25 janv. 2016

4 personnages

Dino
Je ne sors pas souvent de chez moi
je sors quand c'est utile
en quelque sorte
j'aime bien ce mot : l'autarcie
je vais à la supérette du coin
m'acheter de quoi
survivre
devant la télé devant l'ordinateur
avec les années je suis devenu
comment dire
c'est pas que je n'aime pas les gens
ni que je m'en méfie de façon trop
comment dire
mais bon
j'ai pas envie d'en savoir plus
j'ai pas envie d'aller voir un psy non plus
je pense parfois à des choses sombres
je n'ai rien trouvé d'autre pour me calmer
que d'avaler tout ce qui se trouve
dans mon frigo
et 
d'attendre que ça passe


Estelle
C'est ma voisine de pallier
elle s'ennuie chez elle
on se croise des fois dans les escaliers
son mari lui a promis qu'ils partiraient
en voyage
loin d'ici
elle m'a parlé d'Andalousie
du Maroc
ou
du Névada
et qu'ils partiraient sans les enfants
mais elle ne croit plus trop à ses promesses
surtout quand il rentre
tard du travail
moi je voudrais rien lui promettre
juste de pouvoir passer un bon moment
ensemble 
juste de baiser pour occuper la vie
un truc normal quoi
je sais pas si elle pense aussi à ça
quand elle passe l'aspirateur chez elle


Viktor
J'ai la tête pleine
de voies parasites
un vrai plafond de cathédrale
c'est comme l'écho emprisonné
des anges déchus
  qui parle ?
je suis un peu barré vous savez
j'ai même cherché la source
de cet écho
longtemps longtemps
j'ai même voulu l'écrire sur des carnets
pour y voir plus clair
  qui m'a dit qu'elle était bien quelque part
  qui m'a dit de ne pas baisser les bras
  qui m'a dit que j'étais mieux ici
je sais pas qui parle ?
à la fenêtre je
nomme les éléments du réel
l'arbre la voiture le réverbère l'épicerie la passante
j'énumère ce que 
j'aime encore
les feuilles mortes la fumée des cheminées la pénombre des rues
  qui m'a dit que c'était foutu
  qui ma dit que j'étais dans une voix sans issue
  qui m'a dit que je parlais tout seul pour n'avoir pas à rendre de comptes


Inès
Je ne suis plus capable
d'une vie de famille
de travailler
de respecter des consignes
d'apprendre des procédures
de faire des compromis
je n'en suis plus capable
y'a eu un déclic un jour
et ça m'est devenu impossible
insupportable
en fait non 
ça ne s'est pas fait en un jour
c'est un long processus
de déconstruction
il en a fallu des années
pour en arriver là
à ce repli sur soi
mais je l'ai toujours senti
c'était une sensation assez vague au début
que ça se terminerait
presque naturellement, la mascarade






1 commentaire:

Dans ma tête a dit…

Que dire? Très bien écrit, et chaque personnage me parle, les deux derniers notamment. En fouillant dans ton blog on trouve chaque fois des pépites comme au temps de la ruée vers l'or ;-)