour quand
je serai plus grand
moi aussi j'écris un journal intime
je te le ferai lire si tu veux
au fait papa a acheté
plusieurs gros livres
sur la vie des français pendant l'occupation
je ne les ai pas encore lus
je ne lis pas beaucoup sauf les aventures de Michel le gardian
et Onze et Mondial et Gaston Lagaffe
mais j'ai regardé les photos en noir et blanc
donc j'ai pensé à toi
et à mamy aussi bien sûr
maman m'a dit que tu avais été prisonnier
pendant la guerre
mais elle n'a pas voulu m'en dire plus
alors j'espère que quand tu iras mieux
tu me raconteras tout ça
d'accord ?
je t'embrasse fort
et mamy aussi bien sûr
je vous dit à bientot".
20 mai 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 28)
maman n'aime pas faire
la cuisine
elle dit qu'elle a trop de travail le reste du temps
sauf le dimanche
où l'on mange autre chose que
des conserves
de raviolis
et
des yaourts nature
au goût amer
ensuite
on joue au Monopoly ou
aux Mille Bornes
tous les quatre
puis
dans le terrain vague d'en face
mon frère et moi
lançons des pierres
le plus loin possible
parfois on croise
une couleuvre
qu'on prend pour une vipère
on détale à toutes jambes
en hurlant
papa tond la pelouse
coupe les mauvaises herbes
et nous demande ce qui se passe
j'aime l'odeur de l'herbe fraîchement coupée
j'aime la répétition de l'ennui
j'aime finalement ces gestes familiers qui ne
sortent pas de l'ornière
et pour mettre un peu plus d'animation
mon frère et moi
finissons par nous battre
ce qui a le don de mettre maman dans tous ses états
et l'un des deux finit par
chialer
plus
fort que l'autre
la cuisine
elle dit qu'elle a trop de travail le reste du temps
sauf le dimanche
où l'on mange autre chose que
des conserves
de raviolis
et
des yaourts nature
au goût amer
ensuite
on joue au Monopoly ou
aux Mille Bornes
tous les quatre
puis
dans le terrain vague d'en face
mon frère et moi
lançons des pierres
le plus loin possible
parfois on croise
une couleuvre
qu'on prend pour une vipère
on détale à toutes jambes
en hurlant
papa tond la pelouse
coupe les mauvaises herbes
et nous demande ce qui se passe
j'aime l'odeur de l'herbe fraîchement coupée
j'aime la répétition de l'ennui
j'aime finalement ces gestes familiers qui ne
sortent pas de l'ornière
et pour mettre un peu plus d'animation
mon frère et moi
finissons par nous battre
ce qui a le don de mettre maman dans tous ses états
et l'un des deux finit par
chialer
plus
fort que l'autre
12 mai 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 27)
Pendaison de crémaillère
C'est une maison
qui a failli ne jamais
voir le jour
l'entreprise de construction
a fait faillite
au début des travaux
et maman a souvent pleuré à cette époque
surtout quand on passait voir
chaque dimanche
ces murs inachevés comme
fantomatiques
sans charpente
qui prenaient l'eau
la boue
le vent
et moi
quand je vois quelqu'un pleurer
je pleure aussi
maman dit que je tiens ça d'elle
maman dit aussi qu'elle tient ça de sa propre mère
alors elle me consolait gentiment
me serrant fort contre sa poitrine
généreuse
mais papa
lui
il ne lâche jamais rien
parce que papa
lui
il a connu une enfance difficile
je l'ai su des années plus tard
il sait bien
que rien ne vient jamais sans effort
il nous le répète souvent
il sait bien
qu'il ne faut pas céder
au découragement
qu'il y a une solution à tout
même à la mort, nous disait-il, un jour vous verrez
(il aurait voulu être médecin)
deux ans plus tard
on a enfin pendu
la crémaillère
j'ignore où elle a été accrochée
on a un jardin en pente
&
la campagne alentour
C'est une maison
qui a failli ne jamais
voir le jour
l'entreprise de construction
a fait faillite
au début des travaux
et maman a souvent pleuré à cette époque
surtout quand on passait voir
chaque dimanche
ces murs inachevés comme
fantomatiques
sans charpente
qui prenaient l'eau
la boue
le vent
et moi
quand je vois quelqu'un pleurer
je pleure aussi
maman dit que je tiens ça d'elle
maman dit aussi qu'elle tient ça de sa propre mère
alors elle me consolait gentiment
me serrant fort contre sa poitrine
généreuse
mais papa
lui
il ne lâche jamais rien
parce que papa
lui
il a connu une enfance difficile
je l'ai su des années plus tard
il sait bien
que rien ne vient jamais sans effort
il nous le répète souvent
il sait bien
qu'il ne faut pas céder
au découragement
qu'il y a une solution à tout
même à la mort, nous disait-il, un jour vous verrez
(il aurait voulu être médecin)
deux ans plus tard
on a enfin pendu
la crémaillère
j'ignore où elle a été accrochée
on a un jardin en pente
&
la campagne alentour
8 mai 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 26)
Tocs tocs tocs !
ils sont apparus d'un coup
mais je n'en suis pas sûr à vrai dire
peut-être sont-ils venus
par étapes
sans que je m'en rende bien compte
en tout cas ils sont là
bien là à
me faire répéter d'étranges rituels
maniaques
mon bureau est bien rangé
rien ne dépasse
mes tiroirs sont bien rangés
rien ne dépasse
mes livres sont bien rangés
et si quelqu'un en déplace un d'un seul centimètre je le saurais
ça je ne le supporte vraiment pas
sans doute ai-je intégré les ordres familiaux
avec une soumission
mêlée de zèle et de crainte
je vérifie même plusieurs fois de suite
que le tiroir de gauche est fermé jusqu'au fond
que le tiroir de droite est fermé jusqu'au fond
que le stylo bleu est à sa place
qu'il se tient droit
dans son encrier près du stylo rouge tout aussi à la verticale
que cette feuille de papier
est alignée exactement sur celle d'en dessous
puis je regarde une dernière fois
que tout est en ordre
qu'il n'y a rien sous mon lit
avant de refermer la porte de ma chambre
et de la rouvrir aussitôt
pris d'un doute infernal
qui ne me quitte pas en descendant les escaliers
et mes parents impatients me demandent alors :
-Qu'est-ce-que tu faisais, nom d'un chien ! ça fait dix minutes qu'on t'attend pour partir ?
ils sont apparus d'un coup
mais je n'en suis pas sûr à vrai dire
peut-être sont-ils venus
par étapes
sans que je m'en rende bien compte
en tout cas ils sont là
bien là à
me faire répéter d'étranges rituels
maniaques
mon bureau est bien rangé
rien ne dépasse
mes tiroirs sont bien rangés
rien ne dépasse
mes livres sont bien rangés
et si quelqu'un en déplace un d'un seul centimètre je le saurais
ça je ne le supporte vraiment pas
sans doute ai-je intégré les ordres familiaux
avec une soumission
mêlée de zèle et de crainte
je vérifie même plusieurs fois de suite
que le tiroir de gauche est fermé jusqu'au fond
que le tiroir de droite est fermé jusqu'au fond
que le stylo bleu est à sa place
qu'il se tient droit
dans son encrier près du stylo rouge tout aussi à la verticale
que cette feuille de papier
est alignée exactement sur celle d'en dessous
puis je regarde une dernière fois
que tout est en ordre
qu'il n'y a rien sous mon lit
avant de refermer la porte de ma chambre
et de la rouvrir aussitôt
pris d'un doute infernal
qui ne me quitte pas en descendant les escaliers
et mes parents impatients me demandent alors :
-Qu'est-ce-que tu faisais, nom d'un chien ! ça fait dix minutes qu'on t'attend pour partir ?
21 avr. 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 25)
On parle de choses et d'autres, à la surface
On parle de la terrible sécheresse
de la victoire de Lucien Van Impe
dans les Alpes
on parle de l'Amoco Cadiz
et du possible
déménagement qui se profile
à l'horizon dans une grande ville
inconnue
on parle de ma grande sensibilité
on me demande de ne pas en avoir peur
on parle de mes études
de mes capacités de ma mémoire puisque
je sais déjà plein de choses
par exemple
je connais par cœur mes
tables de multiplication
je peux réciter un
poème de René-Guy Cadou
en y mettant le ton
&
je retiens le nom de tous
les joueurs de l'équipe de foot
qui vient d'être championne de France
devant St Etienne
&
de toute façon
j'ai horreur de me tromper
&
quand on joue à des jeux
de société
j'ai viscéralement horreur de perdre
On parle de la terrible sécheresse
de la victoire de Lucien Van Impe
dans les Alpes
on parle de l'Amoco Cadiz
et du possible
déménagement qui se profile
à l'horizon dans une grande ville
inconnue
on parle de ma grande sensibilité
on me demande de ne pas en avoir peur
on parle de mes études
de mes capacités de ma mémoire puisque
je sais déjà plein de choses
par exemple
je connais par cœur mes
tables de multiplication
je peux réciter un
poème de René-Guy Cadou
en y mettant le ton
&
je retiens le nom de tous
les joueurs de l'équipe de foot
qui vient d'être championne de France
devant St Etienne
&
de toute façon
j'ai horreur de me tromper
&
quand on joue à des jeux
de société
j'ai viscéralement horreur de perdre
20 avr. 2015
Dans la maison de mon enfance (Extrait 24)
Les truites multicolores
La minuscule
rivière
serpente
en contrebas
du jardin
sous d'immenses arbres
ils m'apparaissent immenses en tout cas
papa prétend qu'il y a parfois
des truites multicolores
qui descendent le courant jusqu'à
l'Erdre
quand il fait trop chaud
je m'amuse à l'enjamber à
sauter d'un bord à
l'autre
à cloche-pieds
sans jamais voir les truites multicolores
&
je demande à mon frère
de faire pareil
s'il est cap'
&
lui de hausser les épaules
en me répondant qu'il
à autre chose à faire de plus important :
papa lui a demandé d'aller chercher le fil
à couper le vent
La minuscule
rivière
serpente
en contrebas
du jardin
sous d'immenses arbres
ils m'apparaissent immenses en tout cas
papa prétend qu'il y a parfois
des truites multicolores
qui descendent le courant jusqu'à
l'Erdre
quand il fait trop chaud
je m'amuse à l'enjamber à
sauter d'un bord à
l'autre
à cloche-pieds
sans jamais voir les truites multicolores
&
je demande à mon frère
de faire pareil
s'il est cap'
&
lui de hausser les épaules
en me répondant qu'il
à autre chose à faire de plus important :
papa lui a demandé d'aller chercher le fil
à couper le vent
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