23 nov. 2021

 au jour naissant

le froid glacial est là

ce n'est pas un invité comme les autres

le froid glacial est venu seul

sans la neige sans la brume

qu'il connaisse la souffrance derrière la lumière du soleil

c'est tout-à-fait possible

le froid glacial est un taiseux

ce n'est pas un passant comme les autres

22 nov. 2021

 à la nuit tombée

d'une chaise

c'est qu'on est maladroit parfois

l'avion tient entre deux doigts

et ça ne fait sourire personne

 à la nuit tombée

d'en haut

c'est que le ciel est distrait parfois

le sourire écrase l'avion entre deux doigts


à l'heure du déjeuner

un pigeon picore près du banc 

le marmot tient fermement son biberon en bouche

sa mère discute avec une autre mère de famille

le pigeon s'envole un peu plus loin

le marmot n'en peut plus de tenir fermement son biberon vide en bouche

sa mère répond maintenant au téléphone

elle en veut à quelqu'un de n'être jamais là quand il faut

j'entre dans le kébab

je commande un sandwich panini sauce blanche et une

grande portion de frites

je vais manger gras ce midi

je sais pas pourquoi ça me rendrait presque heureux

21 nov. 2021

Message vocal

La société se décharge de toute responsabilité

en cas d'erreur de jugement de votre part

La société se réserve le droit 

de vous laisser pour compte

si nécessaire et sans préavis


La société vous demande un peu de compréhension

pour les efforts qu'elle entreprend chaque jour

La société se réserve le droit

de vous réintégrer en son sein

si elle vous juge remise de vos égarements


La société œuvre dans le bon sens

croyez-la sur paroles s'il vous plaît

La société n'écarte jamais que

les éléments n'allant pas dans le bon sens

n'en doutez jamais, pour le bien commun.

20 nov. 2021

au jour naissant

ouvrir le rideau sur

paysage familier

après un dernier rêve

j'aurais voulu le prolonger

le dernier rêve m'a forcé au réveil

au jour naissant

les gestes inlassablement quotidiens

reprennent vie

le dernier rêve devra s'en aller


19 nov. 2021

 à la nui tombée

on a perdu un t assez détaché

du reste sans qu'on sache s'il 

reprendra sa place le matin suivant

  à la nui ombée

on a perdu son âme sœur ou son miroir

ou une forme qui lui ressemblait un peu

au jour naissant

l'oiseau piaille d'impatience

on voit bien que l'oiseau jamais

n'a bossé dans un open-space

l'oiseau a d'autres préoccupations

vais-je aussi piailler d'impatience

pour lui foutre la pression ?

18 nov. 2021

à l'heure du déjeuner

je devrais écouter mon corps

et n'écouter que lui

au lieu de ça je suis distrait 

j'entends des sons des voix des bruits

je devrais écouter mon corps

dans un silence de cathédrale


à l'heure du déjeuner 

un hanneton sur la vitre extérieure

le jeune serveur approche

quelqu'un parle d'hiberner longtemps

des rires qui viennent d'ailleurs

et tous ces gens qui passent

le couple a sûrement des choses à se dire.




17 nov. 2021

Cheryl Savageau

 Poétesse métisse (franco-canadienne et Abenaki), née en 1950.


Comme les pistes de notre pays

Nous étions Français et les Indiens aiment la guerre

disait mon père

ils combattirent ensemble

contre les Anglais

et bien que parfaitement vrai

c'est quand même un mensonge

Français et Indien

se battent encore dans mon sang

Les jésuites qui avaient remonté le Saint-Laurent

trouvèrent que les gens y étaient non civilisés

ils ne battrons pas leurs enfants

écrit-il dans son journal à la lumière de la bougie

et les hommes écoutent trop

leurs femmes

Toi qui m'apprend à ne voir aucune frontière

à connaître le nord-est d'un territoire

n'a jamais entendu le mot Ndakinna

mais l'a traduit sans le savoir

notre pays, le pays Abenaki

Grands-mères et grands-pères

errent dans mon sang

arpentent le pays de mon corps

comme les pistes de Ndakinna

du rivage à la forêt

Ils marchent sans repos

chassés par des yeux bleus et une peau blanche

survivant sous terre

l'invisibilité est leur meilleure défense

Grands-mères, grands-pères,

un filet de votre sang coule en moi

mon regard vous attrape

de profil dans un miroir

les lignes du nez et du menton

me surprennent, puis s'enfoncent

derrière les couleurs de l'ennemi

Vous marchez sur la piste

qui déclare ce corps

territoire Abenaki

et comme le rêveur

vous prononcez mon vrai nom

Ndakinna


 


MEDECINE WOMAN for dovie (petite colombe)

Medecine woman ils m'appelaient

comme s'il m'avait été possible d'aimer ce nom

c'était pareil à l'école les enfants

me surnommaient petite colombe

et ce à cause d'une chanson idiote

qui parlait une fois de plus d'une Indienne

allant à grands pas vers la mort

(comment cela se fait-il) que tu aies un nom d'animal? comment ça s'fait

me demandaient-ils, ( comment ? ) hein?

et je rentrais chez moi pour interroger mon père

comment cela se fait-il papa,

que je porte un nom d'animal?


à présent des femmes blanches entrent dans ma boutique

et me demandent d'aller bénir leurs maisons

( je veux moi leur poser cette question : qu'est-ce qui ne va pas ? )

me demandent de donner un nom à leurs petits enfants

( est-ce que je connais leurs filles?)

de disperser de la fumée alentour

de dire des paroles, faites

tout ce qu'il est bon de faire

nous voulons quelqu'un de spirituel

vous êtes Indienne n'est-ce pas?


C'est vrai, leurs cheveux gris

retiennent ma langue

elles sont grands-mères donc méritent le respect

alors je parle aussi gentiment que possible

vous laisseriez une étrangère

venir chez vous demandais-je

vous me laisseriez toucher

votre petit fils nouvau né

me laisseriez donner un nom

au bébé ce qui me passerait par la tête?

je ne le crois pas

mais elles sourient et me redisent

qu'elle veulent quelqu'un de spirituel pour le faire


j'écris à mon père

comment se fait-il que tu ne m'a jamais

raconté qui nous sommes, d'où nous venons?


Les femmes continuent leur visite dans ma boutique

elles déposent des pierres dans mes mains

Pouvez-vous ressentir quelque chose? questionnent-elles

Evidemment que je peux Je ne suis pas morte,

mais ce n'est pas la bonne réponse


Mon père m'envoie une lettre

le jardin donne bien le maïs lève

il y a beaucoup de papillons

et tout ce que je sais

c'est que nous venons des étoiles.


 


Étendre le linge au soleil

Sa plus jeune fille l'aide

à essorer le linge

pendant que pour des médecins

sa femme répond au téléphone.

La machine à laver

est encore cassée.


A l'usine

où il grave une piste

sur des puces en silicone

il porte une veste et un panatalon blancs

des chaussures spéciales

pour protéger les puces de la poussière.


C'est le meilleur boulot qu'il ait dégotté.

Mieux que l'année dernière

quand il aspergeait les pelouses de poisons,

après quoi il installait de petits panneaux

prévenant autrui qu'il ne fallait pas marcher là,

ses vêtements saturés,

ses poumons asthmatiques

étouffaient dans les nuages

marqués du "dangereux pour les animaux et les humains".


Tout l'été, il avait du refusé

les câlins de sa fille jusqu'à ce qu'il

ôte ses vêtements empoisonnés

sur le perron de derrière. Tee shirt,

jeans, casquette de baseball,

il les mettait dans un sac plastique,

et se douchait alors que sa peau le brûlait.


Avant ç'avait été l'amiante.

Enveloppé de plastique,

il enlevait les plafonds affaissés,

les isolations écaillées sur les tuyaux des sous-sols,

il passait l'aspirateur pour éviter aux petites particules

de se loger dans les poumons.

Elles flottaient dans les rêves, le poursuivaient

comme un essaim d'abeilles invisibles.


Ce boulot là était meilleur que tout ça,

malgré les cuves de solvants

d'où s'échappent des fumées nocives,

le salaire avec lequel on ne joignait pas les deux bouts.

Mieux que travailler à l'installation de défense

traversant le lac, où le personnel de la force aérienne

vérifiait son badge d'identité chaque matin,

où tout et rien étaient secrets.


Il essore l'eau

des chemises et des serviettes.

Il sait qu'il boit trop.

Il rêve de déménager dans le New Hampshire,

où son peuple avait marché

pendant dix mille ans,

et où, il le croît,

l'eau est encore propre,

mais au nord, le moulin Lancaster

crache de la dioxine dans la rivière Connecticut,

et en aval, cinq petites filles ont été opérées

d'un cancer de l'utérus.

De toutes les façons, il n'y a pas d'argent.


Maintenant la machine à laver

déverse l'eau savonneuse

dans le sous sol.

Sa fille avec détermination lance un regard

désaprobateur à la serviette qu'elle tient dans ses mains.

Agée de cinq ans, elle sait comment aider,

essorer pour évacuer l'eau sale,

étendre le linge au soleil.


Cheryl Savageau

Traduction : Béatrice Machet

16 nov. 2021

 au jour naissant

sortir d'un drôle de rêve

érotique

au moment d'ouvrir les yeux

je te dirai que j'ai fait

un sacré cauchemar 

qui m'oblige à rester au lit

quelques minutes encore.

14 nov. 2021

 au jour naissant

les premiers pas sont énergiques

les premiers pas sont encore fatigués

les premiers pas ne savent déjà plus trop

où ils en sont.

 au jour naissant la lune

quitte la scène

le premier bus arrive

et les deux 

ne se connaissent pourtant pas.

13 nov. 2021

 


Le monde englouti... (en un seul repas) (publié en Octobre 2021)

 


Denis Editions - 4 euros

Disponible ici : https://denis-editions.com/

Tournée d'adieu (publié en 2020)

 


Gros Textes - 7 euros.

Format 14x10.

Disponible ici : https://grostextes.fr/publication/tournee-dadieu/


la mélancolie me ressemble

la nostalgie je ne sais pas

l'écrire 

je ne la ressens pas

je la lis ailleurs je le trouve belle et

touchante

la mélancolie me ressemble

comme deux gouttes d'eau

la nostalgie m'est étrangère

la plupart du temps

la mélancolie me ressemble

m'empoigne et me rassure

je vis le présent comme un temps

autonome un temps à part

seule la présence des autres

les gens croisés ici ou là

les gens que je connais à qui

je parle je souris

eux je les sens parfois nostalgiques

de quelque chose

la mélancolie me confie que je ne suis jamais

qu'une voix de plus égarée 

dans l'improbable caisse 

de résonnance

qui formerait matière à vivre

la nostalgie non je ne sais pas

l'écrire 


à la nuit tombée

je pose mon chapeau

sur le canapé

j'attends près de lui qu'il s'endorme

même s'il fait semblant

comme il a si bien su

veiller sur moi

et me donner confiance

au milieu des autres.

12 nov. 2021

à la nuit tombée

le mystère des présences

recluses

s'épaissit plus vite que

le brouillard

sur la ville.


à la nuit tombée

le lampadaire attire

à lui

une communauté d'insectes

en tout genre

ayant peur de s'éloigner du rebord de

la vie

comme autant d'adeptes agglomérés

autour d'un gourou

lumineux

Message vocal

Nous avons le plaisir

de vous convier

au salon international de la Mélancolie

Vous y trouverez de quoi

désespérer sans déranger personne


Nous avons le plaisir

de vous convier

à la grande foire annuelle du Manque

Vous y trouverez de quoi

vous consoler de tout en parfaite quiétude


Nous sommes au regret

de vous annoncer

que toutes les places se sont vendues

en un rien de temps

Restez chez vous

Soyez patients.


L'échafaudage

 L’ouvrier grimpé

sur un échafaudage à

dix mètres du sol

au bas mot

chante à tue-tête.


Hier matin, déjà

il chantait à tue-tête.


Le plus curieux c’est

que le chantier de ravalement

avance bien.


Je ne sais pas si

en chantant à tue-tête 

je parviendrais à terminer

tout ce que

j’avais plus ou moins commencé.


L’ouvrier grimpé

sur un échafaudage à

quinze mètres du sol

sans exagérer

m’aura au moins permis d’écrire

un poème sans vertige.

Quel dommage que vous ne

m’entendiez pas aussi chanter.


Je ne chante pas plus faux.