2 nov. 2009

nous sommes encore en vie tels que nous étions

Un brouillard dense à l'arrivée
par la petite route de cambrousse
il fait froid très froid
dans la zone industrielle
on n’y voit rien
à peine deviner les longs fantômes
gris
immobiles
qui murent les bâtiments
là ou
de toute façon
je ne sais toujours
pas trop quoi faire
à passer d’une salle à l’autre
j'aide quand même à relier quelques câbles
j'aide quand même à visser quelques boulons
j'aide à pas grand chose
en fait

jusqu’à ce qu’il arrive lui
le petit chef et se mette à
hurler (et on se sait pas pourquoi)
sur un intérimaire
à peine « formé »
de plus de jours que moi
avec des :
tu bosses pas assez vite toi!
qu’est-ce-tu fous dans ta journée !
ou des:
me prends pas pour un con!
je vais t'en faire baver moi tu vas voir !
ou encore des:
tu vas pas faire long feu ici crois-moi !
on écoute sans rien dire
avec la soufflerie en arrière-fond
on n’ose pas intervenir
entre eux deux
on se dit que ça ne peut que
terminer en coups
de poing dans la gueule
cette histoire
j’ai presque envie d’en rire
tellement c’est ridicule
mais à voir la tronche
fulminante essoufflée
du petit chef
je renonce à mon idée

et puis non le ton retombe
le ton retombe
aussi vite qu’il est monté
tout redevient normal
normal
c'est-à-dire qu'il faut encore
un paquet
de muscles
vider un stock colossal de machines
sorties du cul dilaté d’un pervers
ou d’un branchiosaure
le déplacer
dans une autre salle
et tout ranger à bout de bras
dans les plus hautes
étagères
évidemment
à la demande du client
QUI EST LE ROI
à nos côtés référencie les pièces sur son ordinateur
portable
non cette pièce encore un peu plus haut s’il vous plait
celle-ci de l’autre côté merci
heu attendez non on va revenir à l’idée de départ

la fatigue la sueur
l'odeur de nos aisselles
l’odeur de nos pieds
et
un que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam
c’est le responsable du bâtiment
me chuchote t-on
vient nous prendre à part vertement
et
d’un ton docte
nous explique qu'il faut CHAQUE soir
débarrasser CHAQUE salle
de ses cartons vide
qu’il ne faut pas REMPLIR
la benne dehors
n’importe comment qu'il faut réfléchir un peu
ok?
qu'il faut faire TRES très attention à la résine du sol
ça coûte 20.000 euros de la remplacer
ok?
qu'il faut faire TRES attention au détecteur
incendie extrêmement sensible
et qui vous enverrait des litres
d'azote dans la tronche s’il se déclenchait
ok ? c’est compris ?
et puis il a remarqué qu'une porte avait été défoncée
par un transpalette
ça coûte 2.000 euros une porte comme ça
ok? C’est compris ?
ok
c'est compris c'est compris
et cesse de me fixer comme
si j'étais une chose à
soumettre
n'insiste pas c'est compris

à l’heure de passer au bureau
pour récupérer mes affaires
en fin de journée
le chef du petit chef
a calculé
au fait 20 minutes ce matin Mobert
c’est bien ça ? je tolère un retard
jamais deux ! QUE CE SOIT BIEN CLAIR !
ça vous fera un avertissement
et le sourire du petit chef
en coin

vus sous cet angle nous
sommes encore en vie
mais
il n'est pas impossible
que
nous perdions nos feuilles
d'humanité
avant que le brouillard se soit
levé
d'ici.

5 commentaires:

dada a dit…

avec ce texte tu te fais le porte parole de tous les petits ouvriers employés et salariés qui sont obligés de supporter l'humiliation quotidienne des soit disants chefs tyrannique tt simplement car ils n'ont pas d'autres choix que d'obéir pour gagner leur vie malgré un salaire de misère!

j'aime vraiment ton style.on sent que c'est du vécu.moi je ne vis pas la meme chose que toi à l'heure actuelle mais à une époque je me souviens aussi avoir eu à faire des putains de chefs d'équipe qui passaient leurs nerfs sur moi!!!
merci pour ton plaidoyer au nom des petites gens ;-))))

Thierry Roquet a dit…

Je ne suis le porte parole de personne, pas même de moi-même ;-))

Mais bon, ma Dada, si tu l'as comme ça, ma foi, pourquoi pas.
On fonde un syndicat? ;-))

Thierry Roquet a dit…

Mais bon, ma Dada, si tu l'as LU comme ça, ma foi, pourquoi pas.

Idothée a dit…

ben,si AU MOINS, ils parlaient tous comme ça les petits chefs souriants galonnés ou non.
Alors on pourrait AU MOINS leur répondre.
Parce que les documents moi, j'y peux RIEN s'il y avait plus
d'encre.HEIN.Parce que sinon HEIN, je les aurait photocopiés c'est sûr. Qui c'est le dernier qui s'est servi de la photocopieuse D'AILLEURS ?

Thierry Roquet a dit…

C'est le genre de dialogues ou tu ne peux rien répondre justement, sous peine d'envenimer encore davantage la situation.
C'est le genre de chefs qui gueulent direct pour avoir le dernier mot, sans discussion possible. Ils savent qu'on va s'écraser et même l'intérimaire qui tenait tête au petit chef a fini par s'écraser et ravaler sa rancoeur.

Ou alors la solution plus radicale du coup de poing dans la tronche ;-))