Je suis dans la chambre et je fais le poirier contre le mur. Lopez, mon colocataire, m’observe longuement et ne sait pas trop quoi penser de tout ça. Je crois bien qu'il se fout de ma gueule.
-Tu vas tenir combien de temps? me demande Lopez.
-Laisse-moi, s'il te plaît, je fais du deuil. J'évacue vers le bas.
-Tu me présenteras ton psy ?
-Oui, oui, promis. Tu veux faire le deuil de quelque chose, toi ?
-Non, non et ça m’inquète pas mal. Au fait, tu trouves pas que ma bite est plus belle à l’envers qu’à l’endroit ?
Lopez ouvre les boutons de son jean, baisse son slip et me montre sa bite. Lopez est du genre macho mais inquiet. Enfance peureuse, douloureuse, comateuse, paresseuse. Rejeté par sa mère, rejeté par son père, rejeté par la mer, rejeté les jours pair, il a su se forger une carapace en nylon, en acier, en béton, en coton-tige, autour du ventre, et des tatouages sur le bras, afin de croquer la vie, désormais, à pleines molaries, gencives et crac en plein dans le mille. "Jouissif" me rappelle t'il sans cesse.
-T'avais pas un rendez-vous ce soir?
-Si, si, excuse-moi, Richard, mais je voulais juste que tu me dises ce que tu penses de ma bite.
-Lopez, ta bite est splendide. J'appelle l'Unesco et la FIAC.
-Merci, Richard, t'es un ange. Tu veux un coca?
-Lopez, laisse-moi maintenant...
Je fais du deuil. Quand je fais du deuil, je veux être seul et je fais le poirier. C’est une habitude que j’ai de faire le poirier et à force de faire le poirier, je n’imagine plus aucune autre position: je dors en faisant le poirier, je me lève pour pisser en faisant le poirier, un jour, je retournerai au boulot comme un poirier ambulant.
"J’ai un mot du docteur, Madame, j’ai parfaitement le droit de faire le poirier dans le bureau. Huuum, c’est pas très idoine avec le règlement. Vous n'avez que ça à la bouche, le règlement... Je fais du deuil, vous devriez pouvoir comprendre ça, non ? Vous avez tout de même pris un arrêt-maladie longue durée et vous pensez bien que ceci pénalise l'entreprise... l y a des deuils plus longs que d'autre, Madame. Ce n’est pas très idoine avec un monde concurrenciel, tout ça. Vous voulez que je me syndique, Madame?".
En attendant de perdre mon emploi, je continue de faire le poirier.
Le sang traverse mon corps et gonfle mon crâne.
-Tes pieds sont tout blanc, Richard.
-Ouais, il s'agit de vider la substance de vie et de la remplacer par autre chose.
-Ah? Un jour, je te prendrai en photo. Bon, allez, j'y vais, t'es sûr que ma bite est belle?
Et Lopez claque la porte. Sifflote. L'assurance en lui.
Je ne me sens pas encore suffisamment rétabli pour prendre l'air. Mon premier réflexe sera d'entrer dans un bar et de commander une bière. Mon second réflexe sera de mater des nichons dans le blanc des yeux quelque part. Ensuite, j’irai chez l’horticulteur du coin m'acheter une grenouille et un nénuphar. A moins qu’on en trouve à Intermarché ou chez ED ou chez Lidl. Lopez doit savoir ça. Il est très habile de ses dix doigts, débrouillard, braillard, papier buvard. Il a monté la table basse, il a changé les ampoules, il a fait son lit. Rien se semble l'atteindre.
Tandis que moi, je pleure souvent. Et qu’à force de faire le poirier, les larmes ne tombent jamais pleinement par terre.
Elles forment des stalagmites sur mes cils. Je les confonds parfois avec les gouttes de sang.
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