21 mai 2014

Malgré

malgré

l'impression d'être
à l'intérieur
d'une hydre
à plusieurs voix

malgré

la tentation
de me justifier
du présent
sans effort

malgré

le flou
autour de nous
qui ne nous permet
guère d'avancer

malgré
ce que nous sommes
devenus

je n'invoque plus
le passé
-pâte à modeler-
pour faire face

et
d'ailleurs

je ne suis pas certain
qu'il ait
jamais existé


Un poème de Patrick Roche

Patrick Roche est un jeune étudiant de 21 ans, à Pinceton.
Poème trouvé sur le blog de Murièle Modély :


21. Mon père est renversé par une voiture
Il s’est évanoui sur la route, avec un taux d’alcoolémie
De quatre fois la limite légale.

Je ne pleure pas.

Quatre mois plus tard,
Les infirmiers perdent son pouls
Et je me demande quelle vie
A défilé devant ses yeux.

Rembobinant des cassettes VHS
Des vieux films faits maison

20.

19. Je n’ai pas ramené un ami à la maison depuis quatre ans.

18. Ma mère a le mot « divorce » sur les lèvres
Sa bouche se crispe en l’avalant
Comme s’il brûlait en descendant.

17. Je commence à faire mes devoirs au Starbucks.
J’ai des conversations plus profondes avec les baristas
Qu’avec ma famille.

16. J’attends le soir de Noël.
Mon frère et moi avons l’habitude d’échanger nos cadeaux plus tôt,
Cette année,
Lui et mon père ont échangé des coups.

Ma mère ne va pas à la messe.

15. J’ai une théorie : mon père a recommencé à boire
Peut être parce qu’il a découvert que j’étais gay.
Que s’il réussissait à tout rendre flou,
Peut être que j’aurais l’air « normal » ( « straight »)

15. Ma mère nettoie son vomi au milieu de la nuit
Et cuisine le petit-déjeuner au matin, comme si elle n’avait pas perdu son appétit.

15. Je m’en veux.

15. Mon frère en veut au monde entier

15. Ma mère en veut au chien.

15. Dimanche de Super Bowl.
Mon père débarque comme une avalanche
Il emporte tout dans ses chutes,
Banderoles, tables basses, cadres photo
Trébuchant, tombant.

Je trouve son jeton des Alcooliques Anonymes sur le comptoir de la cuisine.

14. Mon père est sobre depuis dix ans,
Peut être onze ans ?
Je le sais
Nous n’y pensons même plus.

13.

12.

11. Maman me dit que les rendez-vous de Papa sont avec les AA.

Elle me demande si je sais ce que ça veut dire.

Je ne sais pas.

Je hoche la tête quand même.

10. Mes parents ne boivent jamais de vin aux repas de famille.

Tous mes oncles et mes tantes en boivent.

Je suis distrait par la télé et j’oublie de demander pourquoi.

9.

8.

7.

6. Je veux être Spider-Man.

Ou mon père.

Ils sont un peu pareil.

5.

4.

3. Je fais un cauchemar

Le même, à propos de la sorcière Ursula dans la Petite Sirène

Alors je me lève,

Je dandine vers la chambre de Maman et Papa,

Doudou dans la main,

Je m’arrête.

Papa est debout, en sous-vêtements,

Je vois sa silhouette devant la lumière du réfrigérateur

Il lève une bouteille

À ses lèvres.

2.

1.

Zero. Quand ma mère était enceinte de moi,

Je me demande si elle espérait,

Comme tant de mères espèrent,

Que son bébé grandirait pour devenir

Exactement comme

Son père.


La traduction a été faite ici : http://www.madmoizelle.com/poeme-21-alcoolisme-251182

pour ne pas perdre le fil (scène de la vie quotidienne)

pour ne pas perdre le contact
avec la réalité
se raser se laver
changer de slip de chaussettes
passer l'aspirateur
s'occuper du linge
ranger les papiers qui traînent
écouter les derniers tubes à la mode
se parler pendant les repas
&
poser un regard franc
&
critique
sur les choses
mais sans trop
s'attarder non plus
on n'est ni des sociologues
ni des
révolutionnaires

a la télé
ils disent que
la France est une grosse avaleuse
de psychotropes
&
d'alcool
&
de trucs en tout genre
pour retrouver le sommeil
la concentration
la santé
la vitalité
la jeunesse

stockage et cargaison
dans les placards
je sais que tu abuses parfois
même si tu prétends le contraire
ça fait longtemps que j'ai cessé
de jouer au gendarme

moi
je ne rends jamais visite aux
psys
je mesure le bien-être
sur une échelle de
valeurs subjectives
qu'on trouve dans
un bon bouquin
un poème
un sourire
une parole apaisante
un baiser
ton cul
une clope
&
un bon film

pour ne pas perdre le fil
je note tout ça
quand même

de peur d'oublier
les plus élémentaires
règles de vie
qui fonctionnent
cahin-caha
depuis des années




19 mai 2014

Stockholm (Jean-Marc Flahaut)

En un récit court, dense, haletant et donc passionnant (40 pages), Jim Flahaut nous offre un condensé de ce qu'aurait pu être l'enlèvement de Patricia Hearst (Patty Hearst), petite-fille d'un magna de la presse américaine, milliardaire et fille d'un riche homme d'affaires, par un groupe d'extrême-gauche dans les années 70.
Durant sa captivité, les journalistes et les psychologues ont estimé que Patty Heasrt avait été victime du syndrome de Stockholm.

Le syndrome de Stockholm désigne un phénomène psychologique où des otages partageant longtemps la vie de leurs geôliers développent une empathie, voire une sympathie, ou une contagion émotionnelle avec ces derniers (Wikipedia).

Le récit se construit sous la forme de fragments, de repères datés (même si aucune année n'est indiquée) et, au final, la datation importe peu.
Ces fragments se font en de fines touches, parfois discrètement poétiques, comme des rafales de mitraillette, et Jean-Marc Flahaut va directement à l'essentiel, sans s'embarrasser de fioritures, laissant le lecteur poursuivre l'aventure par lui-même, quand nécessaire.
L'époque, le contexte sont particulièrement bien restitués. On sent le grand soin apporté par l'auteur pour dire ce qu'il faut, sans en dire trop.



Le découpage du récit pourrait se rapprocher d'un film de Wong Kar-wai, avec des ellipses, des phrases courtes, nerveuses et des sauts dans le temps.
1-Avant enlèvement 2-L'enlèvement par un groupuscule "l'armée du peuple"  3-la participation à la lutte armée puis la cavale 4-l'arrestation et le procès 5-l'interview 25 ans plus tard 6- la conclusion sous forme d'interrogation.

On est happé par le récit. On ne le lâche pas d'une semelle. On veut savoir.
Le rythme ne faiblit jamais ; le livre est prenant du début à la fin et pourrait presque se décliner comme un polar politique.
Même si l'univers en est assez éloigné, j'ai également pensé au bouquin "L'honneur perdu de Katharina Blum" de Heinrich Boll.

Jim Flahaut aborde la Liberté sous 3 angles : la liberté avant l'enlèvement : c'est rêver courir le long d'un étang, en compagnie d'une amie, pour échapper à un univers étouffant. La liberté pendant l'enlèvement, c'est vivre enfin, participer à la "révolution", à l'action militante et violente. La liberté après : c'est sortir du procès, sortir de prison et mener une vie calme et simple, entourée de chiens, d'un mari et de 2 enfants, dans un coin tranquille.

Alors, syndrome de Stockholm ou pas ?
Jim Flahaut pose des jalons, incite aux impressions mais dans ce récit, pas de jugement de valeur, pas d'explication tranchée.
Le mystère demeure sur les motivations psychologiques de "Patty".
Et c'est aussi bien comme ça.

Ce livre s'inscrit parfaitement dans la collection des Etats-Civils dont la devise est :
"Je chante les causes perdues et crains celles qui ont triomphé" WB Yeats.

17 mai 2014

une chaleur à crever les abcès (scène de la vie quotidienne)

23°
c'est indiqué sur le thermomètre
penché
sur son balcon
il fume une clope
boit une bière
observe la rue en contrebas
observe l'horizon
et ses barres de béton
noyées de soleil
il ne rêve pas
ou alors
il rêve à des histoires tellement lointaines
il ne sourit pas
écrase sa clope dans un cendrier
termine sa bière
puis il rejoint son jeune fils
&
sa femme à l'intérieur de leur 3 pièces
elle passe l'aspirateur
il laisse la porte-fenêtre ouverte
un véhicule municipal
bruyant
nettoie les trottoirs
avec un puissant jet d'eau
ça amuse une bande de gosses
qui suit le véhicule
sur plusieurs dizaine de mètres
deux vieux assis sur un banc
somnolent
profondément
comme les chats aux aguets
des mères discutent entre elles
dans leur langue
animée
un couple s'attarde devant
la petite Librairie
une jeune fille provoque le
sifflement
d'un admirateur en rut
une bagnole de police
passe en trombe
sirène hurlante
il y a bien ici comme ailleurs
des trafiquants
de tous poils
mais
la rumeur
court
que le bonheur
du jour
est à portée de
fusil
il fait une chaleur à crever
les abcès

dans le flux des passants (scène de la vie quotidienne)

le clebs tire sur la laisse
renifle le trottoir
et
les cul des chiennes
pisse contre un mur
d'habitation
recommence un peu plus loin
son maître s'amuse de le voir
ainsi tirer sur la laisse
on les regarde d'un air soucieux
va t'il aussi le laisser déposer sa crotte ?
le feu passe au vert
un scooter prend des risques pas possibles
en zigzaguant
entre les voitures
le bus 191 est bondé
contrairement au salon de coiffure
désespérément vide
à la devanture de la petite Librairie
d'à côté
sont alignés
les plus grands succès du moment
Lévy Musso et Cie
et des livres plus rares
La squaw de Malakoff
un mec crache un glaviot monstrueux
sur le trottoir
et
hurle un salut
à un mec d'en face
qui lui répond
avec le même entrain
certains font la queue
devant la boulangerie
ça sent foutrement bon ! 
ils savent déjà
quelle pâtisserie choisir
Une abricotine, s'il vous plaît !
Non un pavé au chocolat, plutôt !
l'hésitation
ne peut durer plus
qu'il ne faut
c'est une évidence
on entre on sort
de la supérette
on retire de l'argent au distributeur
on sait ce qu'on doit faire
c'est ce qu'il doit se dire
lui aussi
en sortant du tabac
l'air débraillé
il s'immobilise un instant
allume une clope
souffle un bon coup
avant de disparaître
à son tour
dans le flux des passants

le poids de son caddie (scène de la vie quotidienne)

le coiffeur
attend le prochain client
derrière son comptoir
il salue les gens qui passent
et qu'il connaît
depuis des lustres
d'un geste de la main
les temps sont vraiment durs
une camionnette se gare en double file
un homme en sueur
en sort
avec un lourd paquet
qu'il dépose devant
un magasin de déstockage
il discute vite fait avec un employé
qui le regarde faire
clope au bec
une femme
passe
téléphone
roule du cul
talons-aiguille
avance vite
et s'énerve
je suis pas ta pute, connard !
on se retourne sur elle
on dirait qu'elle pleure
ou
qu'elle rit nerveusement
la camionnette redémarre
une sirène retentit dans le lointain
pour répondre à une autre sirène
il n'y a pourtant pas d'étang
pas de mare pas d'océan
deux pigeons se font la cour
sur le toit d'en face
un nuage noir traverse le ciel
l'écho des voix d'enfant
&
de leurs mères
se mêle
aux klaxons
le bus 191 ne peut pas passer
y'a un embouteillage dont on ne connaît
pas la cause
une vieille se retourne un instant
elle ne comprend pas
toute cette agitation
elle reprend sa marche
en avant
essoufflée
par le poids de
son caddie


16 mai 2014

Autoportrait pour les archéologues

vie sédentaire
&
prévisible
sans arme
ni étendard
je me soucie
de plus en plus
du temps qui passe

je peux rester assis
longtemps
à cogiter
sur des détails
&
des contrariétés
à ce rien faire
sans en avoir l'air
à prétendre
&
à fuir le réel
je sais que c'est un luxe

je ne prends des risques
que pour les
grilles de loto sportif
qui peuvent me rapporter gros
&
ne rapportent rien
c'était couru d'avance
mais je rejoue
quand même

je peux être renfermé
froid
agressif
mais
avec les années
je suis devenu
plus aimant
moins nerveux
plus responsable
moins timide
plus entreprenant
je rumine parfois
de sourdes
colères
qui n'exposent qu'à
la gueule
de mon ego
encore handicapé
par des complexes
&
des frustrations

je laisse juste quelques traces
ici ou là
pour que les archéologues
ne soient pas induits en erreur
par les apparences


4 crétineries sur le retour

Panser par soi-même
c'est utiliser
un sparadrap
de fortune
sur la blessure des autres
en s'imaginant
qu'elle ressemblerait
plus ou moins
à sa propre blessure

***

Tantôt
l'écran d'ordinateur
tantôt
l'écran de la télé
je n'ai pas le cran
de décrocher

***

Quand
les mots d'un poète
me parlent
je sens une véritable force
m'accompagner
dommage que l'illusion
ne dure
pas plus de quelques instants

***

depuis ma fenêtre
je vois ce que font les autres
en passant dans la rue
c'est trop peu
je ne vois pas ce qu'ils pourraient faire
ce qu'ils ne font pas
ce qu'ils ne disent pas
ce qu'ils ne supportent pas
chez les autres
ou
dans leur propre vie
ça nous ferait un point d'appui pourtant

**

10 mai 2014

sortir de l'ombre

Sortir de l'ombre
oui
pourquoi pas
mais
pas plus loin que la pénombre

quand on sent ma présence
mon sourire
qu'on me devine à peine
qu'on me lit à la lueur d'une lampe
qu'on ne me demande pas
grand-chose
de plus

le danger n'est pas loin
les ombres pourraient fuir
avec un autre

je suis là
ne vous inquiétez-pas
...

recherche

qu'est-ce que la recherche
de la sincérité
sinon
une chimère un peu folle

trouver le mot juste
la phrase juste
au bon moment

sans casser le lien

penser que le mot juste
la phrase juste
un jour

le sont pour toujours

alors que le temps
la vie
font couler l'encre
de différentes façons

et que toute recherche
finit par ne pas survivre
à un idéal
de plus en plus encombrant

9 mai 2014

leur ressembler comme deux gouttes d'eau

j'aime bien
regarder ces films
d'action
où le héros s'en tire toujours
à la fin

car lui sait comment faire
pour se sortir du pétrin
pour éviter les balles ennemies
pour soigner ses blessures
au ventre
avec un léger sourire en coin
et une femme pulpeuse dans son lit

je finis même par
lui ressembler
comme deux gouttes d'eau

et puis
j'aime bien
lire ces bouquins
où le héros n'en est pas un
et
patauge inlassablement
sans aucune prestance
et
se perd en conjectures
stériles
et
s'enfonce dans une médiocrité
qu'il ne cherche pas à fuir

je finis même par
lui ressembler
comme deux gouttes d'eau



c'est ici que je me sens bien

forme primaire
de vie
c'est ici
devant moi
que s'accumule
le désordre
tickets de caisse
grilles de loto sportif
mes ongles déchirés
un calepin sans feuille
mon étui à lunettes
le souffle fatigué de l'ordinateur
les moutons de poussière sur les murs
un insecte écrasé
et ce n'est pas ailleurs
que je me sens bien
finalement

car
mon regard tourné vers l'extérieur
s'en
fout
complètement

quoi que je fasse
un poème
l'amour
le ménage dans ma tête
une virée dans le passé
pensées sans queue ni tête
ce n'est pas ailleurs
que je me sens bien
finalement
c'est ici
dans le désordre
avec
le ronronnement bruyant du frigo
dans mon dos

on revient vers l'amont

ciel sombre
de mai
sale temps pour
espérer

parfois je n'attends rien
j'aimerais que ce soit
plus souvent

pour faire osmose
en non plus contrepoids

la pluie arrose les plants
d'humains
figés dans leur angoisse

je ne suis maître
de personne
de rien du tout

sinon sentir ce corps de chair
s'emplir de volatile
et faire semblant

la vie s'étire
d'un point de
fuite à
un chemin de
croix

les stores sont levés
l'horizon traîne des pieds
le prix du pain a augmenté
un jour le monde grandira
sans moi

on dit qu'en cherchant bien
dans une lumière crue
on revient vers l'amont
là où tout aurait commencé

je ne sais pas grand-chose
des mécaniques
du temps

et s'il m'en reste assez
pour mieux t'accompagner