31 mai 2013

Une belle proposition

A cette époque j'avais les cheveux longs
jusqu'au cul
je portais un chapeau
toujours le même
empli de pellicules
grasses
et un pantalon en nylon
toujours le même
troué au niveau
des burnes
j'écoutais parfois Nirvana
je lisais encore Bukowski
j'écrivais quelques poèmes pourris
(mais je m'en rendais pas compte
qu'ils étaient pourris)
je buvais mon café du matin avec une
bonne rasade de rhum
en salle de pause
(avec un pote qui tenait bien mieux l'alcool que moi)
et ça me plaisait
d'aller bosser
comme un clochard
l'ambiance était sympa
cool
les heures de travail
passaient vite
finalement

Un jour le boss
m'a convoqué dans son bureau :
-T'es le plus ancien ici, Mobert.
-Exact
-Tu voudrais pas évoluer ?
-C'est-à-dire ?
-J'te vois bien devenir TeamLeader... T'as le charisme, les compétences qu'il faut...pour encadrer ces jeunes, là...
Il a marqué un temps d'arrêt
me scrutant de
haut en bas
-Mais putain c'est quoi cette dégaine ?
J'ai rien répondu
juste souri
-Tu crois que ça fait sérieux un mec sapé comme toi dans une entreprise ? Si on reçoit des clients ? Si le grand patron s'amène à l'improviste, j'aurais l'air de quoi ? T'en penses quoi, Mobert ?
J'ai rien répondu
juste continué à sourire
(plus ou moins)
-C'est pas grand-chose : juste t'habiller correctement et te couper la tignasse... Mobert ?
J'ai rien répondu
juste ravalé ma haine
du système
(ça se travaille sur le terrain le statut
de looser)

Neuf ans plus tard
j'étais toujours dans l'entreprise
(le chef avait été remplacé par un autre chef puis par un autre etc)
j'avais coupé mes cheveux depuis pas mal de temps
j'étais mieux fringué
mais
je n'avais pas su saisir ma chance au bon moment
parce que
j'étais toujours au même poste
avec le même salaire
(quasiment)
sauf que
les meilleures propositions
(rares soit dit en passant)
appartenaient désormais
à un passé bel et bien révolu :
j'étais en passe de me faire
licencier
comme une grosse merde
pensé-je un peu amer
(mais pas trop)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

ah ça c'est du bon texte , du pur du vécu des souvenirs..j'adore!!!! tu sais moi je t'aimais bien avec tes cheveux longs ton chapeau avec tes pellicules ton futale troué ton air de clodo...oui oui j'aimais bien, et puis malgré le reste je t'aime toujours, même au chom'dû. surtout que ce qui a changé c'est que tu n'écris plus du tout des "poèmes pourris"...t'as bien changé même sans boulot!

Thierry Roquet a dit…

Comme tu dis, c'est du vécu. Si c'était à refaire... heu, je ne sais pas trop, en fait... mais je pense que je ne referai pas la même chose. Et puis ce chômedu qui dure, qui dure...