12 avr. 2014

Engeances (Frédérick Houdaer)

Comme il l'indique lui-même, lors d'une conversation en fin de livre, Fred Houdaer a souhaité aborder, de différentes façons, l'écriture et la lecture.
L'écriture : la sienne et celle des autres.
La lecture : la/les sienne(s) et celle(s) des autres.
Et forcément, ayant la voix de Fred Houdaer en mémoire, je lisais le recueil avec ses intonations, au début.



Le "je" omniprésent dans le recueil n'a pourtant rien d'égotiste ; c'est un "je" d'observation.
Pas de psychologisme aigu, pas de moi intériorisé à l'extrême.
Ce "je" retranscrit, à la façon des grands caricaturistes, les touches cinglantes, insolites, sensibles, drôles, cocasses, parfois vengeresses, mais sans enrobage inutile.

Engeances, catégorie d'hommes/femmes digne de mépris, détestable.
Fred Houdaer pratique une détestation sereine et posée.
Sur tout ce qui l'entoure. Y compris sur lui-même.
Pas de rage bruyante, pas de haine viscérale, pas de fatwa agressive.
La détestation est plus subtile et rend tout leur ridicule, leur grotesque, leur pédanterie aux personnages, aux situations.
Même s'il apprécie particulièrement Céline et Nietzsche, on est davantage dans la satire ici.
Gustave Doré n'est pas loin. Chaplin et Reiser non plus.
Les motifs de satisfaction étant rares, il n'est pas impossible que le "je" du recueil en développe une certaine misanthropie.

Pêle-mêle, tout au long de poèmes narratifs, vivants et variés, Fred Houdaer découvre qu'il n'est pas un poète français (et c'est tant mieux, à mes yeux), crache sur le balcon d'un quartier bourgeois d'une ex, n'ose avouer que l'inspiration peut venir d'un pet puant, égratigne les ateliers d'écriture, les poses des poètes (on rejoint ici le recueil d'Eric Dejaeger), les lectures publiques, les notables hypocrites, les poubelles d'une voisine enseignante, en filigrane son rapport (assez contrarié) avec les femmes, et plus généralement son rapport (critique) avec les autres.
Sur fonds noir, quelques poèmes "making-off", censés ouvrir des portes sur la naissance des poèmes.
Là encore, pas d'explication réelle, pas de mode d'emploi précis.
Les coulisses de l'univers des textes sont ouvertes à l'inattendu, à l'humour, à l'auto dérision encore.

En fin de compte, ce recueil qui n'est pas un journal intime, en dépit de l'impression de proximité qui provient de cette écriture de Fred Houdaer, en dit beaucoup sur lui.
Enfin sur ce "je" là.
La sincérité comme arme tranchante.
On s'y attache très vite.
On partage les moqueries.
On savoure les textes. Leur originalité, leur singularité, leur côté même hypnotique.
On y trouve déjà une teinte opaque de mystère qui semble annoncer le « Fire Notice ».

Conclusion : Fred Houdaer n'est peut-être pas un poète français (FUCK MALLARME !) mais il est un poète, assurément !
Avec un grand P ! (puant ou pas, selon la force de l'inspiration).

Moralité, après lecture (et re-lecture, jouissive là encore) : éviter de péter plus haut que sa vie de poète(sse) pour ne pas figurer comme cible dans un prochain opus de Fred Houdaer !
Ca, c'est un objectif !

Seconde conclusion : un recueil à lire absolument !

S'y soustraire constitue une faute professionnelle grave (cf Droit du travail et de la Lecture) !

Bonne lecture !

Engeances (paru aux Editions La Passe du vent, 2012)
92 pages ; 10 euros.

1 avr. 2014

"Ouvrez le gaz 30 minutes avant de craquer l'allumette" (Eric Dejaeger)

J'inaugure là ma première note de lecture.
D'autres suivront à un rythme plus ou moins régulier.
Je me bornerai à notuler les livres d'ami(e)s (cf en lien sur ce blog et d'autres pas encore en lien).



"Ouvrez le gaz 30 minutes avant de craquer l'allumette", d'Eric Dejaeger
Que voici un livre vraiment jouissif !
Tout d'abord, l'objet est splendide : papier glacé, superbes photos de Pierre Soletti.
Puis le titre… qui incite au suicide. Evidemment, c'est du 1er degré (quoique).
La cinquantaine de poèmes montre ensuite Eric Dejaeger au meilleur de sa forme : anti-conformiste, anti-mode, a-moraliste, a-philosophe, il déglingue à tout va (le marketing publicitaire, les poses poétiques, la connerie humaine en général, Dieu, le rap, les allumeuses de 15 ans qui en font 18, la souffrance amoureuse soit-disant "inspiratrice", la bien-bien-pensance des bienséants etc).
Le style d'Eric est direct, sans artifice, sans chichi. On pourrait le "rapprocher" (s'il fallait faire un rapprochement) du style de Buk, par exemple.
Et puis, par petits instantanés, par petites touches, Eric nous offre des notes sensibles, tendres…mais juste le temps d'un clic, hein…Faut pas abuser !
On assiste donc bel et bien à un suicide mais c'est celui de l'hypocrisie ambiante. Ce qui pourrait être vu comme une sorte de moralisme, après tout...mais NON car Eric ne fait que tenter de surnager dans ce monde-là, sans chercher à imposer quoi que ce soit aux autres.
Pour y parvenir, Eric manie l'humour, au pluriel de son singulier.
Dans sa préface, Jean L'Anselme parle d'un humour à la Buster Keaton. Assez d'accord avec ça. Mais pas seulement car l'humour dans ce recueil est varié (humour vache, humour potache, humour gras, humour absurde, auto dérision). Que du bonheur dans cette variété.
On ne s'ennuie donc pas ! On prend son pied et même le second.
Ce recueil, composé de poèmes parus dans différentes revues, tient bigrement la route et sa cohérence. Gageure réussie que de regrouper ainsi des textes s'étalant sur différentes époques.
Ça se consomme sans modération. Ça se fume d'un paquet. Ça se boit d'une traite.
Et ça se relit avec le même plaisir.
A commander sur le site des Editions Gros Textes. http://grostextes.over-blog.com/2014/01/eric-dejaeger.html
Prix : 13 euros (+ 2 euros pour le port) et ça les vaut amplement !