30 nov. 2009

ce ne sont pas les doigts qui vont craquer

Le froid est vif et je peine
à me frayer une place dans le petit local
de l'accueil
surchauffé ou m'attendent
quatre collègues pour une série
de livraisons
au hangar 3 je les salue machinalement
je n'ai pas la tête
à soulever de la fonte ces putains de colis
comme la dernière fois
je n'ai pas la tête à supporter
leurs insinuations leurs questions
leurs regards leurs rapports
je vais d'abord me boire un café
brûlant à 35 centimes fumer
une clope dehors sous l'oeil des caméras
de surveillance je vais scruter le ciel
mes poches mon répertoire
de pensées
heureuses - il m'en reste
à écrire -
Je vous rejoints ensuite
je leur dis
je vais tâcher de résister
de tenir bon
de tenir la journée
de tenir mes huit heures
aux autres le combat la flamme
le qui plus est
le dernier mot

25 nov. 2009

cette jeune femme
a quelque chose
de singulier
se dit-il en la regardant
traverser la rue
quelque chose qui la distingue
vraiment des
autres

il sort tout juste
de la librairie
d'en face
avec un fameux bouquin
dans son sac
et c'est sans doute
à partir d'un détail
comme celui-là
que sont tissées
les sensations
aussi inattendues qu'elles
soient
les unes avec
les autres
il y a là le fast-food
la boulangerie
la librairie
un peu plus loin un
pressing
mais le pensionnat
pour filles
il ne voit pas
vraiment pas

alors la vieille femme
le remercie quand même
pour ces
informations

ce qu'était cette école
dans le temps
elle s'en souvient
il n'y avait ni fast-food
ni boulangerie
ni librairie
ni pressing
& ce n'est pas la
peine d'embêter
un inconnu
avec tout ça

sur un ton détaché en guise de contrepoids

c'est dans la salle de bains souvent
que nous discutons
entre deux clopes
l'un qui regarde ses poils blanc
dans le miroir
l'autre assise sur la cuvette à pousser
à chier
à pisser
elle me fait part de
ses angoisses
de son rendez-vous chez
son psy du fait qu'elle se
trouve grosse
me dit qu'elle a appelé
sa mère que sa soeur
et son frère vont nous filer de
l'argent pour terminer
la semaine
elle me demande ce que je veux
dîner ce soir demain
si la petite à terminé ses
devoirs rangé sa
chambre si je crois
qu'elle ressent tout ça
elle veut savoir aussi
comment je
me sens moi en ce
moment
& je ne trouve rien
d'autre
à lui répondre
qu'une petite blague
débile
pour détendre
l'atmosphère dans la
pièce enfumée
& je me dirai en moi-même
que ce n'était pas là
ce que je pouvais
faire de mieux
pour nous sortir
de l'étouffante
saison
au dessus de
nos têtes




Promenoir urbain

nous sommes dans la vallée, nous sommes dans la vallée entre deux rues, l'une file vers le centre-ville, l'autre se perd dans les méandres d'autres rues, nous ne croisons personne, c'est une vallée ou il n'y a que toi, que moi, pas un arbuste, pas un oiseau

en profondeur de la vallée, à dix pas devant nous, un minuscule éclair de soleil-lune charrie d'un seul nuage une goutte de pluie et je ne sais si c'est le vent, je ne sais si c'est une caresse, ton souffle chaud, une parole sussurée, nous respirons un air si singulier, d'aucune saison, les frissons d'une présence, les particules d'un souvenir, les gestes assurés, l'attraction de l'ailleurs

nous sommes dans la vallée, nous remontons l'autre versant, à dix pas devant nous, dix pas sur le côté, nous montons vers la ville, déjà le brouhaha, déjà les bruits autour, les bruits reprennent le dessus, nous marchons la laideur, nous marchons droit devant, nous devenons la ville, quand d'un commun accord, quand cesse l'invention, notre folie, on ne se sent plus la douceur d'être là, à l'écart, traversés d'un grand vide

Esquisse d'un pas de suie

je me parle en moi-même, les mots je les écoute, les mots je les entends, ils ont un sens, les mots, je me parle à moi-même, je me dis tu, je me dis je, je me dis tu plus fréquemment, je me parle par souci de dialogue, je me parle à toi-même, ce ne sont pas toujours des phrases, je les termine tes phrases, je te connais, je te saisis au vol, je te parle en mon nom, j'utilise les mêmes mots, je vois les mêmes images, tu les fais surgir avant moi, je sens les mêmes angoisses, tu leur fournis un cadre plus authentique, avec plus de netteté, pour que ça ait un sens, pour que je me comprenne, je me parle en moi-même, je suis d'accord, je me contredis, je m'engueule, tu m'engueules, je m'en veux, je m'énerve, je me calme en moi-même, je me parle de tout, de ma vie, de mes vices, tu me parles, je ne retiens pas tout, je chuchote même de peur qu'on nous entende, qu'on me surprenne de l'extérieur, je t'interromps une fois que tout est dit, une fois que cesse cet entre nous en moi-même, je ne situe pas toujours bien la frontière, le double champs, le corps de l'un, le mal miroir de l'autre, je me parle en moi-même, tu peux être ma conscience, ma vision, ma torpeur et tu peux disparaître, partir comme ça, des heures durant, des heures durant sans rien entendre venant de toi.

24 nov. 2009

Au milieu de la nuit, je fus réveillé par les ronflements d'une femme. Je lui donnai des coups, de plus en plus violents, pour qu'elle cesse son vacarme infernal. Elle gromela des sortes d'insultes et se réveilla. Je lui demandai ce qu'elle faisait dans mon lit. Elle trouva ma question complètement saugrenue et me la retourna. N'ayant pas de réponse à lui fournir, je me levai pour aller pisser. Par la fenêtre, la nuit était splendide, étoilée, calme. A mon retour dans le lit, je vis une contravention posée sur l'oreiller: La date de validité de mon ticket venait de passer. Je quittai tristement, mais sans heurts, la chambre, l'appartement, l'immeuble et me retrouvai dehors, sans trop savoir ou reposer mon corps, vêtu seulement d'un slip et d'une paire de chaussons à moitié troués.

23 nov. 2009

J'ai récemment vu un reportage sur la chaîne Histoire "les français dans la grande guerre" et ce qui m'a le plus marqué, le plus ému, c'est la réadaptation impossible de ceux qui s'en sont sortis vivants mais pas indemnes.

A les voir trembler de tous leurs muscles, incapables de maîtriser leurs corps, incapables de dire quoi que ce soit, les yeux perdus dans une fixation abyssale de souffrances et de visions cauchemardesques, pris de spasmes violents, interminables, à les voir ainsi enfermés dans des établissements spécialisés comme on disait alors, pour le restant de leur vie, eux qui avaient eu la chance, le hasard, de survivre à l'impitoyable boucherie... eux que leurs supérieurs hiérarchiques avaient pris pour des dégonflés, des truqueurs...


quand vient l'heure de la promenade
il n'y a pas de promenade ici
quand vient l'heure du repas
un seul repas par jour ici
quand vient l'heure des visites
personne ne sait que vous êtes ici
quand viendra le jour de sortir
il sera trop tard ...


dans sa cellule quatre murs froids un lit trop dur une table une chaise le règlement rien pour se pendre
une toute petite fenêtre
il tourne en rond en large et en travers parle tout seul donne un coup de pied dans le crachoir
ou est passée la lune?
.
à travers le judas le médecin l'observe
il prend des notes régulièrement
apprivoiser l'espace
le corps
la rue la place les trottoirs
les transports en commun
l'entrée des bâtiments publics
la queue dans les magasins bondés
la vendeuse le vendeur
la foule
les regards
insérer chaque détail
dans un tout
inorganique
pour
avancer
sans parano
voilà un truc que je ne
sais pas faire

Tout ce qu'il demande (de Thomas Vinau)

Il n’a ni conviction
Ni foi
Sa vie est aussi banale
Que celle de tous les autres
Il n’a pas parcouru la planète
Il ne s’est pas battu
Il n’a pas cherché d’or
Et il se fout autant de devenir riche
Que de changer le monde
Il ne veut pas grand-chose
Tout ce qu’il demande
Est minuscule
La faire rire malgré la fatigue
Voir ces chameaux incongrus au bord de la nationale
Ecouter Bob Marley dans sa voiture
Faire un feu le soir en rentrant
Voir la lumière entrer par la vitre de la cuisine
Lire en fumant
Ou surprendre les crocus qui percent la terre gelée
Tout ce qu’il demande
Est minuscule
Ça doit bien être possible
Non ?

Son petit musée














Lassé d'une vie sans reconnaissance, il déterra quelques-unes de ses victimes, ouvrit une galerie en plein coeur de Paris et y exposa les sculptures les plus représentatives de ses activités passées sur un velours acheté à prix d'or pour l'occasion.

Reprise du travail ajournée

Je ne me suis pas présenté
ce matin
devant la grille
de l'entrepôt
ZI Route de M. Chemin A34
et je n'ai pas prévenu
et j'aurais dû prévenir
et je suis en tort ok
et je n'en avais pas envie
parce qu'il y a mieux
parce que j'ai l'intime
conviction le lubrifiant
espoir le supervivant
phantasme
de
tirer les bons
numéros
qui nous sortiraient
d'affaire
une bonne fois pour
toutes.

Martha qu'elle s'appelait
ce n'est pas la chanson de
Tom Waits
c'est elle qui lui tenait
compagnie
sur le banc
entre deux bouteilles
entre les pigeons

le long des murs
les boutiques les lumières
sa silhouette
penche vers le sol
humide
parfois titube et tousse
il va comme tous les
autres
d'un point vers un
autre jusqu'à ce qu'il
n'en puisse plus

il en croise des silhouettes
sans visage
sans ombre
sans écho
il a envie d'un bon bain
chaud
l'eau le savon la friction
le repos mais la tendresse
qu'en ferait-il
agressif, agressé
il se cherche un abri
d'un carton
d'un hall et pisser n'importe
ou
ça fait mal

la nuit interminable
c'est pour bientôt

22 nov. 2009

ca fait des heures
et des heures
que vous marchez
et vous savez
le saviez-vous?
qu'il vous reste
des heures et
des heures
à marcher

un fil distendu

perdue
dans ses pensées
elle demande sa route
et là ou elle se trouve
il
n'en est plus que
des mauvaises

le manque de...

la fragilité
peut n'être qu'apparence
il est rare
de nous voir
tomber
comme des mouches
sans rien dire
sans nous défendre
sauf à être
déjà
au bout du
rouleau
le vent bat la
pluie sur les vitres
il y a des grincements
bizarres dans la pièce
des bruits
venus d'on ne sait ou
il est presque
certain
que nous ne sommes
pas seuls
ici
ça suit son cours
ça suit l'indice
la logique l'évolution
ça suit la ligne blanche continue
ça suit de près
ça suit quelqu'un
ou quelqu'un d'autre
ça suit son chemin
et seulement après
ça va se coucher
avec un gros
ras-le-bol
avec une
putain de migraine
sans se laver les
pieds
emporté par la foule
le chien traversa
le pays d'Est en Ouest
sans pouvoir s'établir
nulle part
toujours emporté
par la foule
il se retrouva au bord de
la falaise
et lorsque tous plongèrent
dans l'océan
venus d'Est en Ouest
il ne put résister à l'envie
d'aboyer une dernière
fois
comme ça
pour rien
allongé à côté d'elle dans le lit
depuis quelques minutes
il se penche
essuie
caresse son visage
trempé de sueur
et de fièvre
l'embrasse
lui glisse un petit mot
à l'oreille
...

De la monotonie des jours
nous n'avons pas tiré
grand-chose tant qu'elle semblait
devoir vaincre
à jamais
le solde de nos
appréhensions et nous éteindre
à nous-mêmes et nous éteindre...

Ce n'est plus le cas
je pense

20 nov. 2009

nous sommes
sans doute à un
tournant de notre vie
et bien qu'il ne soit
nulle part indiqué ralentir
il ne s'agirait pas
de déraper
sur les obstacles
qui s'y trouvent
dans la malle à
souvenirs
j'ai conservé
une boîte en
métal cadenassée
j'en avais jeté la petite clé
dans une anfractuosité du
chemin
de campagne et la poussière
la pluie les roues des vélos
des voitures
ont dû l'enterrer avec
tant d'autres choses


19 nov. 2009

Elle & lui & moi autour d'un feu de bois

il habite là depuis trente ans
c'est ce qu'il me dit
autour du feu de bois
qui crépite d'étincelles
il habite là
parce qu'il s'y sent bien
sa femme nous rejoint
en chemise de nuit froissée
transparente lointaine
et fatiguée
elle se sert une brochette d'agneau
une bonne rasade de vin rouge
la brochette est
un peu carbonisée elle souffle dessus
ses yeux fixes brillent est-ce la vie
est-ce tout autre chose
il s'y sent bien il y a des lacs
des étangs des rivières plein de poiscaille
tout autour
c'est l'idéal pour aller pêcher
on ira demain matin si tu veux
il ajoute qu'on y partira de bonne heure
avant le lever du soleil sur
un petit bateau qu'il a construit
lui-même en 1985 ça le fait sourire
je dis ok et je souris aussi par politesse
alors comme ça tu écris des textes
qu'il me demande
je fais oui de la tête j'essaie
en tout cas
il répond qu'il n'a plus envie
d'écrire depuis longtemps
qu'il préfère pêcher
maintenant m'adresse un clin d'oeil
appuyé que je ne saisis pas bien
je regarde sa femme
un peu gêné elle ne porte
rien sous sa chemise
de nuit ses ombres de seins
tombent jusqu'au sol
et ne dit rien depuis le
début elle me regarde à son tour
mâche la viande se sert
un autre gobelet de vin rouge
se lève s'éclipse vers le chalet
en bois referme la porte bruyamment
s'ensuit un long très long silence
hors les bruits de la nuit
ça fait trente ans que c'est
comme ça soupire t'il à me tirer
de ma torpeur
trente ans qu'elle n'a pas dit
un mot mais ça ne me dérange pas
je me sens bien ici t'as vu
comme c'est beau tout autour
la ville c'est loin très loin
on ira à la pêche demain matin
si tu veux de la truite tout ce que tu veux
je l'ai construit en 85
ce rafiot c'est du costaud
on partira de bonne heure tu
veux une autre brochette?
un autre verre? tu sais que
ma femme aime beaucoup lire
elle lit tout le temps la journée
le soir alors comme ça tu écris
des textes toi aussi ça va
lui plaire je pense et puis
moi je vous regarderai
mais t'inquiète pas hein
je me ferai tout petit
si ça te dérange pas
bien sûr j'ai l'habitude de
me fondre dans la nature ici



Stephen Dixon (1936)


Prolifique auteur US de short-stories et de novels.
Parmi ces bouquins:
-Nouvelles du 14è
-Ordures
-Jamais trop tard
-Movie
-La vie est une blague

Technique du coup d'état (Curzio Malaparte - 1931)


Je n'y connais pas grand-chose
en urologie
est-ce une raison suffisante
pour me retenir de pisser
quand j'en ai vraiment envie?
Elaine et Vincent ont baisé
une partie de la fin d'après-midi
à l'étage
puis se sont endormis
une petite heure
dans cette minuscule chambre d'hôtel
qui pue le renfermé
la sueur
l'odeur du sexe
la leur et celle
des autres qui sont passés
avant tu peux ouvrir la fenêtre?
demande Elaine qui regarde
l'heure
remet vite fait
sa petite culotte rouge
son jean délavé
réajuste sa coiffure
fait tomber
la lampe de chevet
Vincent à poil se lève
traîne les pieds
je peux pas elle est coincée
sur le rebord de la fenêtre
un pigeon roucoule
apeuré
s'apprête à reprendre son
gras envol
d'un rebord à un
autre et c'est un
peu ce que semble signifier
Elaine à Vincent en l'éloignant
tout net
ses mains ses caresses
ses baisers son érection
sa jeunesse sans culpabilité
je vais rentrer chez moi maintenant
il a distribué un tract politique
dans la rue toute la journée
avec le sourire avec sa fougue
un truc sur le nouvel
asservissement
des salariés dans les
entreprises du 21è siècle
quand ses acolytes y ont mis
bien plus d'acharnement de hargne
mais ce sont des vieux de
la vieille
tandis que lui
c'est la première fois qu'il s'y colle
et quand il rentre le soir
la voix un peu cassée les pieds fourbus
il a le sentiment d'avoir fait
quelque chose d'important
quelque chose qui le sorte
un peu de son nombril
qui le concerne enfin
et ça va l'inciter
à terminer
de lire au plus vite
la technique du coup
d'état
de Malaparte le Kapital
de Marx & Engels
et d'autres bouquins
dans le même genre
parce que
si le sang
devait couler un jour
il aimerait
que ce soit
en toute connaissance
de cause
Elise tient la main de son nouvel
ami ils ont l'air amoureux
je marche derrière j'écoute vaguement
Nico à mes côtés
me parler de la qualification
laborieuse imméritée presque
de l'équipe de France hein? j'acquiesce
huum huum Elise nous a présenté
son nouvel ami au bar
Le Ruisseau dans un quartier
friqué
ou nous avons bu des
bières des cafés
mangé un sandwich une salade
Elise n'a pas mangé grand-chose
c'est son habitude elle a tenté d'animer
la conversation pour éloigner la gêne
visible les sourires coincés du début
à la fin on peut pas dire qu'il y avait de
la tension non c'était une présence forcée
même Nico faisait son timide
on essayait de faire bonne impression
devant cet artiste cultivé et à l'aura
que nous n'avons pas
moi j'ai sorti des trucs plus
ou moins cons quand j'y repense
on se dirige vers le bowling tous les
quatre Nico crache par terre
des morceaux
de son tabac à rouler il continue
sur l'arbitrage l'argent dans le foot
il demande au nouvel ami
d'Elise s'il est d'accord avec lui
laisse-le tranquille avec ça je fais
Elise se
retourne avec ce beau sourire
à la fois
tendre et triste
je saurais pas
dire pourquoi mais c'est une
impression tenace
qu'avec son nouvel ami
ça le fera pas
et je sais que ça l'énerve
mes à-priori et
mon côté un peu paternaliste
elle se renfrogne me vanne gentiment
on rentre dans
le bowling blindé de monde
on verra bien semble t'elle
dire

18 nov. 2009

David Eugene Edwards (Woven Hand - Ex Sixteen Horsepower)


Du fond du coeur (Jacques Doillon - 1994)

Avec Anne Brochet (Mme De Stael) et Benoît Régent (Benjamin Constant).
tu as raison
il y a toujours cette sorte de tendresse
un peu usée parfois
un peu décalée
mais jamais dérisoire
qui nous fait nous accrocher
l'un à l'autre
sans savoir qui de nous deux
est la racine qui est l'arbre
et ce n'est pas là ce qui compte
le plus
tant que nos
sales agonies
ne poussent pas
ensemble

Benoît Régent (1953-1994)


Un acteur que j'appréciais particulièrement...


Expérience

Escaliers en colimaçon
il faut d'abord monter les nombreux étages à pied
avant d'atteindre le grenier
ensuite ouvrir la porte qui grince
donner un coup d'épaule
traverser emjamber des poutres
au fond sur une des planches
c'est du vieux bois mais c'est solide
une échelle droite comme un piquet
est dressée dans les courants d'air
d'un toit détruit par la tempête
Empoigner l'échelle qui ne tient que
par l'équilibre de votre corps de vos pas
l'empoigner fermement
grimper sans tourner vers le sol
le regard du vertige
tout en haut de l'échelle un fil
de fer légèrement en descente
tendu vers un nuage un cumulonimbus
s'agripper se laisser glisser à mains nues
se contorsionner un peu
poser un pied le reste du corps sur le nuage
se laisser dériver tout en faisant
le vide c'est pour le contrepoids
votre nuage agglutiné à d'autres se fait plus
sombre plus chargé laisser
passer l'orage les éclairs le tonnerre
observer la plus grosse goutte de l'averse
prête à évacuer les airs
s'accrocher à elle lui parler doucement
qu'elle tombe moins vite
beaucoup moins vite qu'elle vous lâche
à un mètre du sol
délicatement
une fois rentré chez vous
un peu partout
un peu nulle part
un lieu bien précis?
vous pourrez raconter
que vous avez été la pluie le vent
la douce lévitation la chute
et peu importe
que l'on vous croit ou non



en pleine nuit
je me lève pour voir
s'il reste quelque chose dans le frigo
et comme il n'y a rien
que des restes
j'en conclus vite
que le frigo
est un cercueil
et qu'il n'a pas sa place
ici
une table à terre un verre de plus un bras d'honneur un pied de grue une gifle ratée un poing fermé une colère noire un coeur de pierre du sang de l 'encre un regard vide un chien battu une main tendue un pas de côté du vent du temps un chemin de traverse un mal de vivre à corps perdus la vie l'amour pour un bien fou

Hai-Malokus (6)

A l'étroit dans son costard-cravate
il décida le lendemain
de venir bosser cul nu

Hai-Malokus (5)

L'homme cintre
resta longtemps coincé
les couilles sur un porte-manteau

17 nov. 2009

il faudrait que tu te remettes en question
me disait-il
mais par ou commencer je ne sais pas
lui répondais-je
peut-être en ne terminant plus
tes phrases
par des affirmations ?
je
hume
le fort caractère
de mon petit verre à la main
en savoure
la couleur sombre
près de la clope
posée
sur un cendrier
improvisé
mon petit verre englouti
cul-sec
je
prends bien soin
de maîtriser
le geste
de recul
avant de m'en servir
un autre
évidemment
dans l'armoire je cherche
un livre que
j'aimerais
relire pour savoir s'il me fait toujours
la même
impression qu'autrefois
& je lui demande ou j'ai bien
pu fourrer ce livre
qui commence à prendre une place
phénoménale
angoissante
dans l'armoire
mais elle m'assure
qu'il n'y est pas
vu que je l'ai vendu
il y a longtemps
avec d'autres affaires
pour avoir de quoi
nous acheter de la
bouffe alors
tu t'en souviens pas
& donc que je ferais mieux
de me chercher un
nouveau boulot
& c'est pas dans l'armoire
qu'il s'y
trouvera
ah ça NON
certainement pas
maintenant votre estomac
tambouille vomit tout
absolument tout
ce que vous ingurgitez
les infirmières qui passent
ne vous sourient même plus
se contentent de jeter un oeil
sur les statistiques
de changer les draps
vous sentez les murs
pencher de tous côtés
le lit craquer
s'ouvrir en plusieurs
cratères
pour que vous y tombiez
la tête la première
et
vous n'entendez déjà plus
la présence familière
à la place sont vos
cris de douleur
muets
échos lointains échos
vous rabattez la couverture
jusqu'à votre bouche sèche
d'une vie
dernier effort
pour un corps amaigri
sous assistance respiratoire
et
ca vous aura pris
moins d'une semaine
Glissant du haut du toit
l'oiseau fêtu de paille
agite ses ailes en tout sens
se pose tant bien que mal
sur une branche
trop légère
d'ou il aperçoit à peine
les tristes mines
encore voraces
qui déambulent
les pieds lourds
de leur vie
ratée
avant de s'effondrer
complètement
en n'espérant pas même
une peau
nouvelle
Pousser la porte
et ne trouver personne
appeler quelqu'un
quand on pressent qu'il n'y a rien
chercher sur la table
un mot qui n'y est pas
s'asseoir par terre
sans trop savoir quoi faire
ressentir ressentir
ce corps sensible qui se défait qui se défend
se concentrer se souvenir
de nos derniers échanges
espérer peut-être
qu'il s'agit là d'un mauvais rêve.

Il y a un an... Ludo !

Il y a un an, ce fut un choc, un véritable choc que d'apprendre sa "disparition".
Bien sûr, la vie continue, bien sûr. Pour nous autres. Tant bien que mal, cahin, cahin caha.
L'écriture aussi.
N'empêche, Ludo, tu nous manques terriblement...



TELEPHONIQUES (Ludo K)

et ce soir
la fumée de cigarette
fait mouiller mes yeux

ou bien c'est ton souffle
qui traverse l'écouteur

ta voix
le vent vrai de ta voix
me chahute étrangement

au long de lignes tendues
sur des paroles simples

il y a comme
une révolte d'eau
dans l'anesthésie déserte

un rêve de bras peuplés
je crois



Lorsque...
Brusquement
(Ludo K)

Lorsque j'irai
Brusquement

Là où tout finit

Je serai fier
De ne pas avoir tué
Vos âmes

Avec la mienne
Qui est une lame.



La porte de mes limites (Ludo K)

Pas de clé sans serrure
Il y a une porte que je traverse chaque nuit, la porte de mes limites.
Dans mon réduit de vie à la recherche de l’Être, j’achète quelques
mots, une lune à gratter. Surtout ne pas dormir. Avant de m'écrouler je
vole au soleil un de ses jeunes rayons et découvre six cratères
satellites. Si par bonheur trois d’entre eux s’illuminent, j’attrape mon
microscope le cœur saisi de sens. Alors je les observe comme des
diamants bruts puis referme la porte direction l’oreiller.




Désarmé (Ludo K)
J'écoute Noir Désir chanter des armes, j'entends Ferré pour le premier frisson et dans mon frigo bien au chaud attendent les boites metalliques de Desperados pour me refroidir, ouais me faire rendre les armes. Il me manque ma chimio, il me manque un peu de coeur, il me manque cet amour ni enterré ni à découvrir : il gît comme les canettes s'empilent dans des sacs et personne ne m'entend, moi-même je suis sourd. Là j'ai jetté les armes au fond du gouffre qui va m'amener au four de lla déraison. Bien cuite la baguette. Je n'oublie pas le béret. Où sont mes armes, ma manière d'écrire ce que j'ai dans le bide. Ca bouillonne ou plutôt ça mousse, voilà beaucoup de mousse pour rien. Un désert de mousse.Ving deux mois encendrés. J'ai investi ma laine de mouton pour me retrouver tondu. Tondu comme ces femmes en 45. J'ai baisé avec l'ennemi, à contre courant. Mes armes.




Savoir finir (Ludo K)

Quel est le con qui a inventé l'infini et l'autre encore plus con qui m'a fait naître ?

Les honnêtes hommes ne savent rien, c’est bien connu. Il suffit d’écouter les chansons pour pigeons sur les ondes, ouvrir les petits bouquins alignés comme des boites de calmants bio – rayon bien-être – on est fixé : pour être serein il faut douter - résumé. Le plus heureux des hommes depuis tout gosse, c'est moi. Je plains les accablés du « moi je sais ».Champion du bonheur à toute épreuve, une ombre plane toutefois sur mon cœur d'huile. Je triche. Je sais. L'issue, la porte et la sortie me guettent. Un secret très partagé que je protège comme si de rien, sait-on jamais...



Une chanson dans la foule (Ludo K)

Jamais voulu être un artiste, moi
Qui ne suis rien qu'un fétu de peurs
Un passager de l'intranquillité
Parmi la foule des amitiés
Des amours des fureurs de la vie
Je souhaiterais juste être une chanson
Un air UTILE pour asphyxiés
Un mouvement sur vos larmes
Etre un homme parmi les hommes ?
Non. Acceptez que je fredonne
Sur vos peines, joies et sourires
Ma ballade de personne.


On peut trouver, entre autre, pour Ludo ici: un très bel hommage sur francopolis

16 nov. 2009

Il a neigé sur yesterday (et depuis plus longtemps)

Il est des histoires qu'on laisse agoniser, comme s'il était au dessus de nos forces d'y apposer le mot "fin". Je pourrais prendre un malin plaisir à lever lentement les stores. En pleine nuit. Leur grincement deviendrait vite insupportable. A celle qui dort. A celle qui ne sait pas qu'au dehors, il y a de la neige. Frissons.

Le vent siffle sa mélopée à la nuit presque noire. J'observe le ballet désordonné des flocons. A l'image de nos vies qu'on laisse à l'abandon. Lente désagrégation. Les sommeils agités ne disent pas grand-chose de tout cela. C'est souvent que je l'entends grommeler des choses incompréhensibles, ouvrir des yeux rougis et vitreux par l'absorption de somnifères, me fixer comme si elle se demandait ce que je fais là.

Si j'ouvrais la fenêtre, les flocons glacés se poseraient sur le lit. Sur l'oreiller. Près de ses narines, près de ses lèvres. Ou ils finiraient bien par se glisser. Ca la réveillerait, peut-être. Elle m'en voudrait, sûrement. Elle se rendormirait, pourtant. Les flocons s'écrasent contre la fenêtre. Mais ça ne tiendra pas longtemps: ils sont si fins, si légers. Quant au reste... On s'imagine, à l'excès, que la solitude serait pire, bien pire que l'entretien maladif de nos vieilles habitudes délétères et, qu'à force de persistance, la situation finira bien par évoluer, dans un sens, dans un autre. Puisqu'on le souhaite.

Il neige vraiment très fort, je pense. Tant de flocons. Entre eux et moi: le double vitrage, le silence, les odeurs de l'appartement, la buée, l'impossibilité de s'endormir, les résidus d'une relation.

Je me prépare une tasse de café. Au micro-onde. Je verserais bien de ce café brûlant sur la neige.
Ou sur les draps. Entre elle et moi.

(2006)

Hai-Malokus (4)

Un si beau cul
une si belle bite
tu proposes quoi?

Hai-Malokus (3)

Son employeur était un con
mais lui aussi
deux enculés en somme

Hai-Malokus (2)

Assis sur un pieu
l'homme regarde la lune
et ce soir elle fait mal

Hai-Malokus (1)

Un doigt dans l'anus
de plus en plus profond
certains ont bien trouvé du pétrole en Seine et Marne
J'aurais aimé
écrire le journal intime
d'un touriste
en route vers le Yémen
à bord du Normandy III
de Juillet
à Septembre 2009
mais je n'ai jamais
mis les pieds
ni au Yemen
ni sur un paquebot
de luxe
et ça ne risque
pas de m'arriver
je sais que tu tenais à
te recueillir sur la tombe de ton grand-père
je t'ai appelée ce matin
pour annuler notre
déplacement
les informations
annonçaient
le retour des
morts-vivants
c'est peut-être juste
une
blague
sait-on
jamais
j'ai sorti une clope
j'ai sorti un briquet
j'ai allumé la clope
avec le briquet
j'ai rangé le briquet
j'ai fumé la clope
trop vite
j'ai sorti une clope
j'ai sorti un briquet
j'ai allumé la clope
avec le briquet
j'ai fumé la clope
trop vite
etc etc etc
et j'ai attendu à la fenêtre
que le jour se lève
enfin.
Ce matin, ils se sont rendus à l'église en calèche passant les rues pavées de l'avenue en une bruyante procession, vêtus d'habits qui semblent ne plus exister. J'ai d'abord cru à un défilé anachronique. Autour de moi, les maisons, les immeubles, les boutiques n'étaient pourtant plus les mêmes que la veille. Aucune voiture ne circulait plus. L'arrêt du bus 191 semblait avoir disparu quelque part. J'ai voulu poser la question à un passant mais à la façon qu'il a eue de me regarder d'un air bizarre, dubitatif, méfiant, je me suis réfugié chez moi.
Le téléphone, la télé ne fonctionnaient plus.
Impossible de savoir si j'étais le seul perdu dans ce brouillard du temps.

J'ai seulement entendu des cris de liesse dehors quand un homme en noir a annoncé le retour à l'ancien régime à l'aide d'un tambour et qu'il y aurait une exécution capitale en place publique un peu plus tard...

simple erreur n'est-ce-pas

déjà qu'il pleut déjà qu'il vente
mais ça ne suffit pas
je viens de lire un courrier
de la sécu qui dit ceci
nous avons bien reçu
la déclaration d'accident de travail
faite par votre employeur
mais nous n'avons pas reçu
votre attestation initiale

et on
menace donc
de ne rien me verser
si je ne fournis pas illico cette putain
d'attestation
initiale que j'ai pourtant envoyée il y a
11 jours et c'est pas la peine
de t'inquiéter je me dis
c'est pas la peine
déjà qu'il pleut déjà qu'il vente
ce doit être une erreur
une simple erreur
n'est-ce-pas

14 nov. 2009

13 nov. 2009

Dormir d'un rêve qui
nous prenne en otage
et fasse que nous
ne puissions plus
rouvrir les yeux

Alphonse Allais (1855-1905)

Quelques citations:

...On étouffe ici! Permettez que j'ouvre une parenthèse.

C'est fou comme l'argent aide à supporter la pauvreté!

C'est quand on serre une femme de trop près qu'elle trouve qu'on va trop loin.

Dieu n'a pas fait d'aliments bleus. Il a voulu réserver l'azur pour le firmament et les yeux de certaines femmes.

Il était normand par sa mère et breton par un ami de son père.

Il est très curieux de constater que dans l'armée, les statistiques le prouvent, la mortalité augmente bizarrement en temps de guerre.

Private-eye 1942

venu du Montana
sous le soleil de Juillet
l'homme a dit qu'il avait
bien connu
le détective privé de Babylone
en 1977
il a inspiré un bon coup
en terminant son verre de
coca avec deux glaçons
avant de préciser
qu'il avait longtemps suivi
un traitement
neurologique
et qu'il n'était plus
sûr de rien
je n'y connais pas grand-chose
en spéléologie
est-ce une raison suffisante
pour ne pas descendre
tout ce fourbis encombrant
à la cave?

sans rendez-vous

Dans la salle d'attente
aux murs plein de reproductions
d'art du 20è siècle
j'ai reconnu Klimt et consorts
on se dévisage
avec la gêne habituelle
comme
pour savoir qui d'entre nous
est le plus malade
quand on ne lit
pas une revue
qu'on ne lirait pas ailleurs

12 nov. 2009

Accident du travail à mains nues

c'est écrit sur le papier
que j'ai envoyé
Accident du travail
les échographies n'ont pas décelé
de déchirure inguinale
il a fallu
la radiographie
pour constater le trauma
ischio-pelvien
rien de grave et
c'est tant mieux je
n'avais aucune envie
de repasser sur le
billard mais je savais bien
que mon corps allait
se venger d'une façon
ou d'une autre qu'il n'allait pas
pas tenir
à pousser des caisses
porter des cartons
des gros cartons
et encore des caisses
est-ce qu'on
va m'affecter sur un
nouveau poste
je n'en sais rien est-ce
que je vais me faire
lourder
je n'en sais rien
est-ce que les lignes noires
de
l'horizon pourront un jour
se replier
paisiblement
dans la poche de mon
pantalon
avec
un paquet de clopes
et un briquet
je n'en sais rien
non plus

Regret

j'ai voulu parler
de celle qui pleurait
j'ai voulu te parler
et tu pleurais silencieusement
mais mes yeux fatigués
mais mon corps fatigué
n'ont pas supporté
et tout est fatigué
de tout ce qui est lourd
je n'ai pas su porter
ton chagrin
je n'ai pas su parler
de celle qui pleurait
à celle que j'aimais

elle court court court jusqu'à perdre haleine
elle court court
cours plus vite!
cours! jusqu'à ce
que le vent contraire
lâche prise
jusqu'à ce que les ombres
dans la nuit
se jettent dans le fleuve
cours cours encore
et qu'il n'y ait
plus rien qui te fasse
croire que tout ça
c'est du temps perdu

Damnation (Luc Ziegler)


(pas trouvé d'image plus grande)
Je n'y connais pas grand-chose
en botanique
est-ce une raison suffisante
pour me laisser pousser
la barbe jusqu'au sol?

Juste un instant

il a voulu sortir de son corps
pour aller voir le vaste
monde
et il n'est plus jamais
rentré
elle a dormi sur une parcelle du lit
elle a parlé à demi-mots
elle s'est presque excusée
d'être là
une pensée fugitive
repérée sur la route
encombrée
du n'importe quoi

Elle en restera là

Tristana, allongée sur le dos,
se caresse lentement
l'avant-bras gauche, la jambe
pliée
un rayon de poussière filtre par
dessous le store
à moitié baissé
et quand elle rouvre les yeux
elle n'ose approcher davantage
sa main
ses doigts tièdes
de ses seins de son sexe

La porte des rêves (Eric Dejaeger)

La sonnette
de la porte des rêves
est détraquée.
Pour que l'on ouvre,
il faut tambouriner,
tambouriner
tant et plus.
Mais tout le monde
dort profondément
de l'autre côté.
Sauf un infâme cauchemar
très mal élevé
qui n'en a rien à cirer
des visiteurs oniriques.

11 nov. 2009

Bring Me Your Love (Bukowski)


elle me demande d'aller
en vitesse
avant que ça ferme
lui acheter une bouteille de
vodka à l'épicerie du coin
parce qu'elle a besoin
de ça pour oublier
vraiment
à quel
point
les petites voix lui font
du mal à l'intérieur et je
lui réponds
que ce n'est peut-être pas la
meilleure façon d'oublier
mais elle dit que je n'en sais
rien du
tout
et que je peux aller me faire
foutre

6 nov. 2009

Complexe, réflexe

bien décidé à
me promener au hasard
des rues du centre-ville
pour voir si j'étais capable
de passer outre les vieux
réflexes de Pavlov
je me suis retrouvé chez moi
en moins de cinq minutes
pris de panique
à l'idée de me perdre
à tout jamais

Tuméfiée

Le long de la voie ferrée
pour rejoindre
le quai
la nuit
à peine une voix
sur les cailloux
Tristana
marche
avance
péniblement
tête baissée
ses habits
ont l'air d'avoir été
mis n'importe comment
déchirés
sur son corps

Elle a pleuré quand même (Marlène Tissot)

Elle s’était dit Pleure pas ! quand le boss lui a expliqué que c’était pas de gaieté de cœur qu’il lui annonçait ça, mais qu’il avait pas le choix. Elle s’était dit Pleure pas ! Ce boulot, de toute manière, elle l’aimait pas. C’était purement alimentaire. Elle s’était dit Pleure pas ! Et pendant que le boss argumentait sans relâche, elle pensait aux factures, aux crédits à rembourser, au frigo à remplir. Elle pensait à son mari, à ses enfants, à qui il faudrait annoncer la nouvelle. Et noël qui pointait le bout de son nez… Et le boss qui n’en finissait pas de se justifier pour se donner bonne conscience. En faisant semblant de pas remarquer qu’elle avait de plus en plus de mal à contenir ses larmes. Elle s’était dit Pleure pas ! tu vas toucher le chômage, chercher un autre job, sortir les CV, les sourires, les habits bien repassés. Elle se disait que tout finirait par s’arranger. Il suffirait de serrer les dents pendant que ces connards de l’ANPE la convoqueraient encore et encore de peur qu’elle tire au flanc. Il suffirait de se serrer la ceinture en attendant qu’un autre enculé de patron la choisisse comme on choisit une pute quand on a besoin de baiser…

5 nov. 2009

Version pavé et légèrement écourtée

(cf nous sommes encore en vie tels que nous étions )

Un brouillard dense à l'arrivée par la petite route de cambrousse il fait froid très froid dans la zone industrielle on n’y voit rien à peine deviner les longs fantômes gris immobiles qui murent les bâtiments là ou de toute façon je ne sais toujours pas trop quoi faire à passer d’une salle à l’autre j'aide quand même à relier quelques câbles j'aide quand même à visser quelques boulons

j'aide à pas grand chose en fait jusqu’à ce qu’il arrive lui le petit chef et se mette à hurler (et on se demande encore pourquoi) sur un intérimaire avec des : tu bosses pas assez vite toi! ou des: me prends pas pour un con! je vais t'en faire baver moi tu vas voir ! ou encore des: tu vas pas faire long feu ici crois-moi ! on écoute sans rien dire avec la soufflerie en arrière-fond on n’ose pas intervenir on se dit que ça ne peut que terminer en coups de poing dans la gueule cette histoire j’ai presque envie d’en rire tellement c’est ridicule mais à voir la tronche fulminante essoufflée du petit chef je renonce à mon idée

et puis non le ton retombe aussi vite qu’il est monté tout redevient normal c'est-à-dire qu'il faut encore un paquet de muscles vider un stock colossal de machines le déplacer dans une autre salle et tout ranger à bout de bras dans les plus hautes étagères évidemment à la demande du client QUI EST LE ROI à nos côtés référencie les pièces sur son ordinateur portable non cette pièce encore un peu plus haut s’il vous plait celle-ci de l’autre côté merci heu attendez non on va revenir à l’idée de départ

l'odeur de nos aisselles l’odeur de nos pieds et un que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam c’est le responsable du bâtiment m'apprend-on nous prend à part et d’un ton docte nous explique qu'il faut CHAQUE soir débarrasser CHAQUE salle de ses cartons vide qu’il ne faut pas REMPLIR la benne dehors n’importe comment qu'il faut réfléchir un peu ok? qu'il faut faire TRES très attention à la résine du sol ça coûte 20.000 euros de la remplacer ok? c’est compris ? et puis il a remarqué qu'une porte avait été défoncée par un transpalette ça coûte 2.000 euros une porte comme ça ok? C’est compris ?

à l’heure de repasser au bureau en fin journée le chef du petit chef a calculé au fait 20 minutes ce matin Mobert c’est bien ça ? je tolère un retard jamais deux ! QUE CE SOIT BIEN CLAIR ! ça vous fera un avertissement et le sourire du petit chef en coin

vus sous cet angle nous sommes encore en vie mais il n'est pas impossible que nous perdions nos feuilles d'humanité avant que le brouillard se soit levé d'ici...
Les rues jonchées de feuilles
le vent leur dessine
une trajectoire imprévisible
la pluie tombe
à verse
Tristana a les
mains resserrées dans les poches
les pieds trempés
quand elle s'abrite sous
l'auvent d'une boutique
de confiseries &
chocolats
avec à ses côtés
deux écoliers
rieurs
cartable au dos

4 nov. 2009

Je gare ma voiture
coupe le moteur
retire les clés de contact
mais impossible d'ôter ma ceinture
de sécurité
impossible...

s'il te plaît, dis-je,
je suis coincé, détache-moi...
tu vas me manquer me répond-elle
tristement en débloquant le
mécanisme tu penseras à moi?...


Un coeur fendu
s'est échappé
du pot catalytique
Tristana attend une
amie dans un bar de
Montparnasse
à proximité du cinéma
ou elles ont prévu d'aller
voir le dernier Assayas.

Le portable à la main
Tristana lit le texto qu'elle
vient
de recevoir
hésite compose le numéro
et
raccroche aussitôt
éteint son téléphone.

Tristana regarde à droite
à gauche
elle ne termine pas
le café
trop
amer qui lentement
refroidit à côté de trois euros
cinquante sur la table.

À l'ouest (Co Errante)

Quand le ciel est gris, chercher partout du bleu en dehors
Quand il est bleu, sentir surtout du gris au dedans
N’être jamais en phase avec la nature
Tout le temps ailleurs

Décalé
Un peu

En rade
Tendu

Déboussolé

3 nov. 2009

et je pèse mes mots
4 grammes
par phrase
pas plus
sous peine de choper
une hernie
de la langue
dans une petite flaque d'eau
elle saute
se marre comme une baleine
éclabousse le chien
qui aboie
et s'enfuit

Un immeuble comme un autre

Au sous-sol, une piste de danse est aménagée pour les surfeurs avec des vagues artificielles. De la came aussi. Et un cimetière 3 places. Recyclable.

Au rez-de-chaussée, il y a un champ de mines pour qui aime vivre encore plus dangereusement. Certaines ont déjà explosé. D'autres pas encore. J'ai reçu des lettres anonymes. Pas de lettres d'amour.

Au 1er étage, un étalon galope à travers chiottes et cuisines. Il cherche l'impossible jument. Il bande sans discontinuer.

Au second étage, un homme suicidaire a vu dieu dans une casserole et il le réchauffe désespérément sur la plaque électrique avec un peu de lait.

Au 3è étage, une jument galope à travers chambres et salons. Elle cherche un animal compréhensif. Qui soit propre sur lui. Qui sache passer l'aspirateur. Qui sache l'écouter. Hihan.

Au 4 étage, un musicien répète ses gammes sur le cul de sa femme, l'archet planté au milieu. Le contre-ut est douloureux, l'ensemble reste harmonieux et l'immeuble en profite. Vidéosurveillance.

Au 5 ètage, on a trouvé des traces d'un homme de Néanderthal. Il portait des mocassins et devait chausser du 45. Les archéologues ont squatté tout l'étage. Les vendeurs de chaussures aussi. Les vendeurs de vendeurs arrivent à l'instant.

Au dernier étage, à ciel ouvert, ou bleu , j'ai garé ma voiture dans un tuyau de canalisation, il n'y a plus de places ailleurs, tandis qu'un écrivain constipé se demande à quoi ça sert d'écrire quand on n'arrive même pas à chier.

On verra bien





Regarde devant toi qu'elle me disait. Ne roule pas trop vite. Elle tirait nerveusement sur sa clope, fenêtre ouverte. Elle jetait souvent un oeil vers l'arrière pour voir si notre cargaison ne se déversait pas sur la route. Une voiture nous suivait, pensait-elle. Tu en es sûre? Nan, c'est juste une impression. Moi, je ne distingue rien dans le rétroviseur. On en fera quoi de tout ça? J'en sais rien, m'avait-elle répondu, on verra bien plus tard. On verra bien & nous avons roulé & nous n'avons rien ajouté...


Au flux qui se déverse
de tous côtés
nous préférons le
flux qui
se retire
en essayant de le convaincre
de revenir
ensuite
Il pleut à verse
et c'est à peine si
on distingue
le monde extérieur
je me demande si Richard Brautigan
a écrit ses meilleures
pages quand
il pleuvait à verse

2 nov. 2009

Nous n'allons pas baisser les bras, dis-moi

parce qu'elle a besoin
de nous
combien même
nous ne nous y prenons
pas de la meilleure
façon qui soit
parce qu'elle ne doit
pas
savoir
à quel point
l'avenir
s'assombrit
nous n'allons pas
baisser les
bras dis-moi...

nous sommes encore en vie tels que nous étions

Un brouillard dense à l'arrivée
par la petite route de cambrousse
il fait froid très froid
dans la zone industrielle
on n’y voit rien
à peine deviner les longs fantômes
gris
immobiles
qui murent les bâtiments
là ou
de toute façon
je ne sais toujours
pas trop quoi faire
à passer d’une salle à l’autre
j'aide quand même à relier quelques câbles
j'aide quand même à visser quelques boulons
j'aide à pas grand chose
en fait

jusqu’à ce qu’il arrive lui
le petit chef et se mette à
hurler (et on se sait pas pourquoi)
sur un intérimaire
à peine « formé »
de plus de jours que moi
avec des :
tu bosses pas assez vite toi!
qu’est-ce-tu fous dans ta journée !
ou des:
me prends pas pour un con!
je vais t'en faire baver moi tu vas voir !
ou encore des:
tu vas pas faire long feu ici crois-moi !
on écoute sans rien dire
avec la soufflerie en arrière-fond
on n’ose pas intervenir
entre eux deux
on se dit que ça ne peut que
terminer en coups
de poing dans la gueule
cette histoire
j’ai presque envie d’en rire
tellement c’est ridicule
mais à voir la tronche
fulminante essoufflée
du petit chef
je renonce à mon idée

et puis non le ton retombe
le ton retombe
aussi vite qu’il est monté
tout redevient normal
normal
c'est-à-dire qu'il faut encore
un paquet
de muscles
vider un stock colossal de machines
sorties du cul dilaté d’un pervers
ou d’un branchiosaure
le déplacer
dans une autre salle
et tout ranger à bout de bras
dans les plus hautes
étagères
évidemment
à la demande du client
QUI EST LE ROI
à nos côtés référencie les pièces sur son ordinateur
portable
non cette pièce encore un peu plus haut s’il vous plait
celle-ci de l’autre côté merci
heu attendez non on va revenir à l’idée de départ

la fatigue la sueur
l'odeur de nos aisselles
l’odeur de nos pieds
et
un que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam
c’est le responsable du bâtiment
me chuchote t-on
vient nous prendre à part vertement
et
d’un ton docte
nous explique qu'il faut CHAQUE soir
débarrasser CHAQUE salle
de ses cartons vide
qu’il ne faut pas REMPLIR
la benne dehors
n’importe comment qu'il faut réfléchir un peu
ok?
qu'il faut faire TRES très attention à la résine du sol
ça coûte 20.000 euros de la remplacer
ok?
qu'il faut faire TRES attention au détecteur
incendie extrêmement sensible
et qui vous enverrait des litres
d'azote dans la tronche s’il se déclenchait
ok ? c’est compris ?
et puis il a remarqué qu'une porte avait été défoncée
par un transpalette
ça coûte 2.000 euros une porte comme ça
ok? C’est compris ?
ok
c'est compris c'est compris
et cesse de me fixer comme
si j'étais une chose à
soumettre
n'insiste pas c'est compris

à l’heure de passer au bureau
pour récupérer mes affaires
en fin de journée
le chef du petit chef
a calculé
au fait 20 minutes ce matin Mobert
c’est bien ça ? je tolère un retard
jamais deux ! QUE CE SOIT BIEN CLAIR !
ça vous fera un avertissement
et le sourire du petit chef
en coin

vus sous cet angle nous
sommes encore en vie
mais
il n'est pas impossible
que
nous perdions nos feuilles
d'humanité
avant que le brouillard se soit
levé
d'ici.

cautériser l'entaille au coeur...

il y a trop de souvenirs
il y trop de sa présence
ici
ressasse
au fond du fond
d'un verre
qu'il remplit
qu'il vide
ressasse
ce qu'un lac sombre
un pont une balle
un animal mort
peuvent lui paraître beau
parfois
et les messages qu'il
reçoit sur son répondeur
son frère sa mère ses amis
sa mère à nouveau
et les mails auxquels
il ne répond pas
son employeur son frère ses amis
sa mère à nouveau
et toutes ces heures
passées
comme en apnée
prostré ces heures
de manque
qu'il remplit
qu'il vide
qu'il remplit
d'un quelque chose
de vicinal
à la mesure de son entaille

1 nov. 2009

La pluie
le vent
la nuit
sur l'autoroute A6
je roule prudemment
la pluie
le vent
la nuit
la lune a disparu
dans le ballet des essuie-glaces
Un tout petit rayon de soleil
s'est échoué sur le sol
détrempé
et les pêcheurs
déjà
l'ont capturé
dans leurs filets
avec thons truites & tanches

Un employé au 7è étage

A la grande
fenêtre
qui donne sur le jardin
public
chaque jour entretenu
pourquoi
la tentation du vide
et
le repli sur soi