Poétesse métisse (franco-canadienne et Abenaki), née en 1950.
Comme les pistes de notre pays
Nous étions Français et les Indiens aiment la guerre
disait mon père
ils combattirent ensemble
contre les Anglais
et bien que parfaitement vrai
c'est quand même un mensonge
Français et Indien
se battent encore dans mon sang
Les jésuites qui avaient remonté le Saint-Laurent
trouvèrent que les gens y étaient non civilisés
ils ne battrons pas leurs enfants
écrit-il dans son journal à la lumière de la bougie
et les hommes écoutent trop
leurs femmes
Toi qui m'apprend à ne voir aucune frontière
à connaître le nord-est d'un territoire
n'a jamais entendu le mot Ndakinna
mais l'a traduit sans le savoir
notre pays, le pays Abenaki
Grands-mères et grands-pères
errent dans mon sang
arpentent le pays de mon corps
comme les pistes de Ndakinna
du rivage à la forêt
Ils marchent sans repos
chassés par des yeux bleus et une peau blanche
survivant sous terre
l'invisibilité est leur meilleure défense
Grands-mères, grands-pères,
un filet de votre sang coule en moi
mon regard vous attrape
de profil dans un miroir
les lignes du nez et du menton
me surprennent, puis s'enfoncent
derrière les couleurs de l'ennemi
Vous marchez sur la piste
qui déclare ce corps
territoire Abenaki
et comme le rêveur
vous prononcez mon vrai nom
Ndakinna
MEDECINE WOMAN for dovie (petite colombe)
Medecine woman ils m'appelaient
comme s'il m'avait été possible d'aimer ce nom
c'était pareil à l'école les enfants
me surnommaient petite colombe
et ce à cause d'une chanson idiote
qui parlait une fois de plus d'une Indienne
allant à grands pas vers la mort
(comment cela se fait-il) que tu aies un nom d'animal? comment ça s'fait
me demandaient-ils, ( comment ? ) hein?
et je rentrais chez moi pour interroger mon père
comment cela se fait-il papa,
que je porte un nom d'animal?
à présent des femmes blanches entrent dans ma boutique
et me demandent d'aller bénir leurs maisons
( je veux moi leur poser cette question : qu'est-ce qui ne va pas ? )
me demandent de donner un nom à leurs petits enfants
( est-ce que je connais leurs filles?)
de disperser de la fumée alentour
de dire des paroles, faites
tout ce qu'il est bon de faire
nous voulons quelqu'un de spirituel
vous êtes Indienne n'est-ce pas?
C'est vrai, leurs cheveux gris
retiennent ma langue
elles sont grands-mères donc méritent le respect
alors je parle aussi gentiment que possible
vous laisseriez une étrangère
venir chez vous demandais-je
vous me laisseriez toucher
votre petit fils nouvau né
me laisseriez donner un nom
au bébé ce qui me passerait par la tête?
je ne le crois pas
mais elles sourient et me redisent
qu'elle veulent quelqu'un de spirituel pour le faire
j'écris à mon père
comment se fait-il que tu ne m'a jamais
raconté qui nous sommes, d'où nous venons?
Les femmes continuent leur visite dans ma boutique
elles déposent des pierres dans mes mains
Pouvez-vous ressentir quelque chose? questionnent-elles
Evidemment que je peux Je ne suis pas morte,
mais ce n'est pas la bonne réponse
Mon père m'envoie une lettre
le jardin donne bien le maïs lève
il y a beaucoup de papillons
et tout ce que je sais
c'est que nous venons des étoiles.
Étendre le linge au soleil
Sa plus jeune fille l'aide
à essorer le linge
pendant que pour des médecins
sa femme répond au téléphone.
La machine à laver
est encore cassée.
A l'usine
où il grave une piste
sur des puces en silicone
il porte une veste et un panatalon blancs
des chaussures spéciales
pour protéger les puces de la poussière.
C'est le meilleur boulot qu'il ait dégotté.
Mieux que l'année dernière
quand il aspergeait les pelouses de poisons,
après quoi il installait de petits panneaux
prévenant autrui qu'il ne fallait pas marcher là,
ses vêtements saturés,
ses poumons asthmatiques
étouffaient dans les nuages
marqués du "dangereux pour les animaux et les humains".
Tout l'été, il avait du refusé
les câlins de sa fille jusqu'à ce qu'il
ôte ses vêtements empoisonnés
sur le perron de derrière. Tee shirt,
jeans, casquette de baseball,
il les mettait dans un sac plastique,
et se douchait alors que sa peau le brûlait.
Avant ç'avait été l'amiante.
Enveloppé de plastique,
il enlevait les plafonds affaissés,
les isolations écaillées sur les tuyaux des sous-sols,
il passait l'aspirateur pour éviter aux petites particules
de se loger dans les poumons.
Elles flottaient dans les rêves, le poursuivaient
comme un essaim d'abeilles invisibles.
Ce boulot là était meilleur que tout ça,
malgré les cuves de solvants
d'où s'échappent des fumées nocives,
le salaire avec lequel on ne joignait pas les deux bouts.
Mieux que travailler à l'installation de défense
traversant le lac, où le personnel de la force aérienne
vérifiait son badge d'identité chaque matin,
où tout et rien étaient secrets.
Il essore l'eau
des chemises et des serviettes.
Il sait qu'il boit trop.
Il rêve de déménager dans le New Hampshire,
où son peuple avait marché
pendant dix mille ans,
et où, il le croît,
l'eau est encore propre,
mais au nord, le moulin Lancaster
crache de la dioxine dans la rivière Connecticut,
et en aval, cinq petites filles ont été opérées
d'un cancer de l'utérus.
De toutes les façons, il n'y a pas d'argent.
Maintenant la machine à laver
déverse l'eau savonneuse
dans le sous sol.
Sa fille avec détermination lance un regard
désaprobateur à la serviette qu'elle tient dans ses mains.
Agée de cinq ans, elle sait comment aider,
essorer pour évacuer l'eau sale,
étendre le linge au soleil.
Cheryl Savageau
Traduction : Béatrice Machet