21 mai 2010

les oiseaux font
le guet
pour que personne
ne s'envole
les voisins font
le guet
pour que personne
ne sorte
j'ai agité
un drapeau blanc
et
leur ai lu
un poème
de Blaise
Cendrars
elle a
glissé
sur le trottoir
s'est
retrouvée
perchée
en haut d'un toit
voyant le
monde
sous un autre
angle
(discours d'un monde à l'envers)
il y a ceux
qui
vendent
de la mauvaise
came
il y a celles
qui vendent
leurs corps
(comme elles peuvent)
&
il y a ceux
qui prennent
les deux
le soir venu
on tire
la couverture
sur la ville
&
on lit
les pages
écrites
aux fenêtres
d'un doigt
il y a
cette femme
en bas de chez moi
assise
contre un mur
il y a
des fenêtres
et
des gens
autour
se vider
les couilles
pour
se remplir
les poches
(discours d'un échange)
l'éducation
qu'on donne
n'est ni bonne
ni mauvaise
en soi
elle est simplement
au dessus
de nos moyens
(discours de la paternité pour une pré-ado)
le travail c'est
la santé
ceci explique
sans doute
pourquoi
je suis
souvent
malade
(discours d'un sans emploi)
Noyer
sa peine
dans l'alcool
et la boire
cul-sec
(en se souvenant
de nos comas
éthyliques)
(discours des années 90)
A chaque jour
suffit
sa pine

(discours de la chaudasse)
est-ce que les mots
dans un poème
ont
la liberté
de partir
&
de revenir
un peu en retard
désolé
(j'ai failli ne pas venir
ne pas me lever - fâcheuse
habitude)
j'ai découpé
les morceaux
(ceux que vous
m'avez demandés)
j'ai suivi les
flèches
j'ai grimpé les
escaliers
je n'ai croisé
personne
les mouches m'ont
suivies
je vous apporte
un peu de
mes entrailles
en cadeau
un peu en retard
vraiment
désolé
vous m'en voulez
toujours ?

immeuble

il est arrivé dans le hall
immense
où circule déjà
beaucoup de monde
dans un désordre
organisé
il montre son badge
à la sécurité
des hommes élégants qui trimballent
de petites sacoches en cuir
s'arrêtent parfois
pour saluer
des femmes vêtues de robes lègères
et élégantes
les voix semblent étouffées
par une sourdine
commanditée
devant l'ascenseur
il se poste
parmi d'autres
il fait la queue
chacun semble fasciné par
les numéros d'étages
"4" "3" "2" "1"
un petit bruit (discret)
la porte s'ouvre
une voix enregistrée
dit bonjour
la porte se ferme
blotti dans un angle
en silence (essayer de fixer le regard
vers le vide intérieur)
il attend patiemment
de pouvoir sortir
en espérant ne bousculer
personne
il salue poliment
en réponse à un bonne journée
une fois dans son bureau
du 8è étage
il se met à son aise
il jette un oeil par
la fenêtre
il énumère dans sa tête
les tâches
qu'il a à accomplir
aujourd'hui
il suit le vol
imprévisible
des étourneaux
il s'assied devant son ordinateur
et avant toute chose il
sort un petit calepin
dans lequel il
consigne
soigneusement
ses premières impressions

20 mai 2010

revenu d'un souvenir d'enfance

pas l'habitude d'y revenir
pourtant
pas l'habitude de clarifier le temps
qui me paraît si loin (si effacé)
mais un matin (et je crois bien
que c'était ce matin)
cela faisait suite à un rêve qui aurait
mal tourné
m'est revenue cette scène
avec mon frangin quand nous
étions enfants
au fond du jardin la pente
étant descendante
la maison vue d'en bas nous semblait
gigantesque
monstrueuse
elle devenait une demeure
étrangère
autoritaire truffée de
présences maléfiques
(et il s'amusait visiblement à me foutre
la trouille en pointant du doigt
un cimetière "possible"
à proximité)
nous nous tenions près
de la petite rivière
dans l'ombre de la fin d'après-midi
nichée sous quelques arbres vieux
et voûtés
une petite rivière facile à enjamber
que mon frangin sauta d'un bond aérien
il me demanda de le suivre
à l'aventure
dans le grand champ de poussières de pierres
et de terre séchée (et plus loin
d'autres champs d'autres terrains vagues
des gens qu'on ne connaissait pas)
mais je restai bloqué un pied
de chaque côté de la rivière
et me mis à chialer
tandis que lui riait et se foutait
de moi et je ne parvenais
toujours
pas à choisir un abord de la rive
j'ai dû resté bloqué là quelques secondes
quelques minutes
je ne m'en souviens plus je
ne me
souviens plus de la
suite et c'est sans importance
je ne retiens que ça
cette sensation finale du souvenir
comme si elle
était un écho au temps présent
(vivace autant qu'inéluctable) et
que j'étais encore d'une certaine façon
cet enfant suspendu entre des
choix impossibles
(mais c'est sans doute une interprétation
parmi d'autres)

10 mai 2010

ils sont là, distants mais là, on les sent, inflexibles, venimeux, parasites, dans les arbres, nichés sous les feuilles, calfeutrés dans les branches, étendus par les ombres, ils ont de longues mains griffues, des serres, des crocs affutés, du sang à boire, une langue gluante qui se déploie, ils ont des yeux perçants, calfeutrés quand ils sont traqués, étirés quand ils fuient, ils ne fuient plus, ils sont là, distants mais là, dans un terrier, sous le sol, dans des galeries creusées par d'autres, qu'ils ont prises d'assaut, affamés, toujours affamés, tuant tout sur leur passage, hurlant, gémissant, jusqu'à ce que tout se taise alentour, hormis le bruit sec de leurs écorchures sur les corps tièdes, sur les os froids, hormis leurs courses frénétiques, qu'on dit sexuelles, sans trop savoir, sans qu'on les voit, ils sont là, c'est certain, ils nous font tourner la tête, ne sont pas partis, ils rôdent, ils ne comptent plus partir, ils n'ont plus peur, ils nous ont vus, ils sont à l'affût, nous ont vus

8 mai 2010

peut-être sous contrôle

peut-être dire
&
peut-être dire
mieux les arguments
&
peut-être regarder
bien en face
&
peut-être ne pas
ciller
&
peut-être ne pas faire
attention aux battements
du coeur aux pensées
parasites aux bouffées de
violence
&
peut-être se faire avoir
quand même

7 mai 2010

laverie et coup de poing

la machine chez nous est en panne. je passe à la laverie à deux pas. je ne mets pas de majuscule: je n'en mérite pas, je baisse la tête. je porte le sac de linge, je ne suis pas sisyphe, je suis sur le trottoir, temps maussade, vendredi matin, j'ouvre la porte, je fais bonjour, une seule personne est déjà là, elle me répond pas, je choisis la machine "6", la plus proche des séchoirs, je dépose le linge, je glisse deux euros dans la fente, je vais mettre un point à la phrase pour respirer un peu. ce sera fini dans 45 minutes. ça démarre. je sors fumer une clope. un mec me demande une clope. j'en file une. avant qu'il ne s'en aille je lui demande de rester un peu pour que je puisse faire une description de lui dans le texte. il me dit pas possible je suis pressé rien à foutre de ton texte mais merci pour la clope. pas grave je réponds je vais t'inventer une tronche pas possible. donc: un mec très con me demande une clope, il est moche comme un cul, gras, très gras, dans les 147 kilos, a des verrues partout, pue la pisse et la sueur mélangées, il a l'allure d'un serial killer en train de chercher une proie à violer à tuer à découper. tu l'auras voulu je lui hurle. je mets une parenthèse dans tout ceci, une parenthèse en cours: le mec est revenu vers moi, menaçant, j'ai pas flanché, il m'a filé un coup de poing dans le nez. je saigne. j'ai horriblement mal. pas de ma faute si le texte est un peu à cette image de moi et qu'il vous sort par les trous de nez poing barre point final.

5 mai 2010

Au dîner

Au dîner,
les pieds sous la table
le dos sur le dossier de la chaise,
il regarde les miettes de pain
à proximité de son assiette
-Y'en a beaucoup, dis donc
-De quoi ?
-Des miettes. C'est du pain d'hier ?
-Oui
Puis
Ils se taisent de longs instants
Puis ils
regardent l'heure
avalent rapidement leur pain
avec le fromage puis le yaourt
Puis
il repense à ce qu'elle lui
a dit au téléphone quand il était
là-bas de ne pas trop
s'en faire pour demain
que tout va bien se
passer
-Oui, tu as sans doute raison
il avait alors répondu
Elle lui avait répété de pas trop
s'en faire que tout va bien se
passer hein
-OK, je vais pas me laisser faire
Elle tente un sourire
Puis
elle le regarde fixement:
-Y'a effectivement beaucoup de miettes
Il tente un sourire
juste histoire de faire semblant
d'y croire
tout comme elle

courants d'air

dans le bus
191 de 7h37 c'est pas comme
dans le bus
191 de 18h54
ou de 22h34
non seulement l'heure (n'est pas la même
mais l'inclinaison du soleil (s'il est là, droit devant ou en hauteur
mais l'angle de la lune (si elle est jaune ou bleue
mais l'oblique des visages (selon l'agressivité
mais la déformation des voix (selon la fatigue
mais le bruit d'ouverture des portes (plus ou moins énervant
mais la fréquence des arrêts (selon les présences
mais la qualité du conducteur (variable mathématique aléatoire
NE SONT PAS LES MEMES
Alors
oui vraiment
dans le bus
191 de 7h37 c'est pas comme
dans le bus
191 de 18h54
ou de 22h34
et je confirme
que je ne suis pas
le même non
plus
ne pas oublier la fin de la parenthèse )
Les longs trottoirs
se sont rangés
dans un caddie
près du supermarché
En attendant le jour
qu'on les déplie
qu’on les piétine
De mille façons

Ca me ferait du bien, paraît-il

Je pourrais pousser
la porte

Sortir d'ici

et me retrouver dehors
en quelques secondes

Alors ?

Il n'est pas encore l'heure (9h55)
je me dis

Il n'était pas non plus l'heure
(hier, avant-hier)

Alors ?

Je suis bien chez moi
chez nous
j'irais faire qui
dehors ?
J'irais faire quoi
d'essentiel ?

Ici
chez moi chez nous
Il y a le lit (à faire)
l'aspirateur (à passer)
des textes (à lire, à écrire, à corriger)
Ici
pas de regard, juste la fuite (je sais, tu as raison)

Alors ?

Ca me ferait du bien, paraît-il
de sortir
mais je suis bien
ici
chez moi, chez nous
(on en reparlera plus tard, ok ?)

Joyeux Anniversaire, Dada !



Alias Saida (35 ans)

4 mai 2010

Celui qui ne comprenait pas (Marlène Tissot)

Il y a les jeunes qui
n’aiment pas les vieux
et les vieux qui
ne supportent pas les jeunes
lui, il n’est ni vieux ni jeune
il ne comprend pas pourquoi
les gens, souvent
ont peur de ce qu’ils
ne sont plus
ou méprisent ce qu’ils
finiront par devenir

Rachid Taha




3 mai 2010

j'ai peur mais
je n'ai pas peur de vivre
je n'ai pas peur de vivre mal
je n'ai pas peur de vivre longtemps
déjà je vis
et je vis mal
et je vis mal depuis longtemps
longtemps s'est incrusté
longtemps est comme figé
longtemps je vis avec
il n'y a plus qu'à suivre

j'ai peur mais pourquoi
qu'est-ce-que vivre mal
qu'es-ce-que vivre
tout simplement
ce n'est pas simple justement
ce n'est pas simple du tout
ce sont des mots
qui viennent
sans rejet sans projet
ce sont des mots
en deçà de la peur
en deçà de se dire
pourquoi
j'ai peur avec
je ne sais pas je ne sais que dire
ça depuis longtemps
Le ciel
Est dégagé ce soir
Les étoiles ont les yeux
Qui brillent
C’est un soir empli
D’émotions
Sa vie
Quand elle dort
Est plus insaisissable
Qu’une ombre
Chinoise

Le dernier Dan Fante



Titre: LIMOUSINES BLANCHES ET BLONDES PLATINE
Auteur: Dan Fante
Traducteur: Philippe Aronson
Parution avril 2010
Nbre de pages: 320 pages
Prix: 19 euros
"Écrire, pour Dan Fante, n’est pas un divertissement, c’est une question de survie. Depuis qu’il a retrouvé la machine à écrire de son père dans la maison familiale, les mots se sont mis à jaillir en un flot continu qu’il ne peut arrêter. Limousines blanches et blondes platine raconte cela. On y retrouve Bruno Dante, le double de Dan, à Los Angeles, au volant non plus d’un taxi (Régime sec), mais d’une limousine. Les virées en bagnole, les incidents, les tranches de vie s’enchaînent. Pour autant, sa folie et sa colère demeurent. Son frère Nick meurt, les fantômes reviennent… Ne reste que l’écriture pour calmer la peur et rester en vie." (13è Note éditions)

2 mai 2010

entrecequiseretient
l'espaceconfinédu
dedans
entrecequinoussort
l'espaceconfinédu
dehors
entre les deux
une ou plusieurs
présences
à mi-chemin
du réel
&
du plus que plus que
lointain

Scène d'ici ou d'ailleurs

Il fait sombre.
Les escaliers sont étroits
et raides.
Il est à la cave
en train de faire des trous
dans le mur.
J'approche.
Il s'interrompt.
-Salut p'pa, tu fais quoi, là ?
-Tu vas? Je vais y accrocher mes tableaux.
La perceuse se remet en route
et fait un bruit de
tous les diables en même temps
que la dense poussière alentour
empêche de respirer convenablement.
Ca me fait tousser
le paquet de clopes déjà fumé
le goudron dans les poumons
les résidus dans l'air sur la route.
-Tu veux pas les mettre plus en évidence ?
-Hein ?
Je lui fais un signe de la tête
pour lui signifier pas grave et que je remonte à l'étage.
Avec la lampe de poche pour l'éclairer
il est concentré comme jamais.
-On n'y voit rien dans ta cave et c'est trop humide.
Mais il ne m'entend plus.
Je me sers une bière dans le frigo
et quelques gâteaux secs.
-M'man, j'savais pas que vous aviez des tableaux.
-Tu parles, y'a jamais eu d'tableaux.
-Ca fait longtemps qu'il est comme ça, papa?
Maman répond pas et demande si je vais rester pour
la nuit.
-J'pense pas.
-Ton frère vient pas souvent nous voir, non plus...
un jour il nous faudra renoncer
il faudra faire place
nette
entreposer tous nos souvenirs
dans la chair d'un fauve
et les remplacer par des corps
flottants des corps longuement
immergés
dans les gaz transparents
afin de terminer le voyage
sans poser les questions qui
retiennnent

ne pas finir comme ça

Mô tourne en rond
dans le hall
allant et venant
d'un bout à l'autre
du couloir
il compte ses pas
il ne parle à personne
il n'a envie de rien faire
s'arrête parfois pour lire des
mots qui sonnent comme des
recommandations
dans l'embrasure d'une porte
la porte 141
une femme de dos
accompagnée d'un jeune enfant
disent au revoir à
demain sans doute
avant de refermer doucement
la porte
la porte 141
il a vu déjà l'homme dans cette chambre
que les infirmières ont du mal à calmer
la nuit quand les lumières
s'éteignent il hurle qu'il a peur des
monstres du malin dans l'armoire
dans les chiottes dans sa tête
partout
Mô ne sait plus quand il est arrivé
là ce devait être un dimanche
il y a deux semaines
il y a un mois
il se sent mieux mais les médecins
ne partagent pas son avis ce sont
des abrutis qui
m'abrutissent
quand il passe devant un petit bureau
celui des secrétaires
en blouse banche elles
aussi
deux voix
rigolent
parlent haut & fort
de dieu sait quoi
Mô songe à se faire la malle
car ce n'est plus possible de
devoir attendre ainsi
la prochaine visite
de sa femme de sa fille ses
amis ses parents sans savoir
si le monde
continue bien sans lui
là-bas
c'est important de
savoir
dans la petite salle au fond du couloir
une vieille femme en robe de chambre
lit une revue de mode elle parle toute
seule elle semble absente
et Mô ne voudrait pas
finir comme elle

1 mai 2010

Roger Vailland (1907-1965)




Quelques-uns de ses livres, en vrac:
-Les mauvais coups
-Drôle de jeu
-Un jeune homme seul
-Eloge du cardinal de Bernis
-Bon pied, bon oeil
-325.000 francs
-Le regard froid

Barbecue sauvage après la fin du monde

La nuit est claire et froide
ce soir
Nous sommes assis autour du feu
qui crépite
d’impatience tout
comme nous
taciturnes
en milliers d'étincelles
La lune pleine nous fait de
l'oeil et nos dernières gesticulations
de vie la laissent indifférente
Nous veillons le feu pour
ne pas qu'il s'éteigne
Nous avons froid
Nous ne parlons pas
Nous en avons perdu l’habitude
La viande est rare à présent
l'herbe est rare
les bois sont rares
Nous avons faim
nous crevons la dalle
nos estomacs sont vides
depuis des jours
et
des jours
Il ne nous reste que des vieilles femmes
et
des vieux hommes
malades
et
malingres
sous la tente
Nous nous levons alors
pour embrocher
l'un d'entre eux sur les braises
du feu
qui crépite
Il est déjà loin le temps
quand nous nous excusions
presque
de devoir agir de la sorte
avec les plus jeunes.

Jouer du piano ivre... (Charles Bukowski)